À chacun sa religion ou sa croyance ?

11 octobre 2012

Denis Biju-Duval

Débat. Il est courant aujourd’hui d’avoir une vie spirituelle loin de toute pratique religieuse ou d’une croyance en Dieu. Chacun se crée sa religion personnelle, reflet d’un besoin de vie intérieure. La croyance doit-elle s’ancrer dans une religion précise ?

Débat entre Lili Sans-Gêne et Denis Biju-Duval.

1 Petite, je suis allée au caté : cela m’a ouverte au sens religieux. Depuis, je me suis intéressée à d’autres traditions : la méditation bouddhiste et la mystique soufie notamment. Quand je communie avec la nature, je sens bien aussi que le monde baigne dans un mystère. Il me semble qu’il ne faut pas s’enfermer dans une seule tradition. Il y a du positif dans toutes les religions et dans toutes les expériences spirituelles que l’on peut faire.

Notre cœur ne se contente pas de satisfactions à court terme : ta recherche spirituelle en témoigne. Mais je crains que, sans t’en rendre compte, tu ne restes très centrée sur toi-même. Est-ce que tu ne te fabriques pas ta petite religion individuelle, expression de tes préjugés ? Si c’est le cas, tu n’entres pas vraiment dans une dimension qui te dépasse. Tu sélectionnes ce qui t’arrange, ce qui ne te remet pas trop en cause.

2 Mais si je m’enfermais dans une unique tradition religieuse, je perdrais les richesses que j’ai découvertes dans les autres.

Est-ce si sûr ? Pour comprendre la féminité, vaut-il mieux, pour un homme, papillonner d’une femme à l’autre, ou se risquer à une relation unique et profonde ? Dans un cas, il ne retient des femmes que les traits superficiels qui lui conviennent. Dans l’autre, il apprend à aimer une personne telle qu’elle est. Il s’ouvre à son mystère, il apprend à l’écouter pour de bon. Et par-là, il en apprend bien plus. Dans le domaine spirituel, c’est la même chose. Le religieux, c’est la question de l’Absolu. Mais si tu papillonnes d’une version à l’autre, une chose est sûre : ce n’est plus l’Absolu que tu trouves, c’est ce que tu en fais d’après tes propres états d’âme.

3  Tu oublies une chose. Absolutiser une religion, c’est la source de toutes les intolérances. Tu possèdes la seule vérité, et les autres sont dans l’erreur ! En fait, tu les méprises, ou pire, tu les forces à se soumettre à TA vérité. Combien de croisades, de djihads et autres guerres de religions viennent de là ? Au contraire, ma démarche reste ouverte et tolérante.

Mais à quel prix ? Déjà, on peut respecter profondément autrui sans être d’accord avec lui sur tout. Là nous ne sommes pas d’accord, mais ça ne nous interdit pas d’être amis et d’aller prendre un pot ensemble. Par ailleurs, tu ne respectes pas les religions : tu n’en récupères que des miettes, et tu en refuses l’essentiel, le sens de l’Absolu, le sens de Dieu. Tu veux bien t’intéresser à tel ou tel thème religieux, mais à une condition : n’y croire que modérément, et surtout ne pas y jouer ta vie. N’est-ce pas un mépris inconscient des religions, peut-être pire que celui que tu prétends dénoncer ?

4 Non, comme je te disais, j’ai le sens de Dieu, j’ai un vrai désir spirituel. Ce que nous appelons « Dieu » s’exprime dans l’expérience multiforme de l’humanité. Toutes les spiritualités convergent vers le même mystère. Plus on essaie de les connaître largement, plus on est capable de voir l’essentiel, l’expérience du divin, et de relativiser le détail des croyances et des pratiques.

Ta vision ne correspond pas à l’état concret des religions du monde. Il y a de vraies incompatibilités entre elles qui rendent impossible une synthèse. Les religions, ce peut être Mère Teresa, mais aussi les sacrifices humains chez les Aztèques. Crois-tu qu’on puisse vraiment trouver un point commun spirituel entre de tels extrêmes ?

5 Je pense qu’on peut démêler l’essentiel de l’accessoire ou même du pervers.

Non, car tu court-circuites une autre question. Tu te limites à la recherche humaine du divin. Pas étonnant donc que tu ne trouves que des réalités mêlées. Les religions humaines charrient du bien et du mal parce qu’elles sont à l’image de l’homme lui-même. Ta propre recherche est elle aussi grevée de tes propres limites, et tu ne peux en sortir par toi-même. Tout cela n’est pas bien fiable. Or les religions posent la question inverse : Dieu cherche-t-il l’homme, a-t-il pris l’initiative de lui ouvrir les secrets de son cœur et de sa vie ? Et si oui, où, quand, comment l’a-t-il fait ? Car alors la source pure sera accessible : ce que Dieu nous dira de lui et de son projet sera bien plus sûr et plus profond que ce que nous pouvons découvrir par nous-mêmes.

6 Oui mais le problème avec ton approche, c’est qu’elle nous obligerait à abandonner une recherche universelle pour des légendes locales pas très crédibles. Croire que Jésus a vraiment marché sur l’eau, ou que Mahomet a vraiment rencontré l’ange Gabriel, c’est s’attacher à des fables, genre Blanche Neige. On peut bien sûr en tirer une morale spirituelle, mais ce serait infantile de croire la réalité de ces petites histoires merveilleuses.

Au contraire, c’est là que tout se joue. Soit le « divin » est universel, mystérieux et anonyme, et tu fais bien de te méfier d’histoires trop « locales », trop concrètes. Soit Dieu est Amour personnel absolu, et alors l’histoire concrète devient centrale. Si tu aimes vraiment quelqu’un, ce qui t’intéresse, ce n’est pas l’expérience universelle de l’amour : c’est cette personne-là, unique, c’est votre rencontre, les difficultés que vous avez affrontées, les initiatives gratuites que vous avez prises l’un à l’égard de l’autre, ce que vous avez construit ensemble. Avec Dieu, c’est la même chose : s’il est Amour personnel, c’est l’histoire concrète qu’il noue avec nous qui devient essentielle.

7  Tu ne crois pas, là, que tu t’imagines un Dieu un peu trop à notre image, tellement concret qu’il nous ressemblerait jusque dans nos limites et nos imperfections ?

Soit Dieu est un mystère inaccessible et anonyme, mais nous sommes tentés d’en faire une personne à notre image pour le soumettre à nos cadres. Soit ce que nous sommes comme personnes – et notre soif d’aimer et d’être aimés – sont sur terre ce qu’il y a de plus grand et de plus mystérieux, parce que Dieu nous a faits à son image. Et il l’a fait parce qu’il est Amour personnel absolu, et qu’il a voulu gratuitement que d’autres que lui partagent sa vie.

8 Je préfère imaginer une synthèse spirituelle entre ces deux points de vue.

Impossible. Dans un cas, tu vis une expérience spirituelle solitaire. Ton identité personnelle va se relativiser et se noyer dans le divin en général. Dans l’autre, tu n’es jamais seul, tu es aimé tout entier par Dieu d’un amour personnel infini, et il veut nouer avec toi une histoire qui s’accomplira dans un « face à face » amoureux, absolu et définitif qui comblera toutes tes soifs spirituelles. C’est cela que Dieu nous offre dans le Christ, et c’est pour cela que la réponse de chacun ne peut pas être forcée. C’est Dieu lui-même qui tient à ce que notre « oui » soit donné par amour et non par force.

Denis Biju-Duval, Ce prêtre de Dijon est diplômé de l’école Centrale de Paris. Il en garde un goût pour l’exercice rigoureux de la raison. Il est professeur de théologie à l’Université du Latran à Rome. Cet intellectuel a une passion simple : la marche en montagne. 

Pour aller plus loin :

L’expérience interdite, Joseph-Marie Verlinde, Ed. Saint-Paul, 1998

www.final-age.net

Retrouvez d’autres questions sur le site aleteia.com, le site des chercheurs de Dieu : www.aleteia.org

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