Euthanasie : progrès ou danger ?

26 octobre 2019

17 L1v N108 Eric Vermeer

Alors que le débat fait rage en France, en Belgique l’euthanasie été dépénalisée il y a 17 ans. Une expérience qui soulève beaucoup de questions…

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET ÉRIC VERMEER

En fin de vie, on a le choix entre souffrir ou choisir une mort douce : moi je préférerais ne pas finir ma vie en souffrant.

Vous avez mille fois raison, Lili ! Moi non plus, je ne veux pas finir ma vie en souffrant ! C’est pourquoi je souhaiterais terminer mes jours dans un service de soins palliatifs, si je suis atteint, un jour, d’une maladie grave et douloureuse. S’il y a bien un espace où je sais que je pourrai mourir sans douleur, c’est bien un service de soins palliatifs dont le but est précisément la qualité de vie.

Pourquoi tant s’émouvoir au sujet de ces personnes qui sont en phase terminale et demandent à mourir ? L’issue est la même, non ?

Il ne s’agit pas de s’émouvoir, Lili ; il s’agit de savoir ce que désire vraiment le patient. J’ai cet immense privilège d’avoir accompagné de nombreuses personnes en fin de vie et certaines sont arrivées à l’hôpital avec une demande d’euthanasie. Lorsque je leur posais la question : « Voulez-vous mourir ou ne plus souffrir ? » les réponses allaient toujours dans le même sens : ne plus souffrir. Il est prouvé aujourd’hui que la quasi-totalité de toutes les douleurs peuvent être soulagées (98 %), mais il y a beaucoup de médecins qui ne sont pas spécialisés dans la gestion des douleurs rebelles. Devant cette impuissance à soulager la personne en fin de vie, certains de ces médecins en arrivent à la conclusion rapide et tragique : « Pour suppri- mer une douleur rebelle, il suffit de supprimer la vie ! » Est-ce réellement ce que les patients douloureux nous demandent ?

Si les gens veulent mourir, il faut respecter leur volonté et écouter leur désir. Chacun a bien le droit de pouvoir choisir la façon de mourir qu’il préfère, non ?

Une fois encore, quel est le désir réel du patient ? Les exemples parlent d’eux-mêmes : Philippe arrive aux urgences dans un état de grande dou- leur. Il souffre d’un myélome (cancer des os) depuis plusieurs années et son médecin traitant n’arrive plus à le soulager. Arrivé à l’hôpital, il crie sa détresse et supplie qu’on l’euthanasie. Le médecin spécialiste, qui le prend en charge, repère rapidement ses douleurs au niveau du dos et lui fait une injection de produit antalgique entre les vertèbres. Une heure plus tard, je retrouve Philippe dans sa chambre. Il me raconte les circonstances de son hospitalisation ; et de conclure en me disant : « Heureusement que l’on ne m’a pas écouté… » Philippe a encore vécu trois années auprès de sa famille et il a pu me dire combien ces trois années avaient été importantes dans le processus de deuil de ses deux grands garçons adolescents.

 

Les unités de soins palliatifs sont un vrai mouroir ! Je préfère encore mourir un peu plus tôt sans souffrir, plutôt que de vivre plus longtemps et déprimer sur un lit d’hôpital.

Les soins palliatifs ne sont pas des mouroirs mais des espaces de vie. Le but des soins palliatifs n’est pas de bien faire mourir les gens mais de les aider à bien vivre jusqu’au bout. Certaines personnes arrivent dans un service de soins palliatifs avec une grande détresse et le désir d’en finir au plus vite. Nous prenons le temps de les écouter de manière non sélective et très respectueuse. Assez rapidement, la personne, soulagée et entourée, change de discours et la demande d’euthanasie se désamorce souvent naturellement. C’est une réalité : lorsqu’un patient est soulagé physiquement et entouré affectivement, la vie reprend le dessus et la demande d’euthanasie se neutralise d’elle- même. Odile souffre d’un cancer du pancréas et demande l’euthanasie. Elle ne souffre pas physiquement mais elle ajoute, dans les larmes, que ses deux filles attendent qu’elle meure pour pouvoir bénéficier de l’héritage. Que nous demande Odile ? De mourir ou de croire qu’elle a encore du prix aux yeux de quelqu’un ? Nous sommes partis sur cette deuxième option, et Odile a progressivement repris goût à la vie. Elle est sortie de l’unité de soins palliatifs deux mois plus tard et elle s’est réconciliée avec ses deux filles.

Les soins palliatifs, c’est bien gentil, mais les grandes souffrances ne peuvent pas être soulagées. Tout cela c’est de l’acharnement thérapeutique !

Dans la définition des soins palliatifs, il est mentionné que ceux-ci « ne hâtent ni ne postposent la mort ». Cela signifie qu’entrer dans le processus d’une mort programmée avec toute la violence que cela peut induire pour la famille ou entrer dans une obstination thérapeutique déraisonnable, sont deux réalités étrangères à la réalité des soins palliatifs. Ce n’est pas un jugement, c’est un constat qu’il nous faut répéter car il y a trop souvent un amalgame qui se fait dans la tête des gens, à savoir que l’euthanasie fait partie des soins palliatifs et qu’il n’y a que deux solutions en fin de vie : l’euthanasie ou l’acharnement thérapeutique.

Entre ces deux réalités, émergent les soins palliatifs, c’est-à-dire un espace pour aimer et prendre soin des personnes « en bout de course ». Les soins palliatifs ont pour objectif, non pas de « faire mourir » mais de favoriser une mort naturelle, qui exclut toute forme d’acharnement et promeut le confort et la dignité. Il est prouvé que si la mort est naturelle, le deuil en sera également plus facile. Élise arrive dans une unité de soins palliatifs et demande l’euthanasie, car elle ne veut pas faire l’objet d’un acharnement thérapeutique. Nous prenons le temps d’écouter ses motivations, nous lui rappelons qu’elle peut refuser l’acharnement tout en refusant l’euthanasie et voici ce qu’elle dit : « Je ne veux pas être un poids pour mes enfants… » Je lui demande, tout en douceur : « Et si, au lieu d’être un poids pour vos enfants, vous deveniez une chance et une occasion pour eux de grandir dans l’amour de leur maman ? » Élise n’a plus fait de demande de mort programmée et s’est éteinte, sereine et sans douleur. Ses trois enfants étaient présents et l’un d’eux m’a dit : « C’était doux de voir partir maman paisiblement… »

Administrer une sédation profonde revient pour- tant au même qu’un suicide assisté : faire mourir une personne endormie et sans douleur. C’est une euthanasie déguisée.

La sédation est totalement différente de l’eutha- nasie et ce, à plusieurs niveaux. L’euthanasie se définit comme un acte posé par un tiers, dans le but de mettre intentionnellement fin à la vie d’une personne, à la demande de celle-ci ; alors que la sédation est l’action d’induire un sommeil dans le but de soulager un symptôme réfractaire aux traitements traditionnels.

Dans le cas de l’euthanasie, l’intention est de don- ner la mort, alors que dans le cas de la sédation, l’intention est de soulager un patient.
Enfin, l’euthanasie se différencie de la sédation de par son résultat : dans le premier cas, le résultat est la mort alors que dans le deuxième cas, c’est une qualité de vie améliorée. L’euthanasie se différencie donc de la sédation par sa définition, son intention, son processus et son résultat.

Si une personne, en phase terminale ou non, estime que sa vie ne vaut plus la peine d’être vécue, pourquoi ne pas l’autoriser à mourir ?

Le but du soignant est de montrer aux personnes fragilisées qu’elles gardent leur dignité jusqu’au bout, quelles que soient leurs souffrances et les sentiments d’indignité qui peuvent les traverser. Cette personne âgée, convaincue que sa vie était devenue inutile, s’exprimait ainsi à sa fille : « À quoi je sers encore dans cette vie ? » La fille lui a rétorqué : « Mais, maman, tu sers encore à nous aimer ! » Après quelques secondes de silence, la personne âgée, le sourire aux lèvres, a repris : « Oui, c’est vrai, je peux encore vous aimer et c’est peut-être ce que je fais de mieux… » Ce n’est pas parce qu’une personne est en perte d’autonomie qu’elle est en perte de dignité.

Éric Vermeer est infirmier spécialisé en soins palliatifs et psychiatrie, éthicien et psychothérapeute.

POUR ALLER PLUS LOIN

Euthanasie, l’envers du décor, Réflexions et expériences de soignants,
avec Timothy Devos, Éric Vermeer et six autres soignants belges. Éditions Mols, 2019, 240 p., 23 €

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