Pie XII : le pape d’Hitler ?

11 février 2012

Sylvie Bernay

Débat. La mémoire du pape Pie XII est très controversée. Nombreux sont ceux qui lui reprochent de ne pas avoir essayé de sauver les juifs de la Shoah. D’autres au contraire pensent qu’il a fait tout ce qu’il pouvait dans cette époque terrible.

Débat entre Lili Sans-gêne et Sylvie Bernay, historienne.

1 Dans son ouvrage publié en 1999, John Cornwell dit clairement que Pie XII est « le Pape d’Hitler » ! Ce Pape était antisémite : au fond, il n’était pas si opposé aux idées des nazis…

Beaucoup d’historiens écrivent sur Pie XII sans approfondir la personnalité de cet homme. Au fond qui était-il ? Ceux qui l’ont approché, comme Jules Isaac, fondateur des amitiés judéo-chrétiennes, ont été émus par sa bonté. Avant Vatican II, Pie XII proclamait déjà que la matrice de l’Église est juive.

2 Dès son élection, en 1939, Pie XII a abandonné le projet d’encyclique de Pie XI contre le racisme et l’antisémitisme. S’il a critiqué « l’idéologie de la race », le diplomate qu’il était a pris le pas sur le prélat et a ménagé l’État nazi.

Ce projet d’encyclique a été écrit en juillet 1938 et n’était pas une dénonciation de l’antisémitisme mais une dénonciation de toutes les erreurs du temps. À savoir, pêle-mêle : l’ultra-libéralisme, l’étatisme, le communisme, le racisme, etc. Bref, ce texte de 90 pages, formulé sous une forme négative, ne consacre que douze pages à l’antisémitisme, en véhiculant d’ailleurs certains poncifs sur les juifs. Ce texte martèle notamment que l’État est en droit de se défendre d’un ennemi intérieur : les juifs. C’était donc un très mauvais projet, qui n’aurait pas éclairé les chrétiens sur la profondeur de la solidarité entre les hommes. Pie XII a écrit une encyclique positive, Summi Pontificatus, rappellant l’unité du genre humain, qui trouve sa source en Dieu, Père de tous les hommes. Il y dénonce implicitement l’antisémitisme, à tel point que les rédacteurs de l’Univers israélite, revue du Consistoire israélite de France, y ont lu la dénonciation des pogroms de la Nuit de Cristal de 1938. Pie XII, en effet, utilise l’image des Tables de la Loi brisées, pour secouer les chrétiens tentés par l’antisémitisme.

3 Pie XII était très hostile au communisme et c’est aussi pour cette raison qu’il n’a pas dénoncé le nazisme : il l’a utilisé comme une arme contre le communisme.

Pie XII a déclaré en janvier 1941, à l’ambassadeur français, Léon Bérard, qu’il redoutait davantage Hitler que Staline. Par contre, les nazis se sont présentés aux Européens comme le rempart du communisme. Les juifs étaient accusés de répandre les idées bolcheviques, dont les Européens avaient très peur. C’était le fer de lance de la propagande nazie, qui a réussi auprès de certains pays satellites du Reich, comme le régime de Vichy. Pie XII était conscient de la perversion de cet argument et c’est une des raisons de sa prudence dans la condamnation de l’antisémitisme. L’amalgame entre juifs et communistes était si fréquent chez les gouvernements européens, qu’il ne permettait pas au Saint-Siège de s’exprimer franchement pour défendre les juifs, considérés comme des ennemis de l’État. Le seul angle d’approche était d’appeler à la fraternité et la solidarité entre tous les hommes, ce que Pie XII n’a pas cessé de faire, afin d’inciter les gouvernements satellites du Reich à ne pas livrer les juifs. C’est l’angle d’attaque du cardinal Verdier, archevêque de Paris en 1938, du nonce en France, Mgr Valerio Valeri, et des évêques français, auprès du gouvernement de Vichy.

4 Toujours est-il qu’il n’a, à aucun moment, pendant la Shoah, clairement dénoncé le nazisme…

Alors qu’il était secrétaire d’État du pape Pie XI, le cardinal Pacelli – futur Pie XII – a réuni cinq évêques allemands à Rome en grand secret. Ces prélats ont rédigé l’encyclique Mit Brennender Sorge, une ferme condamnation du nazisme, publiée en 1937. Puis la guerre a éclaté en septembre 1939 et Pie XII a invité les chrétiens à secourir les juifs, dans son message de Noël 1940. À la veille de l’attaque allemande contre l’URSS, en juin 1941 – qui a précipité la décision d’exterminer les juifs d’Europe – le dictateur espagnol Franco a clairement dit au cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, qu’Hitler considérait Pie XII comme son ennemi personnel… Le Pape savait qu’il n’avait aucune concession à attendre du IIIe Reich et s’est montré prudent dans ses paroles car les troupes allemandes ne cessaient de prendre des otages et d’exercer sur eux des représailles. En revanche, il est intervenu, diplomatiquement, par l’intermédiaire des nonciatures, auprès des gouvernements satellites du Reich. Durant les neuf premiers mois de l’année 1943, le Pape a dénoncé le massacre des juifs car les armées alliées avançaient en Europe. En revanche, lorsque les armées allemandes ont ouvert le front en Italie et ont envahi Rome en septembre 1943, le Saint-Siège s’est tu de nouveau car l’ennemi était dans la place. Il faut toujours relier les moments où Pie XII s’exprime ou se tait au contexte de la guerre.

5  Mais lui, concrètement, n’a rien fait…

L’historien Andrea Tornielli, dans sa récente biographie de Pie XII, reprend en détail les circonstances de la rafle de Rome le 16 octobre 1943 et affirme, preuves à l’appui, que Pie XII a ordonné l’ouverture des couvents de la ville aux juifs recherchés par les SS. J’ai moi-même retrouvé une preuve écrite de l’aide du Saint-Siège, dans le journal de la maison généralice des Dames de Sion, à Rome, qui ont accueilli plus de 160 juifs et les ont nourris pendant huit mois, grâce aux camions de ravitaillement du Pape. Les deux supérieures de ce couvent ont été reconnues Justes parmi les Nations, par l’État d’Israël.

6 En France (fille aînée de l’Église !), le Pape aurait pu utiliser son influence pour s’opposer au régime de Vichy.

Pie XII a clairement dit au cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, de se méfier des dérives sectaires et autoritaires du régime en 1941. En 1942, il a soutenu discrètement la protestation publique de cinq évêques de zone libre contre les rafles en cours. En 1943, il a fait comprendre au maréchal Pétain qu’il était inquiet du salut de son âme s’il signait une loi faisant perdre la nationalité française aux réfugiés juifs arrivés en France depuis 1927. Cette mesure aurait permis de relancer de nombreuses arrestations. Son action diplomatique a été secrète et efficace. Dans notre pays, occupé depuis juin 1940, 75% des juifs avaient la vie sauve à la Libération : ces statistiques ne sont pas celles, loin s’en faut, des autres pays européens sous administration directe du IIIe Reich.

Sylvie Bernay

Agrégée d’histoire géographie, docteur en histoire contemporaine. Elle a soutenu une thèse de doctorat d’histoire sur « L’Église catholique et la persécution des juifs pendant l’occupation en France (1940-1944), entre incompréhension et sauvetage. » Elle a publié Prier quinze jours avec les amis des Juifs (Ed. Nouvelle cité, 2011). Son prochain livre sortira en 2012 : L’Église de France face à la Shoah (Ed. du CNRS). Elle est laïque consacrée dans la communauté de l’Emmanuel. 

Pour aller plus loin :

Histoire du christianisme magazine n°58, Soutenus par Pie XII,  les évêques contre les rafles

Pave the way foundation, www.ptwf.org

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