Débat. La franc-maçonnerie, tout le monde en parle sans la connaître. Cette société secrète active en France depuis des siècles, en particulier dans les sphères politiques, est-elle anodine et compatible avec la foi chrétienne ?
Débat entre Lili Sans-Gêne et un ancien franc-maçon, Serge Abad-Gallardo.
Toutes les vérités se valent, il n’y a pas une seule vérité objective, et c’est l’ensemble des vérités qui permet d’accéder à la lumière.
Cette affirmation maçonnique selon laquelle « toutes les vérités se valent » est une impasse intellectuelle. En effet, par définition, la vérité est absolue et objective. Sinon, elle n’est pas la vérité, mais un ensemble d’opinions. C’est pourquoi la vérité objective ne pourra jamais être considérée comme la somme de toutes les vérités subjectives, c’est-à-dire de toutes les opinions. Certes, il est toujours enrichissant de débattre. Surtout dans un cadre contradictoire. Mais cela ne signifie pas que l’on soit tenu de laisser la moitié de ses propres convictions à son interlocuteur. La franc-maçonnerie ne peut conduire à aucune vérité transcendante, puisqu’elle n’offre, en fin de compte, qu’une vérité relative. La « liste » des explications est infinie, en ce qu’elle ne comporte aucun cadre, toute vérité en valant une autre. On voit donc bien la différence essentielle, le hiatus même, entre les deux chemins : pour le catholique, la vérité se trouve au sein même de la Parole de Dieu, ce qui ne l’empêche nullement (bien au contraire !) d’en étudier les significations à l’intérieur d’une réalité révélée par Dieu. Au contraire, pour la franc-maçonnerie la vérité résulte de l’étude d’un symbolisme dont l’interprétation peut varier à l’infini, et par conséquent elle peut, en développant logiquement ces diverses interprétations, admettre en elle-même une chose et son contraire. Là se trouvent le paradoxe et la preuve qu’il n’existe aucune vérité dans l’enseignement de la franc-maçonnerie.
Justement, la franc-maçonnerie est au service de la liberté. Elle est contre tous les dogmes, toutes les vérités établies
Il convient de savoir de quelle liberté il est question ! La franc-maçonnerie confond liberté et libertaire. Je peux témoigner, pour avoir été franc-maçon pendant vingt-quatre ans, et accédé à la plupart des fonctions d’officier, dont celle de V... M... (Vénérable Maître) et fait partie des Hauts Grades, que pour la franc-maçonnerie la liberté consiste en une « libération » totale de l’individu. Cette « libération » s’obtient non pas dans le libre choix entre le bien et le mal, tels qu’ils sont définis par la loi naturelle et la morale de l’Église, mais par l’accomplissement sur terre de l’Utopie maçonnique. Or l’Utopie maçonnique n’est rien d’autre que tout ce qui n’est pas conforme à la loi naturelle (divorce, contraception, avortement, mariage entre personnes de même sexe, et bientôt euthanasie).
Par ailleurs, contrairement à ce qu’elle affirme, la franc-maçonnerie est parfaitement dogmatique. Simplement, ses dogmes sont différents, à l’opposé, de ceux de l’Église. Pour n’évoquer qu’un exemple de dogme maçonnique parmi de nombreux autres : lorsque la franc-maçonnerie professe que la recherche de la vérité doit s’affranchir de tous les dogmes, elle ne fait rien d’autre que d’affirmer un dogme, celui de l’inaccessibilité de la vérité ! Qui plus est, elle postule ce dogme de la manière la plus péremptoire qui soit, puisque cette affirmation ne peut être démontrée scientifiquement, pas plus qu’elle ne repose sur l’observation empirique !
Une des bases des principes francs-maçons est la tolérance.
La tolérance ? Permettez-moi de sourire : il m’a été refusé fin 2012 de proposer un débat sur le projet de mariage homosexuel en loge. Et la V... M... de l’époque n’a pas voulu d’une autre opinion que celle qui avait officiellement cours au sein de l’Obédience : le mariage entre homosexuels était un droit ! La tolérance n’a donc pas de limite pour la franc-maçonnerie… à condition que l’expression ou le concept demeure dans le cadre strict de la « doxa maçonnique » ! Essayez donc, si vous êtes franc-maçon, d’expliquer en loge que vous êtes opposé à l’avortement : vous serez vilipendé. Mais avec la plus grande tolérance ! Car sur la forme, on reste poli en loge…
Je pense quand même que la foi chrétienne et la franc-maçonnerie sont proches : les chrétiens croient en un Dieu créateur de l’univers, quand les francs-maçons croient en un Dieu grand architecte de l’univers : c’est le même Dieu !
Il ne s’agit pas du tout du même Dieu ! Le G...A...D...L...U... est un dieu impersonnel, une force cosmique. Le déisme maçonnique est un naturalisme. Un auteur parfaitement reconnu en franc-maçonnerie l’explique clairement : « La notion du Grand Architecte de l’Univers est, en Maçonnerie, à la fois plus ample et plus restreinte (sic) que celle du Dieu des diverses religions. (…) Le GADLU peut, dans une certaine mesure, être assimilé au Démiurge platonicien… » (Jules Boucher, La symbolique maçonnique, Éd. Dervy, 1988). Dire que le Dieu des chrétiens est le GADLU n’est qu’un leurre utilisé par erreur par les francs-maçons qui se font abuser, ou par les plus expérimentés qui les abusent, afin de recruter notamment des catholiques et de les détourner de la foi et de l’Église : le GADLU ou le Démiurge ne sont pas venus mourir en croix pour nous sauver !
Pourtant c’est faux de dire que la franc-maçonnerie est anticléricale.
Je témoigne que la plupart des obédiences ( notamment Grand Orient, Droit humain, Grande Loge féminine de France ) sont anticléricales. D’autres le sont de manière plus subreptice, voire inconsciente. Mais bien entendu sans l’avouer ! Lorsqu’à la fin d’une tenue, un franc-maçon du Grand Orient se lève et proclame : « Vive la République ! À bas la calotte ! » (J’en témoigne !) cela ne s’appelle-t-il pas de l’anticléricalisme primaire ?
La franc-maçonnerie et l’Église utilisent cependant un vocabulaire identique.
En effet, mais il ne s’agit que de ressemblances formelles. Je ne prendrai qu’un seul exemple, emprunté aux hauts grades du 18e degré : « I.N.R.I ». Pour un catholique, il signifie « Iesus Nazarenus Rex Iudaeorum », c’est-à-dire « Jésus le Nazaréen Roi des Juifs ». Cette signification repose sur d’authentiques fondements : biblique, historique, et théologique. En revanche, pour la franc-maçonnerie, cet acronyme se traduit par « Igne natura renovatur integra » : « C’est par le feu que la nature se renouvelle » (sic). On ne peut confondre entre un fondement biblique qui relate authentiquement la vie du Christ et une formule alchimique qui renvoie à une recherche de puissance !
Ce que je trouve intéressant, c’est que pour la franc-maçonnerie, les règles morales sont appelées à évoluer avec la société, en fonction du progrès.
La morale de la franc-maçonnerie est en effet contingente. Elle fluctue avec le temps et l’espace. Je suis en possession de nombreuses « planches » (travaux écrits ) maçonniques qui confirment qu’il n’existe aucune morale en franc-maçonnerie. C’est pour cette raison que la « morale maçonnique » ne peut « coïncider » avec la morale naturelle. Et que l’on sache, la science n’a jamais été le fondement de la morale ! Or la morale est comme la vérité : elle ne peut être contingente et relative ! La franc-maçonnerie est tout simplement a-morale !
Pour les francs-maçons, l’homme n’a pas besoin d’être sauvé par un Dieu !
En effet ! Et nous remarquons ici l’un des aspects qui rendent totalement incompatible l’appartenance d’un catholique authentique à la franc-maçonnerie. La franc-maçonnerie cherche à amener ses adeptes à une autonomie complète au regard de Dieu, vers une « auto-rédemption » et à décider par eux-mêmes des règles morales. Or cela n’est pas sans rappeler la Genèse, lorsque Satan pousse l’homme à la transgression.
Bio auteur :
Serge Abad-Gallardo
Architecte de formation, devenu haut fonctionnaire territorial, Serge Abad-Gallardo a été franc-maçon pendant plus de vingt ans, au sein des loges maçonniques du Droit humain, une émanation du Grand Orient.
Aller plus loin :
J’ai frappé à la porte du Temple… Serge Abad-Gallardo, Pierre Téqui Éditeur, 2014
J’étais franc-maçon Maurice Caillet, Salvator, 2014
Peut-on être chrétien et franc-maçon ? Mgr Rey, Salvator, 2007