L’Inquisition, de la fiction à l’histoire

11 septembre 2012

Jean-Pierre Dedieu

Débat. L’Inquisition est considérée par le grand public comme la pire période de l’obscurantisme de l’Église : tortures, bûchers, chasse aux hérétiques, etc. Une série télévisée sur France 2 a relancé la polémique. Que faut-il en penser ?

Débat entre Lili Sans-Gêne et Jean-Pierre Dedieu, historien

1 L’Inquisition est une forme de dictature catholique. Faute de pouvoir convaincre par la douceur, on a vaincu par la terreur.

La réalité est plus complexe. Le mot « inquisition » ne désigne pas une institution, mais une manière de conduire les procès, inventée par les juristes de l’Église vers 1150. Elle dote le juge d’une capacité d’initiative dans la conduite des poursuites bien plus forte qu’auparavant. Cette méthode s’est incarnée en des tribunaux ecclésiastiques, dont l’autorité dérivait immédiatement du pape. Cependant ces tribunaux n’ont jamais été actifs simultanément dans toute l’Europe : l’Inquisition est en bien des façons une institution à éclipses, dont nous magnifions rétrospectivement le poids effectif. Elle a poursuivi par ailleurs des fins diverses. Il importe de distinguer selon les périodes et les lieux.

2 Le Pape était le grand chef de l’Inquisition. Une religion dont le leitmotiv est « Dieu est amour » devrait avoir honte d’avoir commis autant d’horreurs au nom de ce même Dieu.

Les inquisiteurs tenaient leurs pouvoirs du pape. Ils ne pouvaient cependant l’exercer qu’avec le consentement des autorités civiles locales. Traduits en termes contemporains, jusqu’au début du XVIIe siècle, ils se sont essentiellement donné pour tâche l’intégration de groupes qui rappellent ce que nous vivons aujourd’hui avec nos « banlieues ». Les États partageaient sur ce plan les objectifs de l’Inquisition. Ils étaient cependant peu soucieux qu’agissent sur leur territoire des juges qui ne relevaient pas d’eux et préféraient faire le travail eux-mêmes, par des méthodes tout aussi violentes. Il est pour nous un scandale que l’Église ait géré des modes de répression de ce type. Je peux personnellement témoigner que les responsables actuels de l’Église catholique sont eux aussi toujours scandalisés par ces actes. Elle l’a fait parce que jusqu’à la Révolution française elle assumait la gestion générale des systèmes politiques européens, et que les questions dont traite l’inquisition ont à la fois un versant religieux et un versant politique : la laïcité n’existe pas encore ! Gérer le politique donne à l’Église une influence sociale considérable, qu’elle a perdue depuis. Cela la conduit aussi à des compromissions dont le XIXe siècle l’a libérée. C’est l’Europe entière, Église et États compris, qui doit assumer un héritage commun, qui n’a rien de facile.

3 L’Inquisition a semé la terreur dans toute l’Europe catholique : elle a brûlé, torturé, enfermé, converti de force. Les grands inquisiteurs étaient pervers et sadiques.

L’inquisition est une forme judiciaire. La réponse qu’elle apporte aux problèmes qu’elle traite est donc judiciaire et policière. Profitant de la liberté d’action que la forme inquisitoriale laisse au juge, elle a mis au point des méthodes de répression et d’enquête particulièrement efficaces, dont les institutions répressives d’hier et d’aujourd’hui se sont largement inspirées. Elle a envoyé à la mort – plutôt moins que les autres tribunaux –, elle a fait avouer sous la torture physique – ni plus ni moins que les autres tribunaux, elle a vécu de délations, mais elle a aussi globalement respecté des règles de procédure de plus en plus précises destinées à la canaliser, dont tous les spécialistes sérieux soulignent l’efficacité. Quant aux inquisiteurs, à quelques exceptions près qui ont fait scandale dès l’époque, ils étaient tout sauf pervers, sadiques ou fanatiques. Bien plutôt des juristes et des théologiens qui faisaient de leur mieux un travail que tout le monde a longtemps considéré comme nécessaire.

4  On faisait brûler les juifs parce qu’ils étaient juifs : ça ne vous rappelle rien ?

Comme toujours bien plus compliqué ! L’Inquisition n’avait pas juridiction sur les juifs : elle ne concernait que les chrétiens. Elle n’a jamais brûlé un juif parce qu’il était juif. Les juifs relevaient des autorités ordinaires, qui sont responsables de la quasi-totalité des mesures les concernant. Ceci dit, l’Inquisition, en Espagne et au Portugal surtout, pour l’essentiel entre 1480 et 1750, a mené une intense action d’intégration par la force des juifs convertis au christianisme et de leurs descendants, qui conservaient, croyait-on, une culture mixte. Cette action a été, en Espagne, à la fin du XVe siècle, extrêmement violente, mais aussi redoutablement efficace, et a conduit à l’assimilation effective de ces « judéoconvers ». La société chrétienne leur a fait une place de choix après qu’ils aient effectivement renoncé à toute trace de leur ancienne culture. Cette intégration est aux antipodes de l’antisémitisme hitlérien, pour lequel le juif assimilé et converti restait un sous-homme. Ceci dit, la mémoire de cette intégration est encore aujourd’hui, pour de nombreux juifs, une pierre de scandale ; et cette action de l’Inquisition, qui marquait symboliquement de façon très négative le judaïsme auquel les nouveaux convertis devaient renoncer, a contribué à alimenter un « antijudaïsme chrétien » que Jean-Paul II considérait comme l’une des taches les plus sombres sur le visage de l’Église.

5 L’Inquisition est allée jusqu’en Amérique du Sud, où elle a torturé les peuples pour les christianiser de force.

Entièrement faux. L’Inquisition n’avait pas juridiction sur eux et n’a été introduite en Amérique qu’un siècle après leur conversion. Les méthodes suivies dans l’éradication des cultes anciens furent mises en œuvre par les ordres religieux et les autorités civiles locales.

6 Le Pape actuel était le chef de l’institution qui a remplacé l’Inquisition, la Congrégation pour la doctrine de la foi. Tout un programme !

À partir du XVIIe siècle l’Inquisition s’est progressivement réduite à un organisme de la Curie chargé de décider du caractère catholique ou non des développements nouveaux de la pensée théologique. Cet organisme finit par devenir le principal régulateur du débat doctrinal au sein de l’Église et procède par voie de condamnations qui, en négatif, déterminent la doctrine officielle. Il ne condamne que des idées. Il survit aux tribunaux de la vieille inquisition, qui disparaissent tous, lui excepté, au début du XIXe siècle. Rebaptisé « Saint-Office » au début du XXe siècle, puis « Congrégation pour la doctrine de la foi » en 1965. Il est dans la continuité institutionnelle de l’Inquisition ancienne, mais ni sa finalité, ni son mode de fonctionnement ne sont ceux du tribunal que nous avons décrit.

Jean-Pierre Dedieu

Directeur de recherche au CNRS, à Lyon, il a fait sa thèse sur l’Inquisition de Tolède (XVI-XVIIIe siècle). Il travaille sur le système politique de la Monarchie espagnole. Il a été chargé de l’organisation du colloque au Vatican sur l’Inquisition dans le cadre de la Repentance de l’Eglise, en 1998.

Pour aller plus loin :

L’Inquisition, Jean-Pierre Dedieu, Éditions du Cerf, 1987

L’administration de la foi.  L’Inquisition de Tolède, xvie-xviiie siècle, Jean-Pierre Dedieu,

Casa de Velazquez, 1989 L’Église  et l’Inquisition, Grégory Woimbée, Tempora, 2009

historiquement correct, Jean Sevilla, Perrin, 2003

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