CHRISTOPHE ANDRÉ : « CROIRE ET PRIER ME FONT DU BIEN »

6 mars 2022

Sans titre (52)

Médecin psychiatre, Christophe André a accompli l’essentiel de sa carrière à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, dans le service spécialisé dans le traitement et la prévention des troubles émotionnels, anxieux et dépressifs. Son livre Méditer, jour après jour (L’Iconoclaste, 2011), tiré à plus de 600 000 exemplaires et traduit en onze langues, s’est imposé comme la référence de l’initiation à la méditation. Son dernier livre, nourri de ses échanges avec ses patients, lecteurs et amis, agit comme un antidote à notre époque marquée du sceau de l’inquiétude, de la maladie et du deuil.

PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER

Vous faites le constat que l’on ne réussit pas toujours à guérir, mais parfois à consoler. Autrement dit, même si l’on se sent impuissant face à la souffrance d’un proche, tenter quelque chose est toujours mieux que rien ?

Oui, c’est ma conviction. Plus encore depuis que j’ai écrit ce livre. Il est vrai que la consolation n’est pas toujours pleinement satisfaisante : on ne résout pas les difficultés simplement en consolant, mais elle est indispensable, parce que laisser quelqu’un seul face à l’adversité est le pire des programmes. C’est le laisser vulnérable et amer, ultra-fragile ou endurci, cuirassé contre la peine, hermétique au bonheur ou à la fraternité.

En tant que soignant, j’ai longtemps été obsédé par le soin. J’ai essayé de consoler spontanément, naturellement, mais sans y mettre le meilleur de moi-même comme je pouvais le faire en prodiguant mes soins. Le jour où je suis devenu à mon tour un simple patient, menacé par la mort, j’ai compris combien la consolation était indispen- sable et devait être ample, riche.

Sans angélisme, est-il vraiment possible de dire à une personne noyée dans son chagrin ou ses douleurs : « Regarde plus loin, il y a de bons côtés à ton existence » ?

Il est bon d’avoir l’idée en tête, mais pas forcément de l’exprimer ainsi directement, surtout dans les premières étapes de la désolation !

Lorsqu’une personne est vraiment en détresse, il faut faire attention aux discours, aux exhor- tations, aux grandes paroles sur la vie. Même si ce que vous dites est vrai, ce n’est pas toujours recevable. La consolation part d’une bonne intention, mais elle fait irruption dans un univers fermé, qui est celui de la souffrance, de la peine, du chagrin. Elle s’immisce dans une vision du monde ver- rouillée par la douleur, par la désolation.

L’erreur que l’on fait souvent, c’est se dire que l’on va trouver les bons mots, les bonnes phrases, alors que, dans un premier temps, la consolation doit être plus sobre, plus pauvre : une simple présence, de l’affection, un engagement à l’action. Non pas : « Fais ceci ou cela », mais : « Viens marcher, viens avec moi regarder les vagues, le ciel… »

«Parfois je cesse de méditer et je prie »

Est-il possible de consoler si l’on est soi-même dans la peine ?

C’est plus difficile, sans doute, mais pas impossible. Je l’ai vécu quand j’ai eu mon cancer. Entre le moment où je l’ai appris et le moment où j’ai reçu mon traitement, j’ai continué d’exercer, car je ne voulais pas arrêter mon travail. Je recevais des patients dont certains se plai- gnaient – toujours trop à mon goût – et j’ai fini par me dire : « Ce n’est tout de même pas de leur faute si tu as un cancer. Continue d’être là, de les soigner de ton mieux, de leur faire du bien ! »

Avec le recul, je m’aperçois que c’est une très bonne chose. L’action altruiste fait du bien. Elle nous détourne de nos peines, de nos préoccupations, elle nous nourrit.

Vous parlez des absolus et des relatifs de la désolation, résumés en une formule populaire : « Il n’y a pas mort d’homme. » Pourtant, ces petits riens de la désolation peuvent prendre une ampleur immense dans nos vies. Que dire à ceux qui ne comprennent pas le sens de tout cela, qui s’insurgent contre la folie de la vie ?

Qu’ils ont raison ! Il y a tant de choses qui ne sont pas réjouissantes, tant de petits scandales qui ponctuent chaque heure, chaque instant de nos vies. Une fois de plus, je crois que l’idée n’est pas de raisonner, mais de chercher où se trouve la souffrance et où est la consolation. Elle n’est pas forcément dans l’amertume, le cynisme ou la révolte. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se révolter ou être en colère, mais en faire le moteur de notre action est une erreur.

Je pense qu’il faut rappeler, comme le dit le livre de l’Ecclésiaste dans la Bible, qu’il y a un temps pour l’action, un temps pour la colère, un temps pour l’acceptation et un temps pour la réconciliation.

Vous nous mettez en garde contre le péché d’orgueil de la souffrance, en citant cette phrase de Rosa Luxembourg : « On ne se rend pas la vie meilleure en étant amer. »

Oui, ce passage est issu de sa correspondance. Cette femme a dit des choses formidables. Bien sûr que la souffrance et la colère sont normales, mais Rosa Luxembourg a raison, il faut se garder des postures.

Attention, je ne dis pas que l’inconsolabilité n’existe pas ! Il y a des deuils, des fracas, dont une partie de nous-même restera inconsolable. Tous les parents qui ont perdu un enfant le savent. Pourtant, je dois faire l’effort de ne pas rester totalement inconsolable, car l’inconsolabilité est ce désir durable et profond de se couper de la com- munauté des humains. Une volonté de s’enfermer dans son deuil et sa souffrance.

Chacun a le droit d’être inconsolable et je com- prends cette tentation, mais, au fond, l’inconso- labilité nous détourne de ce pourquoi nous sommes là : s’occuper de nous et de tous ceux qui sont encore en vie : des enfants, un conjoint, des proches, des amis…

 Portrait of Christophe Andre 20/09/2021 ©Celine NIESZAWER/Leextra via opale.photo

« La foi nous console et nous sécurise. Elle nous permet de comprendre et d’accepter certains mystères, certaines énigmes insolubles comme l’existence du mal, la violence ou l’injustice. »

Vous dites aussi que la foi console ?

C’est vrai pour la plupart d’entre nous : la foi nous console et nous sécurise. La foi nous permet de com- prendre et d’accepter certains mystères, certaines énigmes insolubles comme l’existence du mal, la violence ou l’injustice. Parfois, lorsque je soup- çonne que le travail psycholgique ne va pas me suffire, je quitte la méditation et je prie. C’est une belle preuve d’abandon et de cette articulation entre méditation et prière, qui cohabitent, qui se passent le relais.

Je suis un croyant bancal, qui admire beaucoup les gens qui ont une foi robuste et dénuée de doute, mais croire me fait du bien et prier me fait du bien. Je ne vais pas déranger Dieu par mes prières pour les soucis mineurs du quotidien, mais il y a des chagrins beaucoup plus grands, des drames qui nous touchent et qui demandent un coup de main.

La consolation peut-elle effacer la souffrance ?

Non, dans la consolation, l’idée n’est pas de sup- primer la souffrance : on ne peut pas ressusciter les morts, faire disparaître les maladies ou faire revenir les conjoints partis. La consolation, c’est proposer, à côté de la souffrance, un peu de cha- leur et d’espérance, un petit peu d’ouverture sur la vie. C’est la phrase de Claudel : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence. » C’est exactement cela, la conso- lation : le problème est toujours là, la souffrance est toujours présente, mais quelque chose s’est produit, qui fait que l’on se sent moins seul. La consolation peut être le fait d’un ami, de la foi, d’une prière, d’une lecture ou d’une grâce qui nous tombe dessus sans prévenir.

Comment se laisser consoler ?

Il y a toute une génération d’hommes – dont je fais partie –, qui a eu pour habitude, pour dogme, de ne jamais se plaindre, de ne pas montrer ses émotions ou ses faiblesses. Or, pour accepter d’être consolé, il faut accepter d’être blessé, d’avoir perdu, d’être meurtri, impuissant. Si, par verrouillage émo- tionnel, orgueil ou pudeur, on ne laisse pas voir sa détresse ou ses blessures, on aura du mal à se laisser consoler. Il faut toujours proposer une consolation, y compris aux gens qui ont le plus de mal à l’accepter. Leur dire : « Je suis au cou- rant, je t’aime, je suis là, dis-moi quand on pourra se voir, je viendrai avec plaisir. » Il est important de ne jamais l’oublier.

SON DERNIER LIVRE

 

Consolations. Celles que l’on reçoit, celles que l’on donne
Christophe André,
L’Iconoclaste, 2022, 352 pages, 21,90 €.



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