Le 1er février 2025, la skipper française Clarisse Crémer franchissait le chenal des Sables-d’Olonne au terme d’un deuxième Vendée Globe bouclé en 77 jours. Une aventure « personnelle » qu’elle considère comme réussie, et qui lui a appris à tenir bon face à l’adversité.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE LEMAIRE
Vous venez de terminer votre deuxième Vendée Globe, à la 11e position. Etes-vous satisfaite de votre performance ?
Oui, je suis super contente ! La progression n’est pas très explicite pour les gens, entre 12e au Vendée Globe 2020 et 11e cette fois-ci. Mais derrière ce chiffre, il y a une histoire, une course, une météo. J’avais des concurrents bien plus proches de moi, j’ai mis un rythme beaucoup plus intense, en mode « régate » durant toute la course et c’était l’objectif, donc j’en suis fière. Je n’ai aucun regret ! Au-delà du résultat sportif, mon objectif était d’être sereine, de progresser par rapport à 2020, et j’ai réussi.
En mer, on dit qu’il faut être « moral stable », c’est-à-dire réussir à lisser ses émotions, à ne pas vivre trop de hauts et de bas. Je n’avais pas du tout réussi à faire ça il y a 4 ans, où j’ai dépensé énormément d’énergie à me gérer émotionnellement. Cette fois, tout s’est bien passé dans ma tête et j’ai réussi à vivre une aventure personnelle. Par la force des choses, la maternité, toutes les péripéties, j’ai mûri, grandi, et j’ai pu être davantage sereine en mer.
Beaucoup de choses se sont passées depuis 2020. Vous avez une petite fille, Mathilda, avec votre mari Tanguy le Turquais. Qu’est-ce que le fait d’être mère a changé en vous ?
A la fois beaucoup et pas tant que ça ! Bien sûr, c’est une étape très importante dans ma vie. J’ai tout de suite ressenti un amour maternel très fort, et tout a été bouleversé logistiquement parlant. Mais ça ne change pas ce que je suis fondamentalement. J’ai gardé cette passion pour la voile et mon envie de faire le Vendée Globe. Dans toutes les péripéties que j’ai traversées et qui étaient liées de près ou de loin à ma grossesse, j’ai énormément appris. Moi qui n’aimais pas les conflits, j’ai réussi à dire les choses, à moins subir des situations, je m’assume mieux, je me compare moins aux autres. Tout cela est lié à Mathilda, mais aussi aux problématiques que j’ai affrontées et qui m’ont forcée à évoluer.
D’ailleurs, Tanguy aussi a participé à ce Vendée Globe, vous avez donc dû laisser votre fille à terre pendant deux longs mois. Ça n’a pas été trop dur ? Comment avez-vous géré l’absence de vos proches durant la course ?
C’est un métier qu’on choisit, un métier « passion », voire « privilège ». Personne ne m’oblige à faire cette course. Pour cela, je pense que c’est plus facile à supporter. Et puis en mer, quand je suis concentrée et que tout se passe bien, je ne ressens pas trop de manque. Je me blinde un peu, j’essaie de ne pas laisser la porte ouverte à ce qui ne me fait pas avancer. C’est surtout l’idée de quitter Mathilda que j’ai trouvée pesante. Avant le départ, c’était la seule ombre au tableau. Une fois en mer, quand je pense à elle, ou à mon mari et tous ceux que j’aime, ça m’apporte surtout de la joie. Je suis dans une démarche de gratitude. Quand on ne va pas bien, le manque exacerbe le mal-être, mais quand on est en communion avec la nature et son bateau, alors ça s’ajoute à notre bonheur. On pense qu’à la maison, il y a des gens qui nous aiment. La préparation mentale nous entraîne justement à attraper tout ce qui nous porte, et à mettre de côté ce qui nous enfonce. Sans devenir un robot bien sûr !
Un Vendée Globe, c’est tout de même dangereux, certains y ont perdu la vie. Comment se lance-t-on dans une aventure qui peut nous être fatale ?
Si on pensait sans arrêt à la mort qui viendra inexorablement, on serait tous un peu dépressifs (rires). Quand on se lance dans un Vendée Globe, la passion prend le dessus. Pour autant, ce n’est pas un sport de tête brûlées ou d’inconscients, les risques sont calculés. Alors certes, ça fait partie d’un stress en toile de fond, mais on y pense très peu. Avant, les bateaux étaient moins sûrs, la technologie moins évoluée, la météo moins précise, etc. Aujourd’hui, plein de tests sont faits sur la solidité des quilles, la capacité des bateaux à se retourner, à se remettre à l’endroit… Et puis on fait les malins, on fait la course, mais s’il se passe quelque chose de grave, on est capable de mettre la course entre parenthèses et de revenir à un mode plus logique : celui de l’humilité face à notre environnement.
Est-ce que l’esprit combatif du marin vous sert dans votre vie à terre ?
Oui, et j’irais même encore plus loin : c’est l’esprit combatif que j’ai acquis à terre qui me sert aussi en mer. Les deux sont complémentaires. J’ai réussi à rebondir après avoir perdu mon sponsor, après avoir été dans des tourmentes médiatiques pour des accusations de tricherie très malhonnêtes, et tout cela a aidé. En mer on apprend à faire le dos rond, à parfois éteindre notre cerveau pour tenir bon, en sachant que ça va finir par s’améliorer. On peut aussi vivre ça à terre. Il existe un côté « dur au mal » du marin en solitaire qui donne confiance en soi. Quand on est fatigué, ce n’est pas le moment de réfléchir, de prendre des décisions, de tout remettre en question. Il faut continuer à avancer et on sait qu’après les nuages, il y a le soleil. C’est une phrase bête mais c’est vrai en mer comme sur terre.
Vous êtes catholique pratiquante. Quelle a été la place de votre foi dans cette deuxième course ? Priiez-vous ? Que demandiez-vous à Dieu ?
Ce n’est pas du tout ritualisé. Je prie tous les soirs avec ma fille quand je la couche, mais en mer, je n’ai pas une prière régulière. Avec le recul, je peux dire que mes demandes étaient seulement liées à mes émotions ou à mes réactions personnelles. Je demandais à Dieu de m’aider à retrouver la paix, la sérénité, le courage, de réussir à mettre mon égo de côté. Je ne me sentais jamais seule. J’ai toujours eu l’impression qu’une force extérieure m’aidait à avoir ce petit supplément de courage. Ma prière était de la conversation intérieure, je demandais à Dieu d’être là avec moi. C’est comme si je faisais appel à un ami pour retrouver les forces que j’ai au fond de moi mais qui parfois sont cachées très loin.
Sur votre compte Instagram, vous avez publié un post touchant où vous partagez que vous admirez un magnifique ciel étoilé qui vous donne le tournis. Qu’est-ce que vous avez trouvé le plus beau durant ce tour du monde ?
Ce sont les moments de contemplation qui m’ont marquée, liés à la présence parfaite de la nature autour de moi, et la sensation que mon bateau et moi étions en harmonie avec ce qui nous entourait. J’étais extasiée. Il n’y a pas un paysage qui m’a marquée, d’ailleurs je n’ai pas vu une seule terre de tout mon Vendée Globe. Je n’ai vu que de l’eau, des nuages, des mammifères marins et des oiseaux. C’est une expérience du beau qui est assez liée à l’état d’esprit dans lequel je me trouve à l’instant précis. Je ne me suis jamais sentie de trop, j’étais acceptée. Mais je m’obligeais à avoir une posture d’humilité.
Comment se passe le retour à terre ? Comment revient-on à une vie normale ?
C’est une très bonne question (rires) ! C’était un peu le défi de ces aventures. J’ai enchaîné deux Vendée Globe, des transatlantiques, tout a été très intense et m’a permis de progresser et de vivre de ma passion, mais je ne suis pas sûre que ce soit la voie de la sagesse ou de la joie sur le long terme. Avec Tanguy, nous avons tous les deux atteint nos objectifs de course, on est fier de la façon dont on a fait les choses, donc ça facilite le travail du retour à terre. Je suis un peu perdue en ce moment, dans le sens positif du terme, j’essaie de faire le vide en moi pour accueillir de nouvelles choses. Ma foi fait partie de ce que j’aimerais travailler, qu’elle fasse davantage partie de mon quotidien et de ma façon d’avancer dans la vie.
Et la suite ? Un troisième Vendée Globe ?
Une part de moi l’envisage, l’autre aspire à changer de projets. Ma famille entre en compte. En ce moment, j’essaie d’équilibrer ma vie pour être un peu moins sur les chapeaux de roues. Je ne suis pas du tout dégoutée de la course au large, mais ça m’aurait presque arrangée de l’être (rires) !
Clarisse Crémer a participé à deux Vendée Globe ainsi qu’à plusieurs transatlantiques.
Elle est mariée à Tanguy Le Turquais, lui aussi skipper.
Ils ont participé tous les deux au Vendée Globe 2024.