Imposer la foi chrétienne à d’autres cultures ?

21 janvier 2017

Père Vincent Sénéchal

Débat. Silence, le nouveau film de Martin Scorcese sur les missionnaires martyrs au Japon au XVIIe siècle, sort en salle le 8 février. Il montre ce qu’ont pu endurer les chrétiens à cette époque. Tout en posant la question de la pertinence de ces missions.

Débat entre Lili Sans-Gêne et le Père Vincent Sénéchal.

Je ne comprends pas pourquoi les missionnaires jésuites sont allés dans cette galère, ni pourquoi ils ont voulu changer la religion – et donc la culture – d’un peuple si raffiné et à l’histoire multiséculaire ? C’est bien la prétention de l’homme occidental !

Ce n’est pas une prétention d’homme occidental, car Jésus n’était pas occidental : né en Palestine, il était oriental. Son message – le bonheur qu’il propose aux hommes par la connaissance de Dieu comme Père – est universel ; il vaut pour tous.

Moi-même, j’ai vécu en Asie et j’y ai bien vu que les ombres et les lumières des personnes sont les mêmes que chez nous, en Europe. Il y a, là-bas comme ici, des ambitieux, des généreux, des rancuniers, des menteurs. La soif de bien, de beau, de bon est la même partout, et c’est Jésus lui-même qui a nous dit de porter ce Dieu-Amour à toutes les nations.

De toute façon, le christianisme ne pouvait pas pousser dans cette région. C’est un autre monde. Comme l’explique un personnage du film Silence, le christianisme est sans doute une vérité en Europe, mais pas au Japon où le bouddhisme détient la vérité. Et d’ailleurs, la greffe n’a pas pris et la réaction de rejet a été très violente. Preuve s’il en est qu’il n’y a pas de vérité universelle en matière de religion.

Faisons un détour par la Corée, pays voisin du Japon, si vous me le permettez. Voilà une Église née par la Parole de Dieu : au XVIIIe siècle, quelques lettrés et hauts fonctionnaires coréens avaient bien compris que leur société avait des manques ; ils aspiraient à une société plus fraternelle, plus juste et un autre type d’organisation. Lors d’un voyage à Pékin, ils ont reçu la Bible ; ils ont lu les Actes des Apôtres, ils ont cru en Jésus et ils se sont mis à vivre comme les premières communautés chrétiennes. Aujourd’hui, les chrétiens représentent près d’un tiers de la population sud-coréenne. Cela montre bien que le christianisme peut s’enraciner dans cette région du monde et que la soif de vérité des personnes, sous toutes les latitudes, peut trouver une réponse. Le christianisme s’est développé en Corée à la fois en tenant compte de la culture locale et en communion avec l’Église universelle. Il n’y a pas d’uniformité dans la façon de vivre en chrétien, mais il y a une universalité.

En plus, comme l’explique l’un des prêtres apostats dans le film, les pauvres martyrs chrétiens du Japon n’étaient en réalité pas plus chrétiens que cela. Ils sont morts non pas pour Dieu mais pour ces missionnaires qu’ils avaient pris en admiration. Ils ne comprenaient pas vraiment la foi qu’ils professaient, car la barrière de la langue était trop grande. Quel gâchis !

En devenant chrétiens, ces convertis japonais savaient ce qu’ils faisaient. Car devenir chrétien en Asie n’est pas anodin, aujourd’hui comme au XVIIe siècle, époque où se passe le film. Les proches, les voisins posent des questions au converti et l’interpellent : « Tu es devenu un traître à ta nation. » On ne peut pas devenir chrétien en Asie sans être capable de justifier sa foi. Peut-être les chrétiens japonais évoqués dans le film Silence ne pouvaient-ils pas écrire de traité de théologie à propos de leur foi, mais ils savaient ce qu’ils faisaient : ils étaient attachés à la personne du Christ, et ça, c’est bien ce qui définit le chrétien ! S’ils n’avaient pas su ce qu’ils faisaient, ils auraient accepté d’apostasier, ils auraient renoncé sans hésiter à leur foi.

Quelle barbarie que toutes les persécutions endurées par ces pauvres paysans japonais ! Si les missionnaires n’avaient pas voulu leur imposer leur foi d’importation, ils n’auraient pas subi toutes ces cruautés.

J’admire beaucoup les martyrs d’Asie. Il n’y a pas eu que les martyrs du Japon, il y a eu ceux de Corée, du Vietnam, de Chine et d’ailleurs encore. Si vous visitez la Salle des martyrs aux Missions étrangères de Paris, 128 rue du Bac, vous comprenez rapidement que dans le refus de fouler la croix ou les images pieuses, se joue l’attachement au Christ. Comme pour les premiers chrétiens qui refusaient de sacrifier aux empereurs romains, il s’agit bien de dire qui est le maître de sa vie. Les chrétiens japonais ont été placés devant un choix et ils ont estimé que l’acte d’apostasie était vraiment un acte grave. C’est là que l’on voit la profondeur de leur foi et c’est tout à leur honneur. Ils ont été cohérents avec leur choix de vie, face à des persécuteurs qui leur refusaient la liberté de conscience.

Mais pourquoi faire tout un plat de marcher sur ce qui ne reste qu’une image. Dans votre propre foi chrétienne, il me semble que vous n’êtes pas panthéiste ni idolâtre. Croire que fouler ces images au pied serait faire du tort à Dieu, n’est-il pas contraire à votre foi ? Alors pourquoi avoir poussé ces jeunes chrétiens à refuser de commettre cet acte qui leur aurait pourtant épargné bien des souffrances inutiles, en les invitant à préférer mourir plutôt que d’apostasier ?

Les actes symboliques ne sont jamais anodins ! Il y a des actes symboliques bons qui construisent et des actes symboliques mauvais qui détruisent intérieurement. Ceux qui veulent humilier le savent bien. Au Cambodge, les Khmers Rouges qui avaient transformé certaines mosquées en lieu d’élevage de porcs le faisaient pour humilier la minorité musulmane. Les nazis forçaient les juifs à porter l’étoile jaune pour les humilier. L’image représente la personne. En Thaïlande, si vous dégradez volontairement l’image du roi, vous serez jugé et emprisonné. Si on vous demandait de cracher sur la photo de la personne qui vous est la plus chère au monde, votre mère, votre épouse ou votre fils, le feriez-vous ? Et si vous le faisiez, quelle estime de vous-même vous resterait-il ? La liberté de conscience, lorsqu’elle est attaquée, avilit et dégrade la dignité humaine.

Si le second concile de Nicée en 787 a mis fin à la querelle iconoclaste en autorisant le culte des images tout en interdisant sévèrement leur commerce, c’est pour la raison suivante : si le Christ s’est incarné, il est donc possible de représenter physiquement le Fils de Dieu, et de peindre les saints. Bien sûr que les chrétiens ne sont pas idolâtres. Ils aiment et respectent leur Créateur pacifiquement et fidèlement.

Le titre du film, Silence, évoque le silence de Dieu au cœur même de la persécution. C’est un Dieu sadique, dites donc. On comprend que les missionnaires se soient mis à douter de leur propre foi et de l’utilité de leur engagement dans ces conditions.

Le silence de Dieu fait partie de la vie spirituelle et, des exemples récents parmi les plus grands saints (Mère Teresa) nous montrent que le silence de Dieu est une épreuve de la foi. Saint Jean de la Croix, au XVIe siècle, parle à ce sujet de « la nuit obscure » de la foi. Ceci dit, l’Église considère comme martyrs des chrétiens pour qui le martyre passif et le martyre actif ont été prouvés. Le martyre passif, c’est le fait d’être tué en haine de la foi. Le martyre actif, c’est, au moment d’être mis à mort, le chrétien qui donne sa vie en communion avec le Christ. Dans l’histoire, les moments de persécution sont le moment-test de la foi. Le doute, la révolte même parfois, peuvent s’immiscer, mais ce n’est pas parce que quelques-uns tombent (on les appelait les « lapsi » dans les premiers siècles chrétiens) que le témoignage de foi donné jusqu’au bout n’a pas de valeur.

Silence : Sortie le 8 février.
Film de Martin Scorsese, avec Andrew Garfield, Liam Neeson.

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