AIMER DE MANIÈRE AUTHENTIQUE

7 février 2024

pere philippe

 »Si je n’ai pas le gouvernail de ma vie, rien ne marchera ». L’erreur de notre siècle est de vouloir tout contrôler. Et si on osait, en ce temps de Carême, offrir à Dieu toute notre vie ? Croire, espérer, aimer. Voici le petit miracle de la liberté intérieure. Un chemin propre à chacun soutenu par les grâces de Dieu. Rencontre avec l’auteur incontournable, le père Jacques Philippe.

PAR ANNE-CLAIRE DÉSAUTARD-FILLIOL

Qu’est-ce que la liberté ?

Je dirais que la liberté est la capacité à aimer de manière authentique. Une des désillusions d’aujourd’hui est de croire qu’être libre est facile. Il suffit de faire ce que nous avons envie et nous sommes libres. Je pense au contraire que la liberté est un apprentissage. On devient libre peu à peu avec une évolution intérieure qui nous fait comprendre la vérité des choses. « La Vérité vous rendra libres », dit Jésus (Jn 8.32).
Aujourd’hui, la notion de liberté est très conditionnée. Parfois on se croit libre alors qu’on ne l’est pas : on suit des modes, des habitudes culturelles, des impulsions intérieures, on se laisse guider par de liens malsains. Peurs, blocages, sentiments excessifs de colère, convoitises, le conditionnement peut être intérieur ou extérieur, ce dernier n’étant finalement pas le plus dangereux. Je crois que même dans des situations extrêmement défavorables à la liberté, nous pouvons trouver intérieurement une liberté véritable et authentique. Une question de fond est la question de Dieu. On y arrive inévitablement quand on parle de liberté. Il y a une tendance, depuis quelques siècles, à considérer Dieu comme l’ennemi de la liberté humaine. Dieu avec ses lois, ses prescriptions, prive l’Homme de sa liberté. L’Homme n’a plus qu’à se débarrasser de Lui pour être heureux. C’est le plus gros mensonge de la pensée humaine ! Mensonge déjà présent dans la Genèse où l’on voit le serpent jeter un soupçon sur Dieu dans le cœur d’Adam. C’est une forte tentation. L’Ecriture et la tradition chrétienne osent affirmer que Dieu est la source de notre liberté. Il nous veut libres. Jésus est le Sauveur de notre liberté. Nous avons cette audace d’affirmer que plus on obéit à Dieu, plus on lui est fidèle, plus on trouve une liberté qui nous est donnée. On sort de ces convoitises mauvaises, de ces idées tordues, de ces liens malsains pour aller vers une liberté véritable. Une liberté qui ne consiste pas à exaucer tous ses caprices mais à aimer de manière authentique, aimer Dieu, aimer les autres et s’aimer soi-même.

Vous citez Saint Paul : « Vous n’êtes pas à l’étroit chez nous, c’est dans vos cœurs que vous êtes à l’étroit » et vous dites « Notre manque de liberté vient d’un manque d’amour : nous estimons être victime d’un contexte désavantageux, alors que le problème véritable (comme les solutions) en nous-mêmes ». Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène de pensée presque naturel chez l’Homme ?

C’est une tendance profonde que nous avons. En tout homme et femme, il y a une soif de liberté. Seulement, dans beaucoup de moments de la vie, nous ne nous sentons pas libres. Nous accusons les circonstances, qui peuvent être difficiles. La véritable liberté n’est pas liée aux événements extérieures. Il est possible, avec la grâce de Dieu, dans la mesure où on accueille sa présence, de découvrir en soi-même un espace de liberté. La tâche de l’homme, c’est d’apprendre autant que possible, dans la vie qui est la nôtre, comment agrandir cet espace de liberté intérieure. Comment être ouvert au prochain, aimer Dieu, se mettre au service de nos frères et sœurs. On peut nous priver de beaucoup de choses, mais on ne peut pas nous priver de notre volonté d’aimer.

Vous parlez de consentement aux évènements de la vie. Est-ce que cela participe à fortifier la liberté qui est en nous ?

Oui, accepter ce que je n’ai pas choisi. Consentir à des choses que je n’ai pas voulues. En acceptant le réel tel qu’il est, je peux trouver un chemin de vie. Être libre, ce n’est pas seulement choisir entre plusieurs possibilités mais c’est aussi accepter, consentir avec confiance en ce que je n’ai pas désiré. Exercer cette liberté peut conduire à des situations où l’on grandit spirituellement. Des temps d’épreuve deviennent parfois une découverte de chemins nouveaux qui fortifient la foi et l’espérance.

C’est un chemin que l’on comprend peu aujourd’hui car nous sommes dans une société où nous voulons tout décider, tout planifier, tout contrôler. Nous exigeons que la vie soit conforme à nos attentes et nos désirs. C’est de l’infantilisme ! Dans la vie, il y a toujours des situations qu’on n’a pas rêvées mais qu’il faut vivre dans la confiance. En consentant à des réalités qu’on ne maîtrise pas, auxquelles on s’abandonne, on découvre des aspects nouveaux d’existence. Souvent on imagine que ceci ou cela va nous rendre heureux, on s’y précipite et puis finalement, on n’est pas si satisfait qu’on l’aurait pensé.

Consentir, est-ce différent de la résignation ?

La résignation, c’est dire « de toute façon je ne peux pas faire autrement, j’ai tout essayé, il n’y a rien qui marche’’. Un peu comme la mouche dans un bocal qui tape dans tous les côtés et puis une fois épuisée, va au fond, lassée et résignée. Dans le consentement, il y a une acceptation du réel dans l’espérance d’un bien qui peut jaillir du mal que je vis. Peut-être qu’il y a un cadeau caché dans les difficultés que je vis. Il y a un abandon à quelque chose qui nous dépasse. Par-delà une réalité pauvre, imparfaite, décevante, il y a l’intuition de Quelqu’un qui nous attend pour un plus grand bien.

Comment s’abandonne-t-on ?

Aujourd’hui, avec la volonté de tout contrôler, c’est compliqué ! Dans l’abandon il y a deux aspects. D’abord lâcher. Se laisser aller dans le courant de la vie plutôt que de vouloir nager à contre-courant. Puis se remettre à Quelqu’un d’autre, à Dieu dont on croit en la sagesse, en l’amour, en la bonté. L’abandon est une grâce mais il se travaille aussi dans les petites choses. Ne pas râler quand tout ne va pas comme on veut, ne pas imposer notre volonté en permanence. La vie nous offre beaucoup de circonstances pour travailler cela ! Cela demande de grandir en humilité. Arrêter de vouloir être meilleur que les autres et de penser « si je n’ai pas le gouvernail de ma vie, cela ne marchera pas ». Commencer à se dire que si on laisse le gouvernail de sa vie à Dieu, tout se passera bien ! Laisser la vie nous surprendre ! Cela suppose un détachement par rapport à nous-même et notre ego. Quand on entre dans cette attitude, on s’aperçoit que les choses négatives deviennent positives…C’est bon aussi de ne pas rester dans nos peurs. Le drame du péché originel, c’est la méfiance. Redécouvrir que Dieu est digne de confiance. Saint Paul disait : « Là où est l’Esprit, là est la liberté » (2 CO 3 :17). L’Esprit-Saint offre la grâce et la douce présence qui approfondit en nous la certitude de la bonté de Dieu. En retournant dans la maison du père, tu n’as plus à faire semblant de jouer un rôle, tu peux être toi-même et tu seras aimé. Cela permet une réconciliation avec soi-même et les autres. C’est ça l’espérance chrétienne : on n’a pas peur de l’avenir, des difficultés, des souffrances parce qu’on sait que quelque soient les chemins que la vie me propose, il pourra être un chemin de croissance, d’humanisation, un apprentissage d’une liberté plus profonde. La liberté, c’est de tirer de tout événement un bien. Jésus le dit dans l’Evangile : « Rien ne pourra vous faire du mal » (Luc 10.19). Evidemment, il faut respecter le chemin de chacun. Mais il ne faut pas que les coups que nous recevons nous enferment dans une revendication, une haine, une amertume, un ressentiment, un apitoiement sur soi-même. Ce qui est important est d’arriver à avoir une vision de l’existence qui me permette de me situer librement, malgré les coups que j’ai pris. Rien ne me prive de Dieu et cela me rend libre. Dans la vie, on avance beaucoup plus en étant attentif au bien qu’on fait plutôt qu’au mal qu’on a subi.

La gratitude envers le Seigneur peut-elle être source de liberté ?

Il n’y a pas de nuit sans étoiles. La gratitude est un chemin de guérison. Quelqu’un qui nous sourit, un oiseau qui chante devant notre fenêtre. Au lieu d’être focalisé sur le mal, on est ouvert au bien. Le cœur s’ouvre à nouveau à la vie, à l’espérance. Au lieu de considérer que tout est un dû, la gratitude aide à percevoir que tout est un don. C’est une attitude intérieure qui fait évoluer. Cela demande un certain courage, une confiance et une espérance en Dieu. Ce sont des grâces qui se demandent !

Vous parlez des vertus théologales (virtus = force) que sont la foi, l’espérance et la charité. A la fin, il ne restera que l’amour. Comment s’articulent ces vertus ?

On les appelle théologales car elles permettent de nous ouvrir aux mystères de Dieu. Quand je crois, je m’ouvre aux mystères de Dieu. Quand j’espère, je m’appuie sur Dieu pour mon avenir. Quand j’aime, je m’ouvre à Dieu et au prochain. Quand ces attitudes se fortifient dans notre cœur, cela nous rend plus libres. Elles se soutiennent les unes les autres. Quand on sera dans le Royaume, l’amour seul restera. Dans la vie, il faut parfois renouveler son espérance pour pouvoir continuer à avoir envie de donner et l’espérance est fondée sur la foi qui me dit que Dieu est bon, qu’on peut s’appuyer sur Lui. La foi et l’espérance sont un peu comme les ailes de l’amour. Quand elles sont grandes et fortes, elles vont porter et faire grandir l’amour. Lorsqu’elles sont petites, quand on est dans la peur, le pessimisme, le découragement, les ailes se rétrécissent. On se replie sur soi-même. Cela conduit à l’égoïsme et éloigne de l’amour de l’autre et de soi-même. Le dynamisme fondamental de la vie chrétienne n’est pas seulement d’adhérer à des dogmes ou professer une morale, même si c’est nécessaire. Un chrétien qui croit en Dieu de tout son cœur, n’est jamais découragé par les déceptions car il espère sans cesse en Dieu et aime Dieu, son prochain et lui-même. Quand on aime, la vie a un sens. La vie devient triste et ennuyeuse quand elle n’est pas habitée par un grand Amour.

Aimer, c’est aussi aimer ceux qui nous ont blessés ?

Avec la grâce de Dieu, le pardon est possible et il nous rend libres. Les ressentiments disparaissent peu à peu. Ce chemin de l’amour inconditionnel du prochain est difficile mais l’Evangile nous invite sur cette route. Le pardon nous rend libre par rapport au passé. Quand on refuse de pardonner, on reste dans une dépendance et le cœur n’est pas libre. L’Evangile est un chemin exigeant mais c’est un chemin de vérité, de vie et de paix. Et c’est une des expressions de la liberté que d’aimer ceux qui ne nous aiment pas !

Vous citez « Heureux les pauvres ». Qu’est-ce qui pourrait, en ce temps de Carême, nous faire grandir en pauvreté ?

Le pauvre est celui qui est sorti de cette position de contrôle, de toute puissance. Le pauvre ne s’appuie plus sur lui-même mais sur Dieu. Le pauvre trouve en Dieu sa confiance et son espérance. Il s’accepte comme il est, avec ses grâces et ses faiblesses parce qu’il se sait aimé de Dieu. Être pauvre, c’est se remettre entre les bras du père. C’est accepter que mon trésor ne soit pas moi-même (mes capacités, mes réussites) mais que mon trésor soit Dieu (sa miséricorde, son amour infini). Si je fais de Dieu mon trésor, mon espérance, ma richesse, mon avenir, je serai libre car on peut tout perdre, mais on ne peut pas perdre Dieu.

 

La liberté intérieure
Jacques Philippe, Éditions des Béatitudes, mai 2004, 176 pages, 9,90€.

Même dans les circonstances les plus défavorables, nous possédons en nous un espace de liberté qui nous garde de tout mal. Ce n’est pas un rêve mais un chemin que propose de parcourir le père Jacques Philippe.

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