Débat. De nombreux points communs semblent se retrouver dans le bouddhisme et le christianisme. Peut-on dire qu’ils se ressemblent ? Peut-on se dire à la fois chrétien et bouddhiste ?
Débat entre Lili Sans-Gêne et Pascal Ide.
1. Le bouddhisme et le christianisme n’enseignent-ils pas tous deux que, dans le monde, il y a du mal et de la souffrance et ne proposent-ils pas un chemin de délivrance ?
Oui, tous deux cherchent à délivrer l’homme du mal. Toutefois leur conception du mal diffère et, avec elle, la sortie de ce mal. Sans entrer dans des détails techniques, nous parlerons ici du bouddhisme primitif, le nînayâna, dit « petit véhicule » qui s’est développé jusqu’à l’aube de l’ère chrétienne, et non du bouddhisme mahâyâna, dit du « grand véhicule », qui n’est apparu qu’au début du premier siècle.
Reprenons les « quatre nobles vérités » énoncées par Siddârtha Gautama, dit Bouddha, c’est-à-dire « l’éveillé ». Il les a énoncées dans son premier enseignement, le sermon de Bénarès. La démarche bouddhiste est quasiment médicale : 1. diagnostic symptomatique : « tout est douleur » ; 2. diagnostic étiologique (causal) : « tout est désir », autrement dit, je souffre de ce que je désire (parce que je ne l’ai pas) ; 3. remède symptomatique : « supprimer la souffrance » ; 4. remède étiologique : « supprimer le désir », ce que signifie étymologiquement nirvana.
Or, pour moi, chrétien, le monde n’est pas d’abord souffrance, il est bon. Quand j’ouvre la Bible, le premier chapitre du premier livre parle de Dieu qui crée le monde ; or, Dieu y apparaît comme le champion du regard positif, puisqu’il dit à dix reprises : « Cela est bon ». Le mal ne vient pas du monde, mais de la liberté, notamment de l’homme. Pour un chrétien, il ne s’agit donc pas d’être soulagé de la souffrance, mais d’abord d’être pardonné.
2. Comment cela se traduit-il concrètement ?
Pour le comprendre, partons de la vie de ces deux fondateurs de religion. Le canon pali rapporte l’histoire suivante : « Une jeune femme, appelée Kisa-Gotami, s’est mariée et eut un fils. Malheureusement ce dernier mourut jeune. Dans sa douleur, elle portait l’enfant mort et supplia Bouddha : ‘Va, lui répliqua-t-il, et rapporte-moi une semence de moutarde de chaque maison, où personne n’est mort ! Avec soulagement, elle passait d’une maison à l’autre en demandant : si, dans cette maison personne n’est mort, donnez-moi une graine de moutarde ! Mais partout elle entendait la même exclamation : ‘Ici, quelqu’un est mort’ Finalement, elle comprit que la mort fait partie de l’ordre naturel des choses et que tout est (douleur). Elle abandonna son fils, retourna chez le Maître et devint bouddhiste ». Autrement dit, Bouddha invite celui qui vient de subir un deuil à accepter sa situation. Dans l’Évangile, Jésus croise une femme qui vient, elle aussi, de perdre son fils. De plus, c’est son fils unique et elle est veuve. « Voyant celle-ci, le Seigneur fut saisi de compassion pour elle et lui dit : ‘Ne pleure pas.’ Il s’approcha et toucha le cercueil ; les porteurs s’arrêtèrent, et Jésus dit : ‘Jeune homme, je te l’ordonne, lève-toi’ » (Luc 7,11-17). La différence n’est pas d’abord dans le pouvoir miraculeux du Christ, mais dans la prise en compte de la souffrance de cette femme. Le verbe grec utilisé par l’Évangile est très fort : le Christ est ému au plus profond de ses entrailles. Et c’est parce qu’il éprouve de la compassion pour cette femme éplorée qu’il désire la consoler et lui redonne son fils.
3. Mais bouddhisme et christianisme ne sont-ils pas faits pour s’entendre ? Ils dénoncent le matérialisme, la toxicité de l’hyperconsommation.
Je vous le concède : pour un matérialiste, l’entrée dans le bouddhisme est un progrès spirituel. Mais pas pour un chrétien. Une femme m’a raconté que, ayant été baptisée, elle abandonna assez tôt la pratique chrétienne. Elle fit alors plusieurs séjours prolongés dans des ashrams tibétains, pratiqua la méditation à un certain niveau. Un jour, elle se trouvait dans un bus qui écrasa un piéton. Spectacle horrible, ses entrailles étaient répandues sur la chaussée. Tout le monde était horrifié. Elle, elle ne ressentait rien. Anesthésie totale. Quand elle perçut le décalage entre sa réaction et celle des autres, elle se dit qu’elle était en danger. Ce choc décida de son retour vers sa foi chrétienne. Elle a conclu par une image saisissante : « Quand je contemple d’un côté Jésus souffrant pour moi sur la Croix et de l’autre, ce Bouddha au sourire béat et indifférent, je n’hésite pas un instant. » Le bouddhisme guérit en amputant, le Christ en purifiant.
4. Prenons un autre point de convergence : les bouddhistes insistent beaucoup sur l’instant présent. Or, sainte Thérèse de Lisieux, elle aussi, parlait de s’abandonner entre les mains de Dieu, en cessant de s’inquiéter de l’avenir.
J’ai étudié d’un peu près les ouvrages d’Eckhart Tolle qui se vendent à des millions d’exemplaires. Dans la mouvance bouddhiste, ils proposent de donner tout son pouvoir à l’instant présent. L’homme du mental, dit-il, vit dans la souffrance, car, soit il regrette le passé, soit il craint le futur, donc déserte le présent qui seul porte la paix. Mais ce n’est pas le passé comme tel qui est toxique, c’est le passé qui n’est pas digéré ou pardonné. Au contraire, j’ai besoin de la mémoire pour tirer les leçons du passé. Sur les murs de Berchtesgaden, le nid d’aigle d’Hitler, est écrite en toutes les langues, cette phrase de sagesse : « Celui qui ne fait pas mémoire du passé, est voué à le répéter. » Il en est de même, symétriquement, de l’avenir.
5. Chrétiens et bouddhistes ne se rencontrent-ils pas sur un autre point : la méditation ? Celle-ci est au cœur de la pratique bouddhiste et est une forme de prière pour les chrétiens.
Pour un bouddhisme, méditer, c’est d’abord apprendre à connaître les flots d’images, d’émotions qui me traversent, et à les voir passer, comme si j’étais sur la berge d’un fleuve. Je suis donc face à moi-même. Pour un chrétien, méditer, qui vient d’un verbe signifiant « ruminer », c’est mâcher la Parole de Dieu pour qu’elle donne tout son sens. Ainsi, la méditation m’introduit dans un face-à-face, non avec moi-même, mais avec Dieu. Voilà pourquoi elle est une prière. De plus, l’Évangile dit que Marie, mère de Jésus, gardait dans son cœur, les événements de sa vie où Dieu lui parle. Donc, loin de mettre la réalité à distance, elle en fait mémoire afin d’en comprendre le sens.
6. Vous êtes donc contre la méditation ? Pourtant, aujourd’hui, on propose cette méthode comme une thérapie et des études scientifiques montrent qu’elle est bienfaisante.
Je me suis intéressé à ce que l’on appelle la « méditation pleine conscience » qui connaît un succès toujours plus important aujourd’hui. Les ouvrages de Christophe André et de nombre de méditants bouddhistes sont en tête de gondoles dans les grandes surfaces. Je précise en passant que le psychiatre Christophe André, dont j’apprécie beaucoup les ouvrages, et que j’ai rencontré à plusieurs reprises, n’est pas bouddhiste, mais chrétien. Ensuite, cette méditation – qui est, pour une part, une laïcisation du bouddhisme – comporte beaucoup d’aspects très positifs et thérapeutiques : prendre du recul sur le flot parfois aliénant de ses images et émotions intérieures ; accueillir chaque événement comme un don ; etc. En revanche, j’interroge cette méthode sur deux points : d’abord, il n’est pas vrai que je suis toujours traversé par ces flots de pensées, d’émotions, d’inclinations à l’acte, il m’arrive d’être paisiblement attentif, présent, à la personne de l’autre, à la réalité, à Dieu, même si cela ne dure jamais très longtemps ; ensuite, ce flux n’est pas toujours parasite, il est aussi un signe de vie qui permet que s’ébauchent des pensées. Je trouve qu’il faudrait compléter la méditation pleine conscience par une autre thérapie, encore trop peu connue, la méthode Vittoz qui, plus que la première, aide la personne à s’unifier, notamment dans ses prises de décision. A
Pascal Ide
Pascal Ide est prêtre du diocèse de Paris. Il est docteur en médecine, en philosophie et en théologie.
Il est l’auteur de nombreux articles (voir son site) et d’une vingtaine d’ouvrages :
Les neuf portes de l’ame : l’enneagramme, Sarment, 1999.
Des ressources pour guérir : Comprendre et évaluer quelques nouvelles thérapies, Desclée de Brouwer, 2012.
Connaître ses blessures, Editions de l’Emmanuel, 2013, etc.