Remarqué dans Au service de la France ou Baron noir, l’un des acteurs les plus brillants de sa génération s’est emparé avec talent du rôle-titre de Vaincre ou Mourir. Il campe un général Charette inébranlable, charismatique et plein de fougue, jeté corps et âme dans la tourmente de la guerre civile. Le 22 février, il sera à l’affiche d’Apaches de Romain Quirot et prochainement sur Apple TV+ dans la série The New Lookaux côtés de John Malkovich et Juliette Binoche.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER
Racontez-nous la genèse du projet : comment avez-vous rejoint l’équipe de Vaincre ou Mourir ?
C’est l’histoire atypique d’un film atypique. Les deux coréalisateurs, Paul Mignot et Vincent Mottez, se sont rapprochés de moi et m’ont raconté une histoire qui m’était totalement inconnue, tout comme le personnage de Charette d’ailleurs. J’ai trouvé ça fou ! J’avais pourtant étudié la Révolution française, comme tout le monde, je connaissais les fondamentaux, en quoi l’épisode de la Terreur avait pu être sanglant, mais j’ignorais que la Vendée avait été indépendante pendant 3 ans et qu’elle avait connu une insurrection paysanne menée par un simple officier de marine en retraite. J’ignorais surtout à quel point cela avait été crucial dans l’histoire de la Vendée et le poids de sa souffrance.
C’est l’inédit qui vous a séduit ?
Lorsqu’une production française s’essaye au film historique, on a envie d’en être ! Cette partie de l’histoire de France, largement sous-exploitée, a été racontée dans des chefs-d’œuvre de la littérature comme Quatre-vingt-treize de Victor Hugo, Les Chouans de Balzac ou Blanche de Beaulieu d’Alexandre Dumas… En 220 ans, elle n’a perdu ni sa puissance ni ses ressorts émotionnels. Tourner un film historique pour raconter pour la énième fois une histoire que tout le monde connaît n’a rien de franchement passionnant mais cette histoire-là, on voudrait l’écrire qu’on ne le pourrait pas !
En me rendant en Vendée, j’ai aussi pris conscience de la responsabilité qui m’incombait. Il ne s’agissait pas de faire n’importe quoi. Je n’ai pas dit oui tout de suite, car j’ai estimé qu’on ne pouvait pas faire un film qui ne mette pas à l’honneur l’histoire des Vendéens, qui ne rende pas hommage aux victimes ou qui tombe dans le manichéisme.
Qu’est-ce qui vous a convaincu ?
Les deux réalisateurs avaient décidé de faire cela sérieusement. Ils ont interviewé une multitude d’historiens, de tous bords, aux visions très contrastées, nuancées, et ils en ont tiré le scénario du film, en essayant de rester honnêtes dans leur démarche et de s’intéresser aux faits incontestables. Ils savaient combien le sujet pouvait être épineux et ils ont accompli un travail irréprochable. Tout le casting a eu accès à ce travail préparatoire et c’est lui qui nous a convaincu. On a été bluffés. Il faut absolument se plonger dans le dossier pédagogique disponible sur le site du film (www.vain-creoumourir.fr) pour s’en rendre compte.
J’imagine que vous n’avez pas été déçu…
C’est un rêve d’enfant de faire un film comme celui-là. Comment refuser de s’entraîner pendant deux mois avec des cavaliers et des maîtres d’arme ? Nous avons partagé des moments uniques dans des décors naturels avec des centaines de figurants, des moments de vie très fort. Quand on est un acteur, on a la chance de se plonger dans un nouvel univers à chaque film et j’ai eu beaucoup de chance jusqu’à présent.
Comment est-ce qu’on s’empare d’un mythe tel que Charette, héros royaliste pour les uns, ennemi de la République pour les autres, passé aux oubliettes de l’histoire nationale depuis plus de 200 ans ?
Qu’y a-t-il de plus intéressant ou de plus passionnant dans la vie que de soulever le débat ou provoquer un questionnement ? Le but du cinéma et des films est là : mettre en lumière une histoire qu’on ne connaît pas et faire réfléchir le spectateur. C’est cela qui m’attire. C’est en posant des questions que l’on réconcilie les gens, en suscitant le dialogue, en examinant et en assumant le passé.
Ce qui m’a plu dans ce film, c’est son universalité. Sans connaître parfaitement le sujet, on peut s’identifier à Charette dans sa propre quête, dans ses propres épreuves. Il est un type de personnage, de figure héroïque dont on a tous besoin : celui qui nous donne de la force, dont les devises sont universelles et intemporelles. « Combattu souvent, battu parfois, abattu jamais. » C’est une phrase que l’on peut faire sienne dans n’importe quel contexte, pays ou époque, quel que soit notre idéal ! J’avais besoin de films comme ça quand j’étais ado et j’en ai toujours autant besoin. Avoir des gens à qui je pourrais penser dans des moments difficile en me disant : « Qu’est-ce qu’il ferait à ma place ? » Ces personnages-là, qui sont plus grands que nous, nous donnent la force de nous hisser plus haut.
Charette est pourtant un personnage ambivalent : indifférent à la révolte qui enfle, il qui va soudain se jeter dans le combat et forger sa propre légende, y compris au détriment de ses hommes et de son armée de paysans.
C’est ce qui fait que le film est intéressant et pas manichéen justement. Charette, le général Travot (Grégory Fitoussi), Prudent de La Robrie (Rod Paradot), le député Ruelle (Jean-Hugues Anglade)… les figures historiques sont flamboyantes de part et d’autre. Prenez les films avec Kevin Costner ou Mel Gibson comme Robin des Bois, prince des voleurs ou Braveheart: quand on a fini de regarder Braveheart, on ne pense pas qu’à l’Écosse ! On pense au type qui dit : « C’est mon île ! » parce qu’il nous touche. Le personnage de Charette commet des exactions, il fait fusiller des prisonniers et on le montre. Il pose un cas de conscience. Il y a une phrase très forte dans le film : « La guerre nous apprend à être ce qu’on n’est pas. » Cette phrase dit tout des souffrances qui engendrent des atrocités et des atrocités qui engendrent à leur tour des souffrances. Elle dit aussi qu’il peut y avoir de l’honneur dans les deux camps. Personne n’est exempt de commettre des erreurs. Il est difficile, quand on est plongé dans un tel combat, de se comporter toujours comme on le voudrait.
Ce film est aussi l’histoire de gens qui ont défendu leur foi, leur clergé et qui ne voulaient pas obéir à des lois qu’ils jugeaient iniques et allant contre leur liberté de conscience.
Il faut se replacer dans le contexte. On ne se rend pas compte de la vie à l’époque. Le sacré avait un sens. Si l’on nous privait aujourd’hui de ce que nous avons de plus sacré comment réagirions-nous ? La Révolution fut d’abord bien accueillie mais très vite, elle a modifié les us et coutumes, les habitudes. La République a changé le mode de vie des paysans du jour au lendemain et levé des troupes pour aller combattre aux frontières, à l’Est. Pourquoi se sacrifier pour des gens qui vont à l’encontre de votre liberté de conscience ? Les mêmes problèmes se répètent éternellement et sont la source de conflits parfaitement évitables.
Quelle leçon faut-il en tirer selon vous ?
Il est toujours facile de se demander en 2023, avec des siècles de recul, loin des milliers de mort, des massacres ou de la noyade de familles entières, comment on aurait vécu les choses. Est-ce que l’on pourrait aujourd’hui retomber dans un système totalitaire ? Oui. Autant prévenir avant que la guerre civile ne survienne, car une fois que le conflit est entamé, il est très difficile de retrouver la paix. Je trouve que ce film est très instructif à cet égard. En effet, si l’on se retrouvait dans un contexte équivalent, il permettrait peut-être d’agir de façon plus mesurée et de prévenir de futurs conflits ou de combats qui pourraient être sanglants. Sa démarche est extraordinairement positive.
Le film montre à plusieurs reprise les états d’âme d’un Charette tourmenté, aux prises avec sa conscience. Des scènes où se mêlent les songes et la réalité, pourquoi ?
Ces scènes nous permettent d’accéder à la vie intérieure du personnage, de comprendre comment un homme pareil fonctionnait. Désabusé, il n’a pas envie de s’investir dans le conflit, il a mené assez de combats dans sa vie. Après avoir prêté serment, il s’implique de façon obsessionnelle. Le reste n’existe plus. Je partage son idée que pour réussir quelque chose il faut être obsédé, sans quoi on n’y parvient pas. Son système de pensée est devenu le mien, je me suis donné totalement à mon personnage. Quand l’implication est totale, ça change tout. Je suis persuadé que, lorsque l’on mène une vie comme celle de Charette, chaque seconde peut devenir la dernière, on ne vit plus les choses avec la même intensité, on réfléchit à ce que l’on peut laisser derrière soi. Chaque acte, chaque parole, chaque attitude doit avoir du sens. S’ils doivent être les derniers, ils doivent avoir du sens.
Il y a chez Charette et tous ses camarades une dimension qui transcende la simple action politique : la foi. Est-ce que cela vous parle ?
C’est à cela que les gens se reconnaissent. Cette force nous parle. La foi des personnages leur donne une force et une détermination à toute épreuve. Elle est la seule façon de faire des choses intéressantes, positives et porteuses d’espoir. J’ai un grand respect pour cela et je crois que c’est, une fois de plus, universel. On a tous une quête, un idéal. Quelle que soit notre origine sociale, notre nationalité, notre âge ou notre religion, cette foi nous guide. Je crois que beaucoup d’entre nous pourront s’identifier à ces personnages passionnés et animés d’une telle foi dans leurs propres combats et leur propre quête. Il ne fallait pas l’atténuer, bien au contraire.
SON FILM
Vaincre ou mourir
Le récit inédit de la fabuleuse épopée du général en chef des armées vendéennes pendant la Terreur : François-Athanase Charette. Resté à l’écart du mouvement contre-révolutionnaire qui gronde aux portes de son château, il prendra malgré lui la tête des insurgés au prix de tous les sacrifices… (Retrouvez notre critique page 14). Déjà dans les salles.