FAUT-IL INTERDIRE LE BLASPHÈME ?

30 novembre 2020

17 L1v N120 Mgr Cattenoz

Dès 1789, la France fut la première nation européenne à abolir le délit de blasphème. La recrudescence des attentats islamistes de ces derniers mois, en représailles à la republication ou la présentation dans les lycées français de caricatures du prophète Mahomet, interpelle. Aujourd’hui, la moitié seulement des Français se déclare favorable à ce droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux. Faut-il interdire purement et simplement le blasphème ? Un archevêque répond à Lili Sans-Gêne.

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET MGR JEAN-PIERRE CATTENOZ

On a l’impression que les croyants attendent un retour à l’ordre moral et que les caricaturistes soient muselés, c’est invraisemblable !

Pas du tout ! En soi, les caricatures sont formidables et je me réjouis de voir des cari- catures dans les journaux. Le don de caricaturiste est merveilleux. Sauf que l’on sent parfois percer sous la caricature la violence qui est en celui qui les a dessinées. C’est cette violence dont la caricature est imprégnée qui peut devenir dangereuse.

Jésus, Mahomet, ne sont pour moi que des idées, des symboles. Les religions sont des superstitions…

Il y a une présence du divin en chaque homme qui est au-delà de ce que les gens peuvent concevoir et dans le fond, qu’il s’agisse de Jésus ou de Maho- met, peu m’importe. J’ai vécu assez longtemps dans des pays d’Afrique ou d’Asie majoritairement musulmans pour comprendre que tout homme, à travers sa religion, essaye de me dire quelque chose de lui. Je l’accueille, je l’écoute.

On a le sentiment désagréable d’être soi-même caricaturé comme impie dès que l’on ne partage pas l’opinion des religieux.

Vous savez, lorsqu’il y a deux ans j’ai prononcé un simple prêche sur France Culture, j’ai dû essuyer un torrent d’injures. Un journal le lendemain a pourtant écrit que « d’un évêque on ne s’attend pas à autre chose qu’il explique la foi de l’Église ! » Je pense vraiment qu’il faut que nous soyons capables de nous écouter et nous accueillir.

Lili Sans-Gêne : « L’impertinence est une tradition bien française à sauvegarder ! »

La liberté d’expression a des limites prévues par la loi : l’injure, le racisme, l’incitation à la haine. Je ne vois rien qui concerne le blasphème et heu- reusement !

Lorsque j’ai entendu le président de la République déclarer au Liban que le blasphème était un droit en démocratie, je me suis dit intérieurement qu’il était en train de provoquer les attentats qui allaient nous arriver. Si mes frères musulmans réagissent si brutalement, je dois agir avec prudence. Je ne partage pas l’avis des musulmans salafistes ou extrémistes, mais je suis obligé d’en tenir compte.

Il y a quand même une différence entre l’outrage et la moquerie. L’impertinence est une tradition bien française !

Bien sûr, il est concevable que l’on puisse se moquer, tourner en dérision, mais je dois avouer que les unes de Charlie Hebdo présentant Benoît XVI ou Mahomet en plein ébat sexuel présentent une violence et une haine antireligieuse qui m’indisposent. Ce sont des images que je ne montrerais à personne et surtout pas à des enfants !

Mgr Jean-Pierre Cattenoz : « La liberté de critiquer s’arrête là où je blesse profondément mon frère. » Ordonné prêtre en 1983, Jean-Pierre Cattenoz entre à l’Institut Notre-Dame de Vie en 1986. Professeur au séminaire de N’Djamena (Tchad) de 1992 à 1998 puis au séminaire interdiocésain d’Avignon en 1999, il est nommé archevêque d’Avignon le 21 juin 2002.

La publication d’une caricature en France peut provoquer une émeute à l’autre bout du monde, cela prouve bien que notre mode de vie est menacé !

Nous avons un mode de vie occidental et nous demandons aux étrangers qui viennent vivre en France de le respecter, mais la mondialisation, cette terre qui est devenue un vaste village, nous impose le devoir de respecter les autres. Si certains croyants peuvent se sentir blessés plus gravement que nous, nous avons le devoir de ne pas les provoquer.

Notre laïcité doit être préservée à tout prix, car elle offre la liberté de croire comme de ne pas croire.

La laïcité est le droit de pratiquer la religion de son choix, mais pas un refus de toutes les religions. Elle a été mise en place pour permettre une indépendance du politique et du religieux et l’on pourrait souhaiter que nos frères musulmans du monde apprennent à distinguer le religieux du social ou du politique.

Jésus disait : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. Laissez-moi critiquer la religion et je vous laisserai croire.

Encore une fois, cela ne me gêne pas que l’on se moque de la religion, mais il y a un stade où c’est la nature même de la critique qui devient dange- reuse. Une image blessante pour les yeux, pour le regard, est-ce se moquer de la religion, ou est-ce plus grave ? Une telle violence visuelle interroge : où s’arrête la liberté pure et simple d’expression ? Le Président est bien protégé, lui. Je n’ai pas le droit de l’insulter au risque de porter atteinte à la Répu- blique. Il faut affirmer que la liberté de critique s’arrête là où je blesse profondément mon frère.

Accorder tant d’importance aux représentations irrévérencieuses du sacré, cela confine à de l’idolâtrie.

Ce n’est pas du même ordre : ma foi repose dans la personne du Christ mais certaines images me blessent profondément : celles du Christ ou de l’Église où se mêlent le sexe et la violence par exemple.

On peut rire de tout mais pas avec tout le monde disait Desproges. Je note que vous, les religieux, vous n’avez décidément aucun humour !

Au contraire, d’ailleurs l’Église ne manque pas d’humour. Mais peut-on rire de tout ? Je me moque moi-même souvent de nos propres coutumes, de nos rites ou de nos anciens ornements liturgiques… Que l’on oblige l’Église à faire le ménage dans sa manière d’être et d’agir est une bonne chose, tant qu’on ne blesse pas son frère.

Pour paraphraser Beaumarchais, « sans la liberté de blasphémer il n’est pas de piété sincère » !

La piété est le lien qui m’unit à mon père du Ciel, qui relève de ma relation avec lui. La vie en société dans une véritable fraternité doit obéir à un prin- cipe fondamental : je peux me moquer de l’autre sans porter atteinte à mon frère ni le blesser dans son être, surtout son être religieux.

ALLER PLUS LOIN

Enfin libre !

Asia Bibi, Anne-Isabelle Tollet, Éditions Emmanuel, 2020, 216 pages, 17,90 €. Le témoignage exclusif d’une simple mère de famille devenue le symbole mondial de la lutte contre l’extrémisme religieux.

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