Depuis sa rencontre avec Pierre Palmade et Muriel Robin à la télévision en 1988, Michèle Laroque s’est imposée comme une star de la comédie française. Géniale touche-à-tout, elle a enchaîné les rôles sur les planches ou devant la caméra de Patrice Leconte, Francis Veber ou Claude Sautet et a donné la réplique à Vincent Lindon, Daniel Auteuil, Gérard Depardieu, Gérard Jugnot, Catherine Jacob, Dany Boon… Tout en souplesse, elle a su toucher au drame et à la comédie romantique avec un franc succès et s’est désormais muée en réalisatrice.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER
Comment avez-vous vécu ces derniers mois, où toute la France s’est calfeutrée chez elle ? Dans de bonnes conditions, au milieu d’une forêt avec les gens que j’aime. Un de mes films, qui devait sortir au beau milieu de la crise, a été repoussé à 2021, j’en ai profité pour terminer l’écriture d’un scénario.
Vous avez confié que vous y étiez préparée, pourquoi ? Oui, quand j’étais très jeune, un accident de la route m’a forcée à rester allongée pendant des mois sans pouvoir sortir.
Voir du monde ne vous a pas manqué cette fois-ci ? Lorsque je participe au tournage d’un film, je multiplie les contacts, je vois beaucoup de monde, une équipe importante qui se presse sur un plateau, et j’ai besoin d’équilibrer cela par des moments de ma vie où je suis plus seule, plus enfermée. J’ai besoin de me retrouver pour retrouver mon énergie. Cela ressemble un peu à ce que nous avons vécu. Ce que je n’ai pas aimé, c’est de ne pas avoir le choix, de ne pas être libre. C’est ce qui m’a le plus contrariée : ne pas pouvoir aller au restaurant ou voir certains amis. Pour le reste, vivre ainsi ne m’a posé aucun problème !
Êtes-vous casanière ? Je n’exerce pas un métier qui me permet d’être casanière, entre les tournages en dehors de Paris, les pièces qui nous emmènent dans de très longues tournées, les avant-premières partout en France qui précèdent la sortie d’un film, les rôles sur les planches qui m’empêchent de rentrer chez moi le soir… En revanche, quand tout cela s’arrête, j’aime être seule.
Entourée de votre famille ? Oui, de ma famille au sens large : la famille de sang que la vie nous a donnée, mais aussi certaines personnes que l’on rencontre au cours de sa vie et qui deviennent des membres de la famille à part entière.
Vous donnez, au cinéma, l’image d’une femme indépendante, forte, avec une grande puissance de séduction. En avez-vous hérité ? J’ai grandi avec l’exemple sous les yeux d’une femme sédui- sante parce que belle et généreuse, indépendante et travailleuse. Ma mère s’est échappée de son pays natal à l’âge de 23 ans. Elle était roumaine et a fui un régime extrêmement difficile à supporter. Elle avait fait des études d’anglais et était danseuse folklorique. Elle a profité d’une tournée pour échapper à la vigilance de la police politique. Elle a dû recommencer ses études à zéro et est devenue professeur à l’université. C’était une mère qui était aussi une femme très forte et très belle. Mon père, lui, m’a appris à ne pas gêner les autres, à savoir gérer mes émotions.
Un profil plus pudique ? Oui très pudique, je suis devenue tellement pudique que cela m’a rendu la vie difficile. Mon métier m’a appris à être davantage généreuse que trop pudique. Pudique on le reste toujours, c’est gravé en nous, même si cela ne se voit pas. En revanche, on est obligé de donner beaucoup dans le métier d’acteur, sans trop réfléchir parfois, car si l’on raisonne trop on ne donne pas tout.
J’étais extrêmement timide et j’ai fait beaucoup de progrès pour tout donner. Le don m’a permis de régler certaines choses. Devenir soi-même, c’est le travail de toute une vie. Il est bon de garder les choses que l’on nous a inculquées et qui nous conviennent. Il est bon de laisser partir celles qui ne nous conviennent pas.
Il y a des croyances en nous, que l’on ignore et qu’il faut déceler. C’est un travail de se libérer, de se connaître. J’ai l’impression que nous avons tous notre propre chemin à parcourir. Trop de compliments ou trop de critiques peuvent nous en faire sortir. Il y a un travail à faire pour rester soi-même et rester sur ce chemin, ou laisser le chemin nous reprendre.
Vous avez alterné à la télévision et au cinéma les grandes comédies populaires et les rôles plus tragiques. Dans lesquels vous sentez-vous le plus à l’aise ? Ce n’est pas dans des rôles que je me sens bien ou pas, c’est avec un réalisateur, qui raconte l’histoire comme j’ai envie qu’elle soit racontée, avec pudeur, sans dramatiser ce qui est dramatique en soi. J’avais fait un film avec Emmanuel Finkiel (En marge des jours) et, justement, tandis que l’on annonçait à mon personnage que son mari était dans le coma, il filmait un mouvement de main sur ma nuque. J’adore cette façon de raconter les histoires avec finesse et intelligence. J’aime quand on respecte le public, quand on fait appel à son intelligence humaine.
Cultivez-vous une forme d’intériorité ? C’est très subjectif et personnel. Ce serait très ennuyeux si nous avions tous la même intelligence, la même sensibilité, la même vision des choses… On me parle parfois de films qui provoquent chez le spectateur une émotion folle et qui ne me font aucun effet. Je suis sensible à la manipulation par l’émotion et je n’aime pas que l’on veuille provoquer chez moi tel ou tel sentiment, cela me fait sortir de l’histoire, alors que je suis, par ailleurs, très sensible. Ce qui va me toucher, c’est l’intensité d’une scène toute en pudeur : lorsqu’il se passe quelque chose de terrible, mais que le soleil est là.
La finesse qui laisserait la place aux souvenirs, à la mémoire, aux élans du cœur ? C’est ça. Exactement, lorsque le sentiment est vrai et n’est pas télécommandé ou manipulé.
Avez-vous le sens du sacré ? On m’a surtout inculqué le respect, c’est cela qui m’intéresse le plus. On a le sens de tout, quand on a le respect des choses : le respect de ce que les gens peuvent considérer comme sacré, même si on ne le considère pas de la même manière.
Que souhaitez-vous transmettre ? Des émotions, réveiller l’amour de l’autre, le respect de l’autre. En racontant des histoires, on peut ouvrir des portes. Mais avant de vouloir transmettre quelque chose aux autres, il faut d’abord s’occuper de soi. Le premier respect à avoir, c’est le respect de soi. Or trop souvent, au cours de notre éducation, on nous a dit : « Ne sois pas égoïste. » Peut-être que l’on oublie trop souvent de dire à un enfant : « Occupe-toi bien de toi, connais-toi, fais-toi du bien avec de bonnes choses. » C’est là aussi où il faut se respecter. Ce n’est pas en mangeant des paquets de bonbons que l’on se fait du bien. Il faut apprendre à un enfant la richesse de son corps. On ne nous parle pas assez de notre corps, comment il fonctionne, à quel point ce fonctionnement est miraculeux, à quel point nous avons de la chance d’avoir tous nos membres. Moi qui ai subi cet accident de voiture, j’aurais pu perdre une jambe. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je fais attention à cela, combien je suis heureuse d’avoir mes deux jambes, mes mains, mes bras… On s’habitue trop à ce bonheur.
Il y a une citation que j’aime beaucoup et qui dit : « Le bonheur, c’est de continuer à désirer ce que l’on possède déjà. » On trouve normal d’être en bonne santé, d’avoir tous ses sens ; or il est important de savoir que ce n’est pas normal, que ça ne va pas de soi, que c’est formidable. Il ne faut pas s’habituer. Voilà ce qui rend heureux : de pouvoir respirer… C’est très important !
C’est la différence entre l’égoïsme et l’amour propre… Oui, le respect de soi est essentiel. Du respect de soi naît le respect des autres. Par le biais des histoires que nous racontons, nous pou- vons ouvrir des portes, ouvrir le cœur de ceux qui y sont prêts. Le jeu et l’évolution d’un personnage peucent faire comprendre des choses au spectateur et leur transmettre des valeurs d’une grande importance.
Il faut savoir donner l’exemple. Lorsque des parents sont un bel exemple pour leurs enfants, si les enfants voient leurs parents respecter les autres, ne pas avoir de discours sectaire ou de rejet des autres, de racisme, de peur, ils n’ont pra- tiquement rien à leur dire. Quand on a peur, on n’est plus soi-même. Essayons de ne pas transmettre de peurs ancestrales à nos enfants.
SON PROCHAIN FILM
Chacun chez soi, deuxième film réalisé par Michèle Laroque, arrivera en salles le 24 mars 2021. La comédienne et réalisatrice y donnera la réplique à Stéphane De Groodt. Depuis que son mari s’est découvert une passion dévorante pour les bonsaïs, Catherine se sent quelque peu délaissée. La situation ne va pas s’arranger du tout lorsque leur fille Anna et son copain viendront s’installer chez eux, à la suite d’une galère d’appartement…