NOËL : FOLKLORE OU HEURE SOLENNELLE ?

6 décembre 2022

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C’est bientôt Noël ! Les rues s’illuminent de guirlandes, les boutiques garnissent leurs vitrines, les sapins s’alignent sur les trottoirs, les menus s’échafaudent et les enfants piaffent d’impatience. Tous les ingrédients semblent réunis pour que la fête soit joyeuse, gourmande et aussi conviviale et familiale que possible. Dans tout cela, on en oublierait parfois le sens profond de tous ces symboles. Faisons le point.  

 LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET NADINE CRETIN 

Docteur en Histoire (EHESS, Paris), Nadine Cretin est spécialiste des relations entre le territoire et ses usages festifs, rituels et spirituels. Elle étudie le calendrier, les origines et les manifestations des fêtes occidentales, qu’elles soient profanes ou sacrées.

 

Lili Sans-Gêne : Noël n’est plus qu’une fête consumériste ! D’ailleurs on ne sait même plus ce que l’on célèbre : le père Noël, Saint-Nicolas, la dinde du réveillon ou les rois mages ?  

 Nadine Cretin : À Noël, les chrétiens célèbrent avant tout  la  naissance  de  l’Enfant-Jésus,  Dieu  fait  homme. Mais avant l’institution de la fête chrétienne  de  la  Nativité,  cette  époque  du  solstice  d’hiver dans l’hémisphère nord occasionnait déjà des réjouissances : des rassemblements familiaux, de grands repas, une veillée très recueillie avec une bûche dans la cheminée toute propre, de la verdure dans la maison, puis à l’aube d’une nouvelle année, la remise d’étrennes souvent sous la forme de petits cadeaux alimentaires. Elles s’accompagnaient de différentes quêtes faites par des enfants qui, par petits groupes, annonçaient leurs vœux de porte en porte : « Au gui l’an neuf !  ». Il était très important de bien recevoir ces enfants en leur faisant un petit cadeau (une poignée de noisettes, une pomme,  une  friandise,  une  pièce  de  monnaie…). En effet, les vœux des petits, dépositaires  de  l’avenir,  promettaient  une  année  prospère et on disait qu’en n’ouvrant pas sa porte ou en ne donnant rien, on s’attirait une très mauvaise année. 

La naissance de Jésus ? C’est une légende pour faire plaisir aux enfants. Quand bien même elle serait vraie, il n’est pas certain du tout que Jésus soit né un 25 décembre… 

 Dans les premiers siècles, on ne prêtait pas attention à la célébration de la toute petite enfance du Christ. Seule importait la fête de sa Résurrection à Pâques. Au IVe siècle, on s’est soucié de sa naissance, en reprenant des passages de l’évangile de saint Luc qui parle de Bethléem où Marie et Joseph ont interrompu leur voyage, et de la mangeoire où sa Mère a déposé le nouveau-né enveloppé de langes. La première mention de la célébration de cette divine naissance huit jours avant les calendes de Janvier – soit le 25 décembre –, figure dans le calendrier d’un riche Romain chrétien nommé Valentinus composé autour de 330. La date a été choisie arbitrairement, mais il faut reconnaître qu’au moment de la renaissance  du  soleil,  après  le  solstice  d’hiver,  elle  tombe bien, puisque saint Jean a décrit le Christ comme « Lumière du monde ». 

Bon admettons… Croyez-vous sincèrement que Jésus est né dans une étable, au milieu d’un âne et d’un bœuf ?  

On peut avoir du mal à le croire, mais ce symbole est magnifique. Le Fils de Dieu né dans un total dénuement ! Comme nous l’avons vu, saint Luc parle de mangeoire, et qui dit mangeoire, sous-entend étable ou grotte avec présence d’animaux. L’âne et le bœuf sont apparus très tôt dans les évangiles apocryphes, c’est-à-dire des récits qui sont en grande partie légendaires. Ils se sont inspirés d’une prophétie du prophète Isaïe : « Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne la crèche de son maître » (1, 3). Ces deux animaux ont fait beaucoup pour la réputation de la Nativité, car l’image était très parlante aux populations majoritairement rurales du Moyen Âge. Les premières crèches sont apparues dans les églises aux XVIe et XVIIe siècles, suivies par d’autres dans les maisons, en particulier à Naples puis, au XIXe siècle, en Provence, avec la multiplication des santons d’argile.  

Noël a beau être une fête très populaire, je vois déjà venir les polémiques insensées qui se reproduisent chaque année : pas de sapin sur les places publiques, pas de crèches dans les mairies…

Ah ! Le sapin ! Dire que c’est un symbole religieux, c’est difficile. Tertullien, aux IIe-IIIe siècles, reprochait déjà aux chrétiens d’Afrique du Nord (romanisée à l’époque) de se conduire comme des païens qui accrochaient de la verdure à leur porte et multipliaient les chandelles à l’époque de Noël ! Certains pourtant parlent de l’arbre de Vie qui reste toujours vert, ou font un lien avec le bois de la Croix. Mais là n’est pas son origine. Le sapin, arbre qui reste toujours vert même en plein hiver, fait son apparition  dans  les  logis  en  Allemagne  au  bas  Moyen Âge (XIVe, XVe siècles). La première mention d’un petit arbre coupé en nombre est à Sélestat, en Alsace, en 1521. Les gardes-forestiers de la ville devaient surveiller les forêts jusqu’à la Saint-Thomas, le 21 décembre à ce moment-là, pour éviter les coupes sombres. Depuis, surtout à partir du XXe siècle, les sapins ont eu la fortune que l’on sait dans les maisons, puis dans les villes. C’est avant  tout  un  symbole  d’espoir  !  Ceux  qui  s’offusquent de voir qu’on les cultive pour les couper devraient penser aux champs de tulipes ou même au blé qui sert à faire le pain !Quant aux crèches dans les milieux publics, certains tribunaux se sont prononcés pour, d’autres contre. Rappelons cette décision du Conseil d’Etat du 9 novembre 2016 : « L’installation d’une crèche par une collectivité publique dans un bâtiment public  est  possible  quand  la  crèche  présente  un caractère culturel, artistique ou festif. En revanche, elle est interdite si elle exprime la reconnaissance d’un culte ou marque une préférence religieuse ». Comprenne qui pourra !  

Reconnaissez que la fête de Noël sait s’entourer d’un drôle de folklore : le repas de Noël, la buche en  chocolat,  le  gui  suspendu  au-dessus  de  la  porte…  C’est  souvent  délicieux  mais  un  peu  désuet et pas très économique, non ?  

Plutôt que de folklore, parlons de traditions. À Noël, on aime reproduire ce qu’on a toujours connu, tant dans la décoration que dans les repas ou les chants immuables (Douce Nuit, Il est né le Divin Enfant, Les Anges dans nos campagnes). Tout cela a une origine qui n’est pas forcément lointaine d’ailleurs : Petit Papa Noël chanté par Tino Rossi date de 1946.La bûche-dessert a été créée par des pâtissiers astucieux à la fin du XIXe siècle, avec l’invention de la crème au beurre. Il est facile de faire un gâteau roulé, de l’habiller de chocolat, de le rayer avec une fourchette et enfin de le décorer d’attributs forestiers, afin d’imiter la vraie bûche que l’on brûlait dans la cheminée  le  soir  de  Noël  jusqu’à  la  moitié  du  XXe siècle. Quant au gui, c’est un symbole de fécondité  déjà  apprécié  des  Celtes.  Comme  on  sait  :  s’embrasser dessous porte bonheur ! 

Et les cadeaux ? N’est-ce pas un luxe inutile ?  

Il était d’usage chez les Romains de l’Antiquité de s’offrir des étrennes à l’aube des calendes de Janvier. Ovide (au Ier siècle de notre ère) expliquait dans les Fastes que ces cadeaux devaient être empreints de douceur (figues, dattes, miel) pour annoncer une année suave. Mais il constatait (déjà !) que beaucoup  préféraient  avant  tout  recevoir  de  la  monnaie… La réputation d’inutilité des cadeaux de Noël est sans doute exagérée mais elle existe. Quoiqu’il en soit, un enfant est si heureux quand il découvre les cadeaux sous le sapin. Impossible de le priver de cette joie !  

 

ALLER PLUS LOIN

 

Lettres de Noël : Petite histoire de Noël à travers la correspondance de personnages célèbres

Nadine Cretin, Le Robert, 2015, 6,99 € en format e-book.

 

 

 

Fêtes de la table : Fêtes religieuses ou païennes et traditions alimentaires

Nadine Cretin, Le Pérégrinateur, 2015, 232 pages, 19,90 €.

 

 

 

 

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