GÉNÉRATIONS DIGITALES 

9 septembre 2022

MISE À JOUR

On les caricature avec un portable à la main. Nés entre 1995 et 2010, les jeunes de la génération Z ont le numérique dans la peau et n’auront jamais connu l’univers avant l’avènement des réseaux sociaux. Enfants de ce nouveau monde, ils vivent un autre rapport à l’espace, au temps, à soi et à autrui.

PAR ELISABETH SOULIÉ – PROPOS RECUEILLIS PAR MAGALI MICHEL

Elisabeth Soulié est anthropologue et coach. Spécialisée dans l’accompagnement des générations digitales, elle intervient dans les lycées professionnels ou technologiques, dans les prépas et auprès des entreprises, à Paris et en banlieue.

Ils ont entre 15 et 25 ans. Ils sont tombés dans le numérique petits. Nés avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC), ils scrollent (font défiler du contenu sur leur écran) comme ils respirent. Ils aiment la convivialité, la créativité, le jeu. Ils vivent l’instant présent à fond. Ils fonctionnent à l’affinitaire, à l’éphémère, au fun. Mais ils cherchent du sens. Dans un monde inédit et de plus en plus incertain, les social natives nés avec les réseaux sociaux –tissent le monde de demain.

La génération Z est exposée depuis sa naissance à des mutations qui touchent aux fondements même de l’existence humaine, au rapport au temps et à l’espace, à la connaissance, au rapport à soi, à l’autre et au monde. Poucett (prénom générique donné par le philosophe Michel Serres à cette jeunesse virtuose pour pianoter avec le pouce sur un écran) vit une rupture anthropologique. Après le passage de l’oralité à l’écriture au Néolithique, puis la révolution de l’imprimerie à la Renaissance, le développement fulgurant des nouvelles technologies de la relation précipite un changement d’ère. À vitesse grand V. Pensons que 700 ans ont été nécessaires pour que se diffuse la culture de l’écrit en Mésopotamie, 70 ans, pour l’imprimerie en Europe et 7 ans seulement à Facebook pour s’imposer dans le monde. Selon Louis, 25 ans : « Le monde va vite, on ne sait pas bien où il va, mais nous, on y va ! » Biberonnés l’interconnectivité du Web 2.0, élevés avec un joystick, une souris et un smartphone, 78% de ces ados ou jeunes adultes se disent en état de dépendance vis-à-vis de leur fétiche portable. « Mon téléphone, c’est toute ma vie ! » confie Séléna, 18 ans. Où qu’elle soit, la génération Z est connectée. Elle passe en moyenne 6 heures par jour en ligne. La connectivité est sa manière d’être au monde, d’y prendre sa place et d’exister à tout moment et de n’importe où.

SORTIR DU JEU, C’EST SORTIR DU « JE »

Physique et digitale, cette génération vit entre le virtuel et le réel. Elle refuse la pensée binaire, les cloisonnements, et cherche à l’inverse à réconcilier le local et le mondial, à harmoniser le travail et le jeu, à joindre l’utile à l’agréable et à corréler l’économique et le social. Elle ne veut plus qu’on lui « prenne la tête » comme si celle-ci était coupée de son corps, mais veut être perçue comme un tout : une tête, un corps et un cœur. Son besoin vital de dynamisme et de mouvement s’accorde avec un besoin fondamental de racines, d’abris et d’ancrages. Sa quête de sécurité et d’enracinement s’expérimente dans des communautés d’appartenances multiples. Les liens de cette génération transfrontalière deviennent alors des lieux où habiter. L’œuvre immersive de Chiharu Shiota en est l’exemple (voir illustration ci-contre). Cette artiste crée des installations spectaculaires de fils de laine, de Nylon ou de coton dans des espaces publics. Avec ce qu’elle a sous la main, cette tisserande nomade élabore un maillage dynamique et complexe, où nicher comme dans des cocons. Son travail artistique traduit poétiquement la multiplicité des liens et des interactions nouées par la génération Z en réponse à la solitude humaine existentielle. « À tout moment, ça peut dégénérer », confie Salma, 19 ans. Pour « ne plus penser », elle regarde des vidéos sur YouTube. « Cela m’absorbe et j’oublie tout. » Face à l’insécurité (attentats, guerres, dérèglements), face au vide qui fait peur, les images sont devenues une présence pleine, sensible et sensorielle qui efface le néant. Le visible l’emporte sur le raisonnement. L’oral, sur l’écrit. Mais penser nécessite du recul, du temps, des mots et de la solitude, choses que la génération Z peine à trouver. 8 796 photos sont partagées chaque seconde sur Snapchat. Cette instabilité perturbe l’élaboration réflexive. L’évanescence des stories laisse dans l’ombre l’espace où se retrouver et accéder à sa voix intérieure pour pouvoir se dire, se comprendre, exprimer ses désirs et ses rêves. La génération Z vit en outre dans un temps accéléré. Pour elle, le temps n’est plus une ligne continue avec un début et une fin, un passé et un futur. Demain ne sera pas forcément mieux qu’hier. Consciente des dérèglements qui pèsent sur le futur du monde, elle se réfugie dans l’adaptation en temps réel. Cette déliaison avec l’avenir instaure un temps sans fin ni but. Projet de vie, carrière ou même business plan deviennent obsolètes. Avoir un but à atteindre nécessite un temps long que la génération Z ne connaît pas. Elle n’appréhende que le court terme. Plus de plans sur la comète. 85% des métiers qu’elle exercera n’existent pas encore. Pour survivre dans le futur, il lui faudra surtout faire preuve d’adaptabilité. Restent l’action et l’engagement. Par la viralité des réseaux sociaux, cette génération généreuse espère changer le monde. 46% de ces jeunes adhèrent à une association. 31% donnent de leur temps gratuitement. 58% aident régulièrement un voisin, conclut une étude du Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie.

TÉMOIGNAGE : « J’AI ENVIE DE CONSTRUIRE UN MONDE MEILLEUR »

Justine a 17 ans. Elle habite Nantes. Elle se dit que le temps n’est plus au constat, mais à l’action.

«Je fais partie d’une association qui vient en aide aux migrants. Oh, ce n’est pas grand-chose. Je fais des collectes auprès de mes amis, de mon réseau, dans mon école pour aider les migrants à s’insérer dans notre société. Être inutile et s’ennuyer, c’est ce qu’il y a de pire ! Plus tard, je veux servir à quelque chose. Apporter quelque chose aux gens. C’est peut-être naïf mais j’ai envie de construire un monde meilleur. »

BONNES ATTITUDES BY GÉNÉRATION Z

1. Chiller

Tout en suivant un processus de développement et de croissance constant, c’est savoir tenir à distance la pression du temps accéléré, de l’immédiateté et de la performance.. Quand tout est mouvement, coordination et liens toujours plus innombrables, accessibles et rapides, osons la lenteur et une certaine inertie. C’est le moment de chiller, un anglicisme venu du québécois to chill, se relaxer, ne rien faire…

2. No panic

L’acronyme Fomo (Fear of missing out) désigne la peur de rater quelque chose si on n’est pas connecté. Cette hyper-connexion, addictive et anxiogène, entraîne comparaison et dévalorisation de soi face au monde des autres. Prendre du recul, s’autoriser des temps de déconnexion, agir dans la vie réelle permettent de nourrir une saine estime de soi.

3. Vivre à fond

Yolo, c’est le slogan du moment. You only live once, « On ne vit qu’une fois ». Ce carpe diem postmoderne est une invitation à vivre un oui joyeux et festif à la vie. Vivre, c’est maintenant, dans l’intensité des sensations et des émotions.

4. Avec les mains et les autres

Mieux vaut apprendre à faire par soi-même et de préférence avec d’autres. Le Diwo, Do it with others est le cri de ralliement des espaces collaboratifs de créativité. En ligne grâce aux tutos et classroom ou dans les tiers-lieux et fablabs, on renoue avec le plaisir de bidouiller, de réparer, de bricoler dans la débrouillardise, en testant, en essayant. Ces apprentissages stimulent les sens et donnent du sens.

5. Sans fard

Le normcore est cette tendance vestimentaire qui valorise l’indistinction, à l’image de Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, vêtu d’un jean, d’un tee-shirt blanc, d’un sweat à capuche. Si cette image de soi au naturel évoque la banalité du quotidien, la vulnérabilité et l’imperfection, elle s’inscrit dans le jeu/je des écrans. Où est mon authenticité ? Comment la cultiver ? À moi de faire prévaloir l’être sur l’apparaître.

 

ALLER PLUS LOIN

La Génération Z aux rayons X
Elisabeth Soulié, Édition du Cerf, 2020, 176 pages 16 €.

 

 

 

 

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