Euthanasie : souffrir ou mourir, faut-il choisir ?

11 avril 2012

tugdual derville

Controverse. L’euthanasie est un sujet d’actualité brûlant. Face à la souffrance des malades, est-il plus digne de les aider à mourir ou de les accompagner jusqu’au terme naturel de leur vie ?

Débat entre Tugdual Derville (d’Alliance Vita) et Lili Sans-Gêne

1  J’estime que c’est quand même la moindre des choses que je puisse choisir moi-même la manière dont je vais mourir et le moment où je le souhaiterai ! Je suis la personne la mieux placée pour savoir ce qui est bon pour moi et de quoi j’ai envie. Si j’ai envie de mourir, pourquoi me force-t-on à vivre ?

Le problème, Lili, c’est que dans la vie il y a deux choses qu’on ne choisit pas : naître et mourir. Pour la naissance, la chanson est connue : « On ne choisit pas ses parents, on ne choisit pas sa famille… » Vivre, c’est accueillir ce que nous sommes (de son sexe à la couleur de ses yeux) et exercer sa liberté dans ce cadre. Avec quatre limites : ma vie, le temps, mon corps… et la mort. Alors comment envisager cette mort ? D’abord on la combat : chaque être humain est animé d’une belle pulsion de vie ! Ensuite cette satanée mort est à accueillir « à son heure », sans jamais s’en faire complice. On le voit avec le suicide : « choisir sa mort », c’est un acte de désespoir qui fait mal. C’est pour cela que le suicide n’est pas un droit. Ce n’est même pas une véritable liberté : saint Augustin expliquait que la première des libertés c’est… de ne commettre aucun crime.

2 Vous êtes sacrément culotté de vous opposer au vote de cette loi, alors que 94 % des Français sont pour (1) ! Que faites-vous de la démocratie ? Y a-t-il des lois au-dessus de la volonté du peuple ?
 
Eh oui ! Il y a dans la conscience profonde de tout homme une loi de vie. Elle comprend, entre autres, l’interdit de tuer, y compris soi-même. Bien sûr, on peut transgresser cette loi, mais ce n’est ni bien, ni bon. Si 51 % des citoyens étaient pour la peine de mort, cela la rendrait-il bonne ? Quant aux sondages, ils présentent l’euthanasie comme la façon d’échapper à une « souffrance insupportable » ! Avec ce type d’expression, peut-on refuser l’euthanasie ? Trop de Français croient qu’il faut choisir entre souffrir et mourir, entre acharnement thérapeutique et euthanasie. C’est ce qu’on appelle un « choix truqué ». La réponse, c’est de lutter contre la douleur et de prodiguer des soins palliatifs.

3 J’ai vu une personne de ma famille mourir dans des souffrances épouvantables. C’est un scandale qu’on n’ait pas abrégé ce carnage : une simple piqûre, quelques cachets… On aurait dû abréger sa douleur.

Votre expérience malheureuse est de celles qui font le lit de l’euthanasie. Il reste des progrès à faire pour que chacun ait accès aux soins palliatifs comme le promet la loi… La solution n’aurait pas été de tuer, mais déjà de soulager la douleur… Ceux qui ont l’expérience des soins palliatifs savent que laisser arriver la mort à son heure est source de paix et d’accomplissement. Je l’ai vécu récemment avec mon père et je ne regrette pas ses derniers jours. Ils n’ont pas été abrégés…

4 Je ne vois pas pourquoi vous vous acharnez à vouloir attendre le tout dernier moment de la mort naturelle, quand de toute façon la personne est foutue et qu’en attendant, sa vie va être un cauchemar… Pourquoi vouloir la forcer à attendre alors qu’elle veut partir ? Rappelez-vous cette pauvre Chantal Sébire, avec sa tumeur au visage…

Avec les soins palliatifs (à ne pas confondre avec l’acharnement thérapeutique), il ne s’agit pas de retarder la mort à tout prix. Mais attention à toujours considérer les personnes comme 100% vivantes ! La sagesse populaire sait que les patients qui ont traversé des moments pénibles connaissent souvent, avant leur dernier soupir, une phase « de rémission » Nous le constatons à SOS fin de vie. Ce sont des instants (parfois des jours) précieux, surprenants, marqués par des échanges, un sourire, un serrement de main, un pardon… Ceux qui vont mourir deviennent alors des « passeurs de vie ». Par leur intensité, ces moments peuvent compter plus que des années de contacts superficiels. Le temps ultime a une autre densité : pourquoi le voler à une personne et à ses proches ? En enquêtant, pour mon livre, sur le drame de Chantal Sébire, j’ai découvert qu’elle avait refusé les soins antidouleur qui l’auraient soulagée… C’est le résultat d’une histoire compliquée, mais son suicide n’avait rien d’inéluctable.

5 Et la déchéance humaine, le corps qui ne ressemble plus à rien, l’incontinence, l’abrutissement des médicaments… Mieux vaudrait offrir un soulagement rapide.

Oui, c’est tellement tentant parfois… Et c’est bien le risque : on dira qu’être incontinent, c’est indigne de la vie, qu’arrivé à un certain stade, il vaut mieux mourir… En réalité, l’immense majorité des personnes qui deviennent dépendantes tiennent à la vie. Elles nous montrent que la dignité humaine ne dépend heureusement pas des capacités ou de l’apparence, mais de l’être. C’est notre regard qui pousse des personnes à se sentir de trop. Il est vrai que la maladie peut provoquer des situations très difficiles. Mais décider de mettre fin à une vie est encore plus violent. On le voit dans les rares pays où l’euthanasie est légale.

6 Que faites-vous de ceux qui perdent la tête, qui sont totalement handicapés (je pense à Vincent Humbert, que sa mère a dû tuer…) ? On devrait les laisser finir leur vie dignement par une « belle mort ».

Ce que j’en fais ? J’essaie de les regarder comme des frères et sœurs en humanité, d’autant plus précieux qu’ils sont fragiles. Je l’ai expérimenté à l’association À Bras Ouverts, avec des personnes polyhandicapées. Même si chacun d’entre nous a besoin des autres pour survivre, la présence de personnes très dépendantes est source d’humanisation de la société, si nous ne les excluons pas. C’est un appel à la solidarité. J’ai rencontré des proches de Vincent Humbert qui regrettent qu’on l’ait tué. Des accidentés plus lourdement handicapés que lui sont accompagnés par leurs proches et par des professionnels, avec amour et dévouement. C’est cela, respecter la vraie dignité. Pourquoi n’en parle-t-on pas ? L’euthanasie, c’est en réalité une mort indigne de l’homme. Parce que tout être humain reste toujours digne d’être soigné et d’être aimé.

(1) Sondage Ifop en août 2011

Tugdual Derville

Il a fondé en 1986 À Bras Ouverts, qui accueille des enfants et des jeunes porteurs de handicaps. Depuis 1994, il est délégué général d’Alliance VITA. L’association agit pour le respect de la vie et de la dignité humaine. Il a développé des services d’aide et d’écoute : sosbebe.org, sosfindevie.org

TÉMOIGNAGE 

Sophie Lutz est la maman de Philippine, polyhandicapée.
« Philippine a subi de nombreuses interventions chirurgicales. Il y a toujours un risque de mort. Il m’est arrivé de me dire : ‘Peut-être que ce serait mieux pour elle qu’elle meure pendant cette opération.’ Une pensée torturante pour une maman. C’est d’ailleurs la même que celle qu’on se pose quand on nous propose une interruption médicale de grossesse. Cette question affreuse, jamais des parents ni des médecins ni personne, ni aucune loi ne devraient avoir à y répondre. C’est une question qui doit rester une question. Cela garantit mon équilibre psychologique. Cette loi ferait peser un grand poids sur les consciences et certains ne pourraient pas le porter. Les plus faibles trinquent dans ces cas-là. Je vois bien que je n’aime pas Philippine comme je devrais quand je regarde sa mort comme une solution. Elle a besoin d’un amour plus grand que ça. Moi aussi d’ailleurs. »

Pour aller plus loin: 
Sophie Lutz vient de publier Derrière les apparences, Ed. de l’Emmanuel, 2012

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