EUROPE ORIENTALE
L’Ukraine revendique une histoire millénaire. Elle est née bien des siècles avant de porter ce nom d’origine slave, signifiant « frontière » ou « marche » – sous-entendu, de l’Empire russe –, qui ne sera pas employé avant le XIXe siècle. À sa naissance, la principauté féodale de la Rus’ de Kiev s’étend au carrefour de l’Ukraine, de la Biélorussie et de la Russie actuelles…
TEXTE ALEXANDRE MEYER – PHOTOS ENRICO STROCCHI ET THE YORCK PROJECT
Au VIIIe siècle de notre ère, les Slaves peuplent les grandes plaines de l’Europe orientale de la Pologne actuelle jusqu’à l’Oural. Ils sont cernés par les empires germanique à l’ouest, byzantin au sud et khazar au sud-est. Selon la Chronique des temps passés, composée par un moine orthodoxe vers 1110, les Slaves appelèrent pour les gouverner un groupe de Varègues, des vikings – explorateurs, marchands, mercenaires ou pirates selon les circonstances – venus de Suède, emmenés par leur chef Riourik. Celuici fonda la cité fortifiée de Novgorod en 862. En 882, Oleg le Sage, son successeur, transfèra la capitale de ses États à Kiev. La Rus’ kiévienne était née. Cette principauté constitue le noyau d’une entité politique commune à l’histoire des trois États slaves orientaux modernes que nous connaissons : la Biélorussie, la Russie et l’Ukraine.
LA DOMINATION POLONAISE
La Rus’ connaîtra son âge d’or sous le règne de Vladimir le Grand, dit « le Beau Soleil », qui reçoit le baptême en 988. Le système de succession ne permet pas de maintenir la cohésion en son sein et elle se désagrège en une multitude de principautés (dont celle de Moscou, un peu plus tard) avant de disparaître en 1240, piétinée par les sabots de l’envahisseur mongol. Un siècle plus tard, les Tatars sont chassés par le grand-duché de Lituanie, allié à la Pologne, qui annexe Kiev en 1362. Les Tatars sont repoussés dans la steppe, au nord de la mer Noire, et en Crimée, située au sud de l’Ukraine actuelle, avant d’être supplantés par l’Empire ottoman.
UNE BRÈVE AUTONOMIE COSAQUE
Les cosaques – mercenaires nomades – entrent en résistance contre la République polono-lituanienne des Deux Nations en 1648 et appellent la Russie à l’aide. Victorieux, ils gouverneront près de cent ans sur la rive orientale du Dniepr jusqu’à ce que les Russes s’en emparent en 1764. L’empire tsariste prend la Crimée à l’Empire ottoman en 1792, puis, à l’occasion du second partage de la Pologne, la rive occidentale du Dniepr en 1793. La quasi-totalité de l’antique Rus’ de Kiev est désormais aux mains de l’impératrice de Russie, Catherine II.
« L’Ukraine a toujours aspiré à être libre ; mais étant entourée de la Moscovie, des États du Grand-Seigneur (le sultan de l’Empire ottoman) et de la Pologne, il lui a fallu chercher un protecteur. Elle se mit d’abord sous la protection de la Pologne qui la traita en sujette ; elle se donna depuis au Moscovite qui la gouverna en esclave autant qu’il le put. » Voltaire, Histoire de Charles XII, roi de Suède, 1e édition, 1731.
La Chronique des temps passés nous raconte qu’en 987, le prince Vladimir cherchait une religion pourses sujets. Il envoya dix hommes chez les Khazars juifs, les Bulgares musulmans, les Allemands catholiques et les Grecs orthodoxes. De retour de Constantinople, où ils découvrirent la basilique Sainte-Sophie, ils s’exclamèrent : « Nous ne savions plus si nous étions dans le ciel ou sur la terre. C’est là que Dieu habite au milieu des hommes. » Vladimir, conquis, fut baptisé l’année suivante. La cathédrale Sainte-Sophie de Kiev fut érigée en 1037 et reconstruite en 1740. Les Cosaques zaporogues écrivant une lettre au sultan de Turquie, Ilia Répine, 1891. Musée russe de Saint-Pétersbourg.
« Ce peuple de libres compagnons cosaques, qui a composé de magnifiques chansons et a fait de son sol un jardin florissant et un vaste champ de blé, s’est révolté de toute sa fierté, de toute sa dignité contre l’envahisseur fasciste. C’est l’âme de l’Ukraine. » Vassili Grossman (1905-1964), auteur de Vie et Destin.
LE SAViEZ-VOUS ? L’UKRAINE COMPTE 8 % DE GRÉCOCATHOLIQUES ET 80 % DE CHRÉTIENS ORTHODOXES, DONT 20% DU PATRIARCAT DE MOSCOU ET 80% DE L’ÉGLISE AUTOCÉPHALE UKRAINIENNE.
EN DÉTAIL
ESSOR DU RÉGIONALISME
Le mouvement de renaissance nationale ukrainien s’éveille à partir de la moitié du XIXe siècle. Les
Ruthènes (du latin médiéval, « habitants de la Rus’ ») revendiquent leur autonomie, forts de l’antériorité historique de la « Petite Russie » – le nom de l’Ukraine en usage sous l’Empire russe – sur la « Grande ». Les autorités tsaristes liquident les cercles nationalistes. L’impression en langue ukrainienne est interdite.
L’INDÉPENDANCE
Lorsque la révolution met fin à l’Empire tsariste en 1917, l’Ukraine proclame son indépendance. Au terme d’une longue guerre civile, la jeune République populaire ukrainienne rejoint l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS) en 1922. Elle ne la quittera qu’à son effondrement en 1991.
LA RÉPRESSION SOVIÉTIQUE
Entre 1931 et 1933, Staline orchestre un génocide contre le peuple ukrainien rétif à la collectivisation des terres. Dans la région la plus fertile de l’URSS, l’« Holodomor » – l’extermination par la faim – emportera 2,5 à 5 millions de paysans. Des millions d’Ukrainiens, suspectés de nationalisme, seront déportés, exécutés ou envoyés dans les camps de travail soviétiques.
LA VISITE D’UN PAPE
« Mon souhait est que l’Ukraine puisse s’insérer dans une Europe qui comprenne tout le continent de l’Atlantique à l’Oural. Il ne pourra pas exister une Europe pacifique, faisant rayonner sa civilisation, sans cette osmose et cette communication de valeurs différentes mais complémentaires qui sont typiques des peuples de l’Est et de l’Ouest. » Jean-Paul II, lors de son voyage en Ukraine en juin 2001.
LE TEMPS DES RÉVOLUTIONS
2004, « Révolution orange ». L’élection du président Ianoukovitch, soutenu par Moscou, est contestée dans la rue.
2013, « Euromaïdan ». Manifestations pro-européennes place de l’Indépendance, à Kiev. Le Parlement destitue le président qui fuit en Russie. La Crimée proclame son indépendance et son rattachement à la Russie. Un conflit éclate dans la région séparatiste du Donbass. Il fera plus de 13 000 victimes.
24 février 2022, invasion militaire de l’Ukraine par la Russie.