D’après une étude récente, 30% des femmes en âge de procréer ne désirent pas avoir d’enfants. Toutes les raisons sont bonnes : épanouissement personnel, contexte socioculturel délétère. Et si ce manque de désir était plutôt le signe d’une société centrée sur elle-même ? Débat entre Lili et Eugénie Bastié, journaliste, polémiste et essayiste française.

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET EUGÉNIE BASTIÉ

Lili Sans-Gêne : Avoir un enfant ? Je n’y vois pas d’intérêt ! C’est beaucoup de contraintes pour si peu de reconnaissance !

Eugénie Bastié : Ce serait faux de dire qu’un enfant, ce n’est pas des contraintes. Un enfant limite forcément une forme de liberté absolue. Une liberté individualiste conçue comme la maximisation des possibles. Un enfant nous rend responsable. Nous devons l’éduquer, y consacrer du temps mais en même temps, je n’appellerais pas ça un sacrifice car le bonheur que nous apporte l’enfant et la transmission qu’est le fait de donner la vie compensent largement cette perte de liberté, liberté dans le sens individualiste du terme. Aujourd’hui, un discours féministe fait passer l’émancipation des femmes par une maximisation du choix qui fait de la maternité une entrave, une aliénation. Fonder une famille, recevoir l’amour d’un enfant est quelque chose d’irremplaçable.

Moi j’ai besoin de me sentir libre, de savoir que je peux profiter. Un enfant, ça t’oblige à te poser et à modifier tes plans.

Qu’est-ce que la liberté ? Est-ce celle d’être un adolescent permanent ? La liberté ce n’est pas la liberté du consommateur dans le supermarché devant l’infinité des possibles. La vraie liberté, c’est la responsabilité. Le fait d’être parent, c’est accomplir cette responsabilité. Fonder une famille, avoir des enfants nous rend paradoxalement plus libre car nous vivons une sorte d’accomplissement de l’existence qui nous libère de beaucoup de frustrations, d’ambitions de performance que nous dicte la société. Fonder une famille résout les dilemmes de la liberté qui nous sont posés dans la modernité.

Nous sommes à une époque qui n’a que la déconstruction à la bouche. Au contraire la construction du couple, d’une famille offre une liberté qui n’est pas volatile mais solide, la liberté des fondations. Poser une fois pour tout le choix d’avoir un enfant nous épargne de la tyrannie du choix permanent de notre société où tout est jetable.

Un enfant peut quand même grandement perturber l’ambition professionnelle, surtout pour une femme…

Je pense que le problème aujourd’hui, c’est qu’il y a un discours qui veut mettre l’accent sur la carrière, la performance économique et qui dévalorise la vie domestique et la vie familiale. Nous vivons avec une vision très économique de la réussite. Or, la réussite peut être aussi familiale. Le décentrement que permet l’enfant est quelque chose qui permet de mettre de côté ce culte du moi qui impose une sorte d’introspection infinie à laquelle nous enjoint cette culture du développement personnel. Il y a une sorte d’équilibre qui se fait en existant pour l’autre. La vie prend tout son sens. On n’a plus besoin de se poser des questions telle que « qu’est-ce que je dois faire de ma vie ? ».

Un animal de compagnie, c’est mignon et c’est plus simple de s’en occuper ! Pourquoi pas se contenter de ça ?

Rire. Votre chien ne s’occupera pas de vous quand vous serez vieux ! Au-delà de la plaisanterie : parce qu’un enfant, c’est un être humain, donc un être libre, doté de langage et capable de rendre librement l’amour ! Il y a un dialogue qui s’instaure avec lui. Il y a aussi la question de la lignée, de la transmission. L’enfant prolonge une transmission qui s’est faite de génération en génération. L’enfant est la génération que n’offre pas un animal.

Et la grossesse, l’accouchement, la fatigue des premiers mois, c’est pas du bonheur, c’est une épreuve !

Il ne s’agit pas de minimiser les souffrances post-partum, mais je pense qu’elles s’éclipsent assez vite face au bonheur d’être mère ! Le paradoxe, c’est on n’a jamais autant parlé des souffrances de l’accouchement alors qu’on n’a jamais aussi peu souffert de l’accouchement avec les progrès techniques. On essaie de faire peur avec la grossesse. Toutes les femmes depuis le début de l’humanité sont passées par là ! Il peut y avoir des difficultés bien évidemment mais je pense qu’il faut dédramatiser et normaliser la grossesse et l’accouchement. La société hygiéniste dans laquelle nous vivons a tendance à faire de la grossesse une pathologie et nous offre un discours anxiogène. C’est un moment merveilleux. Le congé maternité est un moment de pause dans la vie de la femme qui mène parfois une vie professionnelle trépidante. Il permet de se connecter avec son enfant.

Faire un enfant aujourd’hui, ça n’a aucun sens. La planète déborde d’habitants, la terre sonne l’alarme. A quoi bon offrir ça à nos enfants ?

A quoi bon sauver la planète si ce n’est pas pour la peupler de nos enfants ? Les enfants sont le moteur de tout engagement politique et de tout engagement pour l’avenir. Si on se bat pour l’avenir de la planète et pour la beauté du monde, c’est parce qu’on veut que nos enfants vivent dans de bonnes conditions.

Je ne me bats pas pour que la planète serve de déco aux vaches ou aux bêtes sauvages. Sans génération, le combat écologique n’a plus aucun sens ! L’argument écologique est un argument pour faire des enfants et vice-versa. C’est parce qu’on a des enfants qu’on est écolo et on est écolo parce qu’on veut une meilleure planète pour nos enfants et l’avenir.

Mais ne sommes-nous pas trop nombreux ?

Nous ne sommes pas trop nombreux partout. Les sociétés occidentales sont des sociétés vieillissantes. Une société vieillissante est une société qui s’efface. Ces sociétés n’envisagent pas l’avenir de la même façon. Elles ne mettent plus les priorités aux mêmes endroits. L’occident est en train de mourir culturellement et intellectuellement parce qu’il meurt démographiquement. Evidemment, on ne fait pas des enfants dans un but politique, cela reste toujours un choix intime. Au niveau mondial, les choses sont différentes mais même l’Afrique est en train de faire sa transition. Certaines projections disent que la démographie mondiale atteindre un pic à l’horizon 2030, 2040, pour connaitre ensuite une forte baisse. Et pour la France et l’Europe, je m’inquiète d’un monde sans enfants. C’est un monde triste et mortifère.

Sur le plan social, c’est pareil. Peut-on croire en un avenir serein dans un contexte qui se détériore sans cesse ?

L’avenir et le contexte dans l’histoire ont très peu joué dans le fait d’avoir des enfants. Quand vous regardez le taux de fécondité à Gaza qui est de six enfants par femme, vous voyez que ce n’est pas la question des conditions économiques et socio-économiques qui jouent primordialement dans le fait de concevoir des enfants. De même, le baby-boom en France commence en pleine deuxième guerre mondiale, en 1942 parce qu’il y a une soif de croire en l’avenir qui ne dépend pas que des conditions géopolitiques. Je pense au contraire que ce sont les sociétés les plus en paix mais aussi les plus consuméristes, les plus individualistes, les plus prospères les plus obsédés par le confort matériel qui sont celles où on ne fait plus d’enfant.

« Il y a une sorte d’équilibre qui se fait en existant pour l’autre. La vie prend tout son sens. « 

Eugénie Bastié est journaliste, essayiste et polémiste. Elle travaille pour le Figaro depuis 2015 et est l’auteur de nombreux ouvrages à contre-courant tels que Adieu mademoiselle : La Défaite des femmes, paru aux Editions Le Cerf en 2016 ou encore La Dictature des ressentis, paru chez Plon en 2023.