Confirmation, bénédiction, transmission : telles sont les principales missions du père envers ses enfants. Bertrand Chevallier-Chantepie transforme les relations « père-fils » avec l’association Au Cœur des Hommes.
PAR ANTOINE LEMAIRE
En quoi consiste l’association Au Cœur des Hommes, dont vous êtes le délégué général ?
Elle vise à rendre les hommes acteurs de leur vie de couple, d’adulte et de père. Elle est axée sur la transmission et le rôle de père. Pour cela, trois activités : des camps pour hommes, des week-end « père-fils » et des fraternités masculines. Nous sommes également en train de travailler sur un week-end « père-fille ».
Que veut dire être homme aujourd’hui dans notre société ?
Aujourd’hui, on demande aux hommes d’être des « braves types », des « gentils garçons », qui ne prennent pas trop de place mais qui doivent tout de même être au service des autres. Pour moi, une véritable société féministe aide les hommes à occuper leur place, à devenir de vrais adultes et à servir et donner leur vie.
Qu’est-ce qu’être un homme devrait signifier selon vous ?
La fonction première de l’homme est de responsabiliser ses pairs, et ses enfants en particulier. C’est aussi de donner la vie par sa parole, sa présence, son regard, son lien affectif. Le père doit être quelqu’un qui tient la route, qui est parfaitement adulte. Il est une passerelle vers la vie adulte, vers l’envoi dans le monde. Tout homme est appelé à confirmer les qualités qu’il voit chez ses enfants.
Quelle est la responsabilité du père dans l’émancipation de son enfant ?
Dans le chemin de vie, l’enfant nait en fusion avec sa mère. Le rôle du père est de confirmer l’identité sexuée de son enfant et de le séparer de cette fusion maternelle qui peut devenir toxique au bout d’un certain temps.
Quels sont les risques du silence d’un père ?
Ils sont terribles. Nous pouvons faire trois choses en tant qu’homme. D’abord parler et dire du bien. C’est la bénédiction. Ensuite, il y a la malédiction, quand un père casse son enfant en lui disant qu’il est « nul », un « boulet ». Mais le pire, c’est le silence. Ce silence crée le doute. Il ne répond pas à la question anthropologique de l’enfant qui est « ai-je de la valeur ? » La parole du père a une puissance performative.
En quoi la transmission d’un père diffère-t-elle de celle d’une mère ?
La parole d’une mère est inconditionnelle. Quand ma mère me dit « tu es le plus beau, le plus intelligent du monde », j’apprécie mais je n’intègre pas ça comme un fait car son amour est inconditionnel. Alors que l’amour d’un père est conditionné. On attend de lui qu’il dise « je suis fier de toi, parce que… » Cette parole va confirmer l’enfant dans ses qualités propres.
Qu’entendez-vous par « rite de passage » ?
Un rite de passage, c’est trois moments : séparation du monde d’avant, enseignement et levée des tabous, puis intégration dans le nouveau monde.
Vous parlez d’une vie nouvelle et spirituelle dans votre livre, quelle est-elle ?
L’âge adulte est très intéressant du point de vue d’un chrétien car Dieu est père. Ça veut aussi dire que nous sommes fils. On grandit enfant, on devient adulte, et quand on est pleinement adulte, on se reconnaît enfant – fils du Père. La plus grande maturité de notre foi est d’avoir un cœur d’enfant.
Comment les hommes doivent-ils s’y prendre, concrètement, pour expérimenter cette vie nouvelle dont vous parlez ?
Ils doivent oser être en vérité avec eux-mêmes. Il faut oser vivre ce passage, et un passage, c’est par un exemple un camp Au Cœur des Hommes. Là-bas, un homme m’a dit « j’ai attendu 73 ans pour comprendre ce que c’était que d’être un père ». Tous ceux qui n’osent pas venir parce qu’ils craignent d’être confrontés à ce qu’ils sont, et d’être en vérité avec eux-mêmes ne pourront pas féconder leur vie.
En quoi retrouver cette figure de l’homme telle que vous l’entendez (chevaleresque et spirituelle) peut-il aider dans la vie professionnelle et sociale ?
Retrouver cette figure de l’homme rend simplement plus vivant. Si on n’est pas conscient du mal qu’on peut faire et de notre responsabilité à faire le bien, on ne vit pas. On passe à côté de notre vie. Être vivant c’est être pleinement présent, chevaleresque, car cela demande de l’humilité, de la force, de la confiance, toutes les vertus.
Sentez-vous une réelle transformation chez les pères et fils qui participent aux camps Au Cœur des Hommes ?
Les retours des mères sont souvent « j’ai un vrai homme à la maison maintenant ». On note un changement radical chez l’enfant qui prend mesure de sa responsabilité et qui est joyeux de la déployer. Le père dit à son fils toutes ses qualités. Et quand il réalise la puissance de sa parole, il est réconcilié avec lui-même, ainsi qu’avec sa responsabilité et sa fonction de transmetteur, de passeur. Sa place elle est essentielle.
UNE CONFIANCE SOLIDIFIÉE
Participants d’un week-end père-fils avec l’association Au Cœur des Hommes, Ludovic et Ambroise témoignent de la force des grâces qu’ils ont reçues.
Qu’est-ce qui vous a décidé à faire ce week-end père-fils avec Au Cœur des hommes ?
Ludovic : J’attendais des moments qui entraînent père et fils à se parler de choses dont ils ne se parleraient pas spontanément dans un autre cadre. Par exemple sur l’amour conjugal, sur la sexualité. J’ai été surpris de voir qu’Ambroise me posait des questions très concrètes, même sur la relation avec mon épouse. Ça m’a aussi permis de lui faire part d’erreurs que j’ai commises dans mes relations avant de rencontrer ma femme, espérant qu’il ne fasse pas les mêmes (rires).
Ambroise : C’est mon père qui m’a motivé. J’avais un peu d’appréhension à l’idée de parler de sujets complexes avec lui, notamment la sexualité, mais j’étais motivé. A 14 ans, se retrouver à parler de ce que c’est qu’être un homme, c’est un peu impressionnant.
Quels thèmes abordés au cours du week-end vous ont marqués ?
L : La bénédiction du père sur son fils m’a beaucoup marqué. Le père dit une parole de bénédiction à son fils pour lui témoigner sa confiance et l’envoyer dans le monde. Je me souviens avoir dit à mon fils « pour moi, tu es un géant ». Je crois que ça l’a touché. Aujourd’hui, il se destine à une carrière militaire et on voit qu’il a vraiment envie de mettre sa vie au service d’idées plus grandes que sa personne.
A : Nous avons eu des enseignements d’un prêtre très intéressant. Il nous racontait des histoires d’hommes exemplaires, de soldats, notamment celle très inspirante d’Hélie de Saint-Marc. Un intervenant nous a parlé de la sexualité dans la religion catholique, et après nous en discutions avec nos pères. J’étais un peu gêné au début, puis tout s’est dit naturellement et nous avons parlé de sujets que je n’aurais jamais pensé aborder avec mon père à cet âge-là.
Avez-vous appris des choses sur la relation père-fils durant ce week-end ?
L : A un moment, une sorte de confrontation physique est organisée entre père et fils. Moi je n’ai pas hésité, mais Ambroise était plus en retenue. J’ai vu son respect pour son vieux père et c’était assez touchant. J’ai appris que nos enfants nous regardent et nous écoutent plus que ce que l’on pourrait penser. J’ai cela à l’esprit mais je faute souvent. Parfois, je vois que je manque de douceur.
A : J’ai beaucoup appris sur mon lien avec mon père. J’ai parlé avec lui de sujets très personnels dont je n’aurais jamais parlé avec ma mère. J’ai découvert qu’il pouvait être en quelque sorte mon confident, qu’il a des réponses à mes questions. On intègre également qu’un homme se construit, que devenir homme est le travail de toute une vie, que ça demande de la constance.
Comment avez-vous vécu ces étapes d’accueil, de bénédiction, de transmission et d’envoi ?
L : Ce sont les moments qui nous ont le plus marqués. Je sais qu’Ambroise a gardé ce petit papier sur lequel j’ai noté quelques paroles de bénédiction. Au moment de la transmission, on remet un objet symbolique à nos fils. Ce sont des étapes fondatrices que tout homme mérite de vivre avec son propre fils. J’avais la certitude, en les vivant, que c’étaient des moments clés et pertinents.
A : Le premier soir, les pères faisaient brûler du bois pour avoir des cendres. Ils avaient aussi construit un portique sous lequel nous passions un par un. Ensuite, ils nous mettaient des cendres sur la tête comme pour nous dire « engage-toi à devenir un homme ». J’ai trouvé l’étape de la bénédiction très émouvante. Mon père m’a dit des choses qui m’ont beaucoup touché, notamment « sois toi-même et tu mettras le feu au monde ». Après ça, je n’arrivais plus à parler !
Notez-vous des changements dans votre relation père-fils depuis ce week-end ?
L : Dans les bons moments, cela crée une proximité père-fils d’homme à homme. Ce week-end a posé de petits autels dans notre vie et permet d’avoir un référentiel quand on traverse des moments plus difficiles. Depuis ces 3 années, Ambroise est plus ancré dans sa foi, il est capable de dépassement de soi.
A : Je me suis surpris plusieurs fois, quand j’avais des problèmes, à aller parler à mon père en sachant qu’il pouvait m’écouter et m’aider. Je suis heureux d’avoir autant de souvenirs avec lui. Souvent papa me dit « souviens-toi de quoi nous avons parlé durant ce week-end ».
Recommanderiez-vous à d’autre de faire ce week-end et pourquoi ?
L : Ces week-ends devraient être obligatoires et remboursés par je ne sais quelle administration (rires). C’est une expérience qui porte forcément des fruits durables. Pour moi, c’est un moyen de trouver de la confiance envers son fils concernant son avenir. Et d’être dans l’intimité.
A : Oui, car on découvre davantage son père, ainsi que les liens qui nous unissent à lui. On est dans un contexte qui permet d’évoquer certains sujets qu’on n’évoquerait pas à la maison ou en cours. Je pense que ce week-end m’a fait aussi grandir dans ma foi. La foi n’est jamais acquise mais peut être ancrée en nous. C’est dire « je décide de croire en Dieu ». Et sur ce sujet-là aussi, notre père est un exemple.