L’IVG est-elle un droit et une liberté ?

29 novembre 2014

Débat. L’avortement a été dépénalisé il y a 40 ans. 220 000 avortements sont pratiqués chaque année en France. Pour beaucoup, c’est un droit et une liberté pour les femmes. D’autres y voient en premier la mort des enfants à naître et la souffrance pour les femmes qui y ont recours.

Débat entre Lili Sans-Gêne et Jean Matos.

1. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on va remettre en question ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps. C’est une grande liberté pour nous les femmes. Vous préfériez l’époque où les femmes mourraient à cause des IVG clandestines ?

Il n’est pas question de revenir au temps des IVG clandestines, pratiquées dans des conditions indignes et dangereuses ; il s’agit plutôt de faire évoluer les mentalités, les dispositifs et les lois, de telle sorte que les femmes enceintes en difficulté soient accompagnées le mieux possible et qu’elles puissent prendre leur décision, quelle qu’elle soit, en toute liberté.

Quant à savoir s’il s’agit d’un droit au sens strict, rien n’est moins sûr, en tout cas dans l’esprit de la loi Veil. Rappelons-le, la loi de 1975 visait à encadrer une situation qui devait rester exceptionnelle. Or, la banalisation de l’IVG en France (environ 220 000 par an) a instauré un climat qui porte certains à envisager l’IVG comme un droit : dans une sorte de glissement, nous sommes passés de la « dépénalisation » à l’affirmation d’un « droit ». Mais ce n’est pas parce qu’elle s’est banalisée que l’IVG est devenue un droit à part entière. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs refusé à plusieurs reprises de reconnaître un « droit à avorter »1. Vous évoquez aussi un droit à « disposer de son corps », souvent invoqué pour justifier le recours à l’IVG : certes, l’enfant est conçu et se développe dans cet environnement si adapté qu’est le sein de sa mère ; ceci dit, il faut le rappeler, il n’est pas un élément ou une partie du corps de la femme. Dès la fécondation, il va se développer par lui-même, de façon autonome et coordonnée, selon le « programme » inscrit dans son génome, et ce « à l’insu » de la mère.

2. Aucune femme ne se fait avorter à la légère, ni n’utilise l’IVG comme un moyen de contraception. Mais c’est nécessaire d’avoir un « plan B », en cas d’accident de contraception par exemple.

Quoi qu’on en dise, l’avortement est toujours un lieu de douleur, souvent vécu dans une situation de détresse par la femme. Ce n’est donc pas à la légère qu’elle y recourt, c’est sûr ! Cela dit, faut-il l’envisager comme un « plan B » ? La question est délicate. Notons simplement que 72 % des femmes qui recourent à l’IVG utilisaient une méthode contraceptive lorsqu’elles ont découvert leur grossesse 2. Les pouvoirs publics eux-mêmes reconnaissent un « paradoxe contraceptif » : le taux d’IVG demeure stable et élevé alors que la France est l’un des pays où les méthodes contraceptives sont le plus répandues : 90,2 % des femmes sexuellement actives y ont recours 3. Il convient de rappeler aussi que l’IVG est d’un tout autre ordre que la contraception, d’un point de vue biologique. En effet, elle consiste dans la suppression, par voie médicamenteuse ou chirurgicale, d’un être vivant, d’un individu humain. C’est un fait, indépendamment du statut accordé à l’embryon au niveau philosophique et juridique.

3. Je pense qu’il vaut mieux avorter plutôt que d’avoir un enfant non désiré : même pour cet enfant, mieux vaut ne pas naître si sa mère ne l’aime pas.

 Il est vrai que la détresse vécue par la femme peut la conduire à rejeter l’enfant qu’elle porte et à envisager l’IVG comme une « solution » rapide, à même de la soulager dans l’immédiat. Mais qui peut nous assurer que ce « rejet » sera définitif ? Peut-on le supposer ainsi et prendre une décision aussi importante que celle d’avorter ? En effet, le rejet peut durer un temps mais il peut aussi évoluer, au fur et à mesure que la femme s’attache, malgré tout, à cet enfant qu’elle porte, à son enfant ! En revanche, l’avortement est irréversible : dès lors que l’acte est pratiqué, il n’y a plus de « retour en arrière ». Quant à désirer et aimer un enfant, ne sont-ils pas des sentiments bien fluctuants, y compris lorsque la grossesse et la naissance se déroulent dans des circonstances « normales » ? La vie d’un enfant peut-elle dépendre du seul désir de sa maman, sachant que celui-ci peut traverser des étapes ? En d’autres termes, la dignité de l’enfant n’est-elle pas intrinsèque, inhérente à sa vie, c’est-à-dire indépendante du regard ou de la volonté d’un tiers (mère, père, médecin, société) sur lui ?

4. La majorité des femmes qui choisissent l’IVG ne le regrettent pas par la suite. Elles sont soulagées, même si c’est douloureux. Celles qui ne s’en remettent pas n’avaient sans doute pas assez réfléchi avant.

 Le raisonnement est un peu trop rapide… Si une femme a du mal à s’en remettre, ce n’est pas faute de réflexion préalable, c’est peut-être d’abord parce qu’elle a été atteinte dans le lien qui la reliait à l’enfant et dans son identité la plus profonde en tant que femme. Quoi qu’il en soit, il convient de briser le tabou autour de cette souffrance afin que la parole soit libérée. En ce sens, il est heureux de voir des voix se lever en faveur de la prise en charge de la douleur psychique chez les femmes ayant vécu une IVG. Ainsi, la psychanalyste Sophie Marinopoulos, pourtant favorable à l’IVG, invite à nommer, à ne pas banaliser ou éluder la souffrance post-IVG, précisant qu’elle « ne se voit pas, ne s’entend pas» et « pourtant elle s’exprime » 4. Les pouvoirs publics reconnaissent eux aussi que l’IVG demeure « un événement souvent difficile à vivre sur le plan psychologique » 5.

5. On ne peut pas dire à une femme qu’elle va tuer son bébé : ce n’est pas un bébé à ce stade, c’est un embryon, un amas de cellules, rien de plus.

Bien sûr qu’il ne faut pas employer des mots qui risquent d’enfoncer encore plus la femme dans la souffrance et la culpabilité, c’est une question de délicatesse à son égard. Mais quelles que soient ses connaissances en biologie, la femme « sait », intuitivement, que l’enfant qu’elle porte est « autre chose » qu’un amas de cellules : c’est un bébé, son bébé, et c’est bien pour cette raison que l’IVG est si éprouvante. Le corps embryonnaire de l’enfant relève ainsi d’un mystère d’amour à accueillir plutôt qu’à maîtriser.

6. De toute façon, pour une femme en détresse qui ne peut pas garder son bébé, il n’y a pas d’alternative, elle n’a pas le choix.

Si, elle a le choix et c’est à la société et aux pouvoirs publics de lui assurer les conditions d’exercer ce choix, librement et concrètement. Il nous faut arrêter d’envisager l’IVG comme étant la seule « solution » envisageable. Cela suppose un accompagnement, respectueux des consciences. Il s’agit d’accompagner la femme, de lui permettre un véritable délai de réflexion et, si besoin, de lui ouvrir d’autres « portes » devant ce qu’elle peut ressentir comme une impasse. On peut ainsi penser à des structures telles que la Maison La Tilma ou la Maison de Tom Pouce, qui proposent un hébergement et un accompagnement aux femmes enceintes en difficulté souhaitant mener à terme leur grossesse. Par ailleurs, sans que cela constitue une « solution », on peut également envisager de faciliter l’adoption par des couples qui ne parviennent pas à avoir d’enfants.

1. Cf. Silva Monteiro Martins Ribeiro v. Portugal / 2. Rapport IGAS 2010 / 3. Cf. Baromètre santé 2010. / 4.Entretien accordé à La Vie, 2 mars 2011. / 5. Contribution de l’Haute Autorité de Santé, insérée dans le Rapport IGAS 2010.

Jean Matos.

Il est diplômé d’un master Éthique, sciences, santé et société, à la faculté de médecine Paris XI, espace éthique AP-HP. Il prépare une thèse de doctorat en éthique médicale à la faculté de médecine Paris XI, sous la direction du professeur Emmanuel Hirsch. Il travaille depuis 2010 comme chargé de mission à temps plein à l’archevêché de Rennes, pour les questions relatives à la bioéthique, en tant que consultant et formateur.

Aller plus loin :

L’AUBE DU MOI, Carlo Valerio Bellieni, Éd. de l’Emmanuel, 2009

L’ADOPTION BIENTRAITANTE, Patricia Chalon, Belin, 2014

www.bioethique.catholique.fr

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