L’ADDICTION AU SPORT, C’EST POSSIBLE ?

18 septembre 2024

Le sport est une bénédiction, les papes l’ont dit ! Mais attention, en abuser peut devenir dangereux pour la santé. Pauline de Vaux, psychiatre et addictologue, nous alerte sur les risques d’une pratique trop intensive.

PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE LEMAIRE

On a tendance à penser que, puisqu’il est à l’origine bon pour la santé, le sport ne peut pas se révéler dangereux. Qu’en est-il réellement ?

Bien sûr, le sport est très bon pour la santé et même indispensable pour rester en bonne santé. Mais comme pour tous nos comportements, pensées, sentiments, il y a une limite à ne pas dépasser sous peine d’avoir des problèmes. C’est le cas pour la nourriture, le sport, et même la passion amoureuse !

Toutes les activités mentales ou physiques qui mettent en jeu le système de récompense dans notre cerveau peuvent nous faire courir le risque de dépasser la dose et ainsi d’approcher de l’addiction. Car le plaisir (ou la sensation) rend addict.Et s’il est recherché pour lui-même sans autre finalité, le cerveau en demande toujours plus. Nous ne sommes pas tous égaux face à la recherche de sensation. Certains aiment beaucoup le risque, le frisson et le recherchent, d’autres beaucoup moins ou pas du tout. Pour le sport, cela commence souvent de façon insidieuse. Peu à peu, on passe de « j’ai envie de courir pour être en forme » à « j’en ai besoin ». Une nécessité impérieuse commence à se manifester. On devient comme shooté !

La bigorexie (addiction au sport) ne fait partie du classement des maladies mentales que depuis quelques années. Qu’est-ce qui explique que les gens deviennent malades du sport aujourd’hui (manque de foi ? de repères, de stabilité, …) ?

L’addiction au sport est assez répandue actuellement. L’offre augmente avec le développement de salles de sport dans des proportions impressionnantes. On estime que la bigorexie concerne environ 10% des sportifs. Chez les sportifs de haut niveau mais aussi, et de plus en plus, chez les amateurs. Pour construire une addiction, on dit qu’il faut la conjonction de trois facteurs : une vulnérabilité personnelle (liens familiaux distendus, précarité de la situation professionnelle etc.), un contexte (notre société actuelle d’hyperconsommation) et un produit gratifiant (libération d’endorphine dans le cerveau). Ainsi, l’addiction viendra combler les manques, faire oublier les espoirs déçus et remplir une vie qui manque de sens. Car outre les sensations ressenties, et les gratifications éphémères, l’addiction consomme beaucoup de temps. Et on peut passer sa vie à faire du sport et la vie passe…

Quelles sont généralement les causes de l’addiction au sport ? Y-a-t-il un profil type des personnes touchées ?

Même si les addictions procèdent toutes des mêmes facteurs, il est certain que le profil des addicts au sport a une spécificité. Il est marqué par une recherche de performance, de réussite, une très forte sensibilité à son image. Les sports les plus à risque d’addiction sont les sports d’endurance, les sports artistiques et les sports plutôt sans complexité et répétitifs.

Quelles sont les conséquences d’une pratique trop intensive d’un sport sur la vie sociale, la vie professionnelle et familiale ?

Une addiction au sport, comme les autres addictions, se reconnait au fait que la personne a du mal à se passer de son produit, en l’occurrence ici d’une activité sportive. Et que ces activités sportives prennent de plus en plus de place. La personne qui devient addict va préférer le sport à sa vie familiale, ou amicale, ou même professionnelle. Peu à peu arrive le besoin d’augmenter la quantité pour ressentir du bien-être. La pratique devient alors de plus en plus ritualisée, la personne devient intolérante à toute remarque. A ce moment, si elle arrête, elle peut présenter des signes de sevrage (tristesse, troubles du caractère avec impulsivité, intolérance à la frustration…). La personne peut se retrouver de plus en plus seule, ses centres d’intérêt diminuent, avec parfois des conséquences fâcheuses sur le plan professionnel, familial, affectif….

Où se situe la frontière entre une pratique intensive saine et le début d’une pratique addictive ?

L’entrée dans une pratique addictive ne se fait pas d’un seul coup. Elle va s’installer sans faire de bruit et grignoter progressivement l’emploi du temps de la personne. Au début, les bénéfices secondaires sont importants et très valorisants (perte de poids, santé retrouvée, sommeil, moral…). Puis arrivent les mauvaises nouvelles (ennuis de santé, isolement, éclatement de la famille, perte d’emploi). Bien souvent, on devient addict sans y faire attention, car les débuts sont même valorisés par l’entourage et la société, qui encouragent beaucoup la pratique d’une activité sportive.

Mais progressivement la personne minimise ses consommations, ses heures d’entrainement. Elle va trouver des combines, des excuses et peu à peu va s’enfermer dans un déni aveuglant. Quand on s’en rend compte, il faut vite baisser les doses, et, si besoin, aller consulter pour comprendre la place démesurée occupée par cette pratique dans sa vie. L’addiction est aussi une maladie de remplissage, d’une vie parfois vide.

L’addiction au sport peut-elle entraîner d’autres types de pathologies ?

Bien sûr. L’addiction au sport peut inciter le sujet à contrôler son poids au-delà du raisonnable. Mais aussi à consommer des produits pour augmenter ses performances. Et son cerveau stimulé par le sport sera plus sensible à l’action des drogues. Tous les addicts ont un cerveau qui a besoin de sensations, de récompense immédiate. On peut passer d’une addiction à une autre jusqu’à ce qu’une d’entre elles prenne le pas sur les autres. Tout est une question de vulnérabilité. Chacun de nous présente une vulnérabilité individuelle qui lui est spécifique, en lien avec son hérédité, son histoire, son vécu émotionnel et sa psychologie, sa quête de sens. Les carences de toutes sortes (affectives, éducatives, existentielles ou spirituelles) sont très présentes dans l’histoire des personnes touchées par les addictions.

Pour certaines personnes, le sport est tout. Et parfois, les sportifs professionnels deviennent pour eux véritablement des idoles. Comment faire la part des choses et accorder au sport ou aux sportifs célèbres la place qui leur revient réellement ?

Le sport est extrêmement valorisé dans nos sociétés et ce phénomène s’amplifie de plus en plus. C’est étonnant de voir comment les grands sportifs peuvent devenir des idoles pour certains, et notamment les sportifs les plus fortunés, l’argent étant gage de succès. L’idolâtrie, c’est le résultat d’un transfert de ma propre puissance, de mon pouvoir, à un « objet » à qui j’accorderai de la puissance sur ma vie et qui occupera toute ma conscience. L’idole exerce sur la personne une fascination aveuglante. Elle est générale[1]ment puissante, forte, unique. L’idole permet d’oublier un quotidien peu satisfaisant, peu gratifiant. Pourtant, parfois, par un processus d’imitation, l’idole peut devenir un modèle et par la même occasion une force de propulsion, pour des jeunes notamment.

Quelle est la conséquence de l’addiction au sport sur la vie spirituelle ?

L’homme est un être spirituel, c’est-à-dire que les choses de l’esprit sont pour lui un besoin vital. Or, le comportement addictif compulsif coupe la personne de ses émotions, de ce qui l’anime, de ce qui souffle en lui. La personne addict est remplie de sensations de toutes sortes. Elle vit sur un mode plein/vide sans direction, car elle n’a pas la boussole des émotions et du sens. L’addict vit pour le sport au lieu de faire du sport pour vivre. L’addiction ne remplit pas le cœur de l’homme et son besoin de sens, bien au contraire elle le vide de sa substance, de sa vie. Elle est toujours une impasse pour notre vie. Car aucun de nous ne peut vivre de consommation égotique. Chacun a besoin d’une cause supérieure à lui-même, d’une œuvre à réaliser, d’une vie où il va pouvoir se donner à d’autres et donc se trouver. Seul le partage peut donner à la vie un peu plus de sens. C’est en mettant son art au service d’associations, d’œuvres pour aider des plus faibles, c’est en donnant de son temps, que le sportif donnera du sens à sa vie et sortira d’une addiction égotique et stérile. La guérison de l’addiction passe toujours par un autre que soi.

 

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