Les vertus sont-elles ringardes ? Trop souvent présentées comme les ennemies de la passion, des plaisirs de la vie, du bonheur même, on aurait bien tort de ne pas les cultiver, elles qui peuvent nous rendre libres et heureux. Comme disait Michel-Ange, sculpter, c’est « libérer la forme humaine emprisonnée à l’intérieur du bloc de marbre. » La vie vertueuse, c’est exactement la même chose. À vos burins !
PAR AUDE DUGAST – PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER
Aude Dugast est la postulatrice de la cause de canonisation du vénérable Jérôme Lejeune.
Quand l’Église ouvre une enquête de canonisation afin d’étudier l’éventuelle sainteté d’un Serviteur de Dieu (1), si celui-ci n’est pas un martyr, elle pose seulement deux questions : « Quelle est l’étendue de sa réputation de sainteté ? »et « A-t-il vécu chaque vertu chrétienne de façon héroïque ? » C’est tout. Ce qui signifie que c’est à la fois simple et complet. Simple… sous réserve de connaître les vertus chrétiennes, de savoir comment juger de leur héroïcité et bien sûr de connaître la vie du Serviteur de Dieu au point de pouvoir l’analyser en termes de vertus. Complet… parce que saint Thomas d’Aquin traitant des vertus, décrit les profondeurs de l’âme humaine avec une précision qui n’a rien à envier aux écoles modernes de connaissance de soi. Dans l’inégalable Somme théologique (iia-iiae ou secunda secundae, c’est-à-dire la seconde section de la deuxième partie), il offre en 900 pages une prodigieuse cartographie de l’agir humain et il apparait rapidement que ces pages de saint Thomas sont un formidable traité de développement personnel et spirituel et, même, de management !
LIBÉRER L’HOMME INTÉRIEUR
On y découvre, en termes clairs, au fil des quatre vertus morales (justice, prudence, force et tempérance) et des trois vertus théologales (foi, espérance et charité), des pistes bien utiles pour apprendre à se gouverner soi-même.
Comment, par exemple, affermir les vertus de justice ou de prudence, ou bien acquérir la sagesse ? Comment exercer cette charmante et légère eutrapélie (cette disposition à plaisanter, à avoir de l’esprit, à tenir des propos agréables) ou cette grande dame d’épikie (« justice, équité » en grec ancien) ? Comment ces vertus font-elles grandir nos talents ? Comment maitriser des accès de colère, s’affranchir d’une peur ou d’une intempérance ? D’où viennent l’orgueil, la jalousie, la rancune, l’hypocrisie, la colère (2) ? Comment et quand exercer la correction fraternelle ? Jusqu’où exercer la charité ? Il n’est pas question de recette magique, mais d’une connaissance fine des mouvements de nos facultés, condition pour avoir sur elles quelque emprise, et acquérir une vraie liberté d’action. En découvrant, lors de mon travail d’enquête pour la cause de canonisation du Pr Jérôme Lejeune (3), le chemin spirituel de ce grand savant chrétien (4), il m’a été donné de pouvoir contempler effectivement dans la vie d’un laïc, époux, père de famille, médecin et scientifique contemporain, les fruits d’une vie vertueuse. D’observer comment la dynamique des vertus conduit concrètement au plein accomplissement de soi-même en permettant de donner le meilleur de soi, dans son lieu et son état de vie. De voir que l’exercice patient, fidèle et héroïque des vertus, en libérant nos existences, nos cœurs et nos âmes de l’inutile ou du nuisible, et en nous entraînant au bien, est la clef du bonheur sans entrave.
L’homme vertueux est ce sculpteur qui peu à peu, patiemment, par touches bien ajustées, répétées, heureuses, libère l’homme intérieur de ce qui l’alourdit, l’enlaidit, l’empêche de devenir lui-même. Sans rien casser, sans rien abîmer, mais en faisant émerger peu à peu le meilleur de lui-même, finalement capable de s’élancer vers le but contemplé. Libre et heureux. Preuve s’il en est que la morale chrétienne est une morale du bonheur, aux antipodes de la morale kantienne du devoir. Évidemment, ce bien, ce bonheur ne sont pas les satisfactions sans frein des passions désordonnées ni celles de la jouissance égoïste, mais le bien de la Béatitude à laquelle l’homme est appelé.
De ce fait, les vertus devraient être classées «patrimoine de l’humanité » tant elles sont précieuses pour le développement intégral humain ! Non seulement pour les chrétiens ou les croyants. Mais pour tous les hommes. Car la vertu consistant « à vivre selon la raison » (Thomas d’Aquin), elle intéresse tout homme. La bonne nouvelle c’est donc que l’exercice des vertus n’est réservé ni aux théologiens, ni aux religieux, ni aux saints, mais à tous ceux qui cherchent le bonheur véritable. C’est le bonheur à portée de mains. Pour peu qu’on le décide.
Alors, ringardes les vertus ? Inutiles ou poussiéreuses ? Assurément, non ! À vous de découvrir le potentiel de ce trésor humain et spirituel et… de vous en emparer !
POUR AVANCER SUR LE CHEMIN DES VERTUS
1 . Les 3 vertus théologales
La foi, l’espérance et la charité sont des vertus dites théologales (du grec théos, Dieu, et logos, doctrine) car elles se rapportent immédiatement à Dieu : elles viennent de Dieu et nous conduisent à lui. Elles manifestent l’activité de l’Esprit saint dans notre vie.
2 . Les 4 vertus morales
Force (d’âme), prudence, justice et tempérance. Célébrées depuis l’Antiquité grecque, elles sont les pivots ou pilliers (du latin cardines) sur lesquels repose la vie morale, c’est à dire à l’opposé du vice.
3 . Les vertus expliquées en 3 mots
Les vertus sont des dispositions habituelles et fermes à faire le bien. Elles permettent à la personne non seulement d’accomplir des actes bons mais de donner le meilleur d’elle-même. Elles procurent facilité, maîtrise et joie.
4 . Comment progresser sur le chemin de la vertu ?
Par l’entraînement. Comme en sport. Patiemment, en progressant chaque jour. Si seulement on passait autant d’heures à s’entraîner l’âme que le corps…
5 . Un exercice concret
Comment lutter contre l’orgueil, ce liseron qui s’immisce partout ? Saint Thomas nous dit qu’on peut le déraciner par de petits actes extérieurs d’humilité. Chacun trouvera celui qui sera le plus à même de combattre son penchant à l’autosatisfaction, à l’égoïsme ou au dédain. Pour cela, il y a un moyen imparable : faire un petit examen de conscience. En s’aidant de l’évangile s’il le faut et en relisant les Béatitudes (Mt 5, 3-12) et son catalogue de vertus, afin de découvrir celle (ou celles) qui nous manque(nt)..
(1) . Le terme Serviteur de Dieu indique qu’un procès de canonisation est en cours.
(2) . À la fin de l’ouvrage, vous trouverez un tableau de chaque vertu avec ses parties, ses dons, ses fruits et les vices opposés. Et parfois, il y a des surprises…
(3) . Le Pr Jérôme Lejeune a été reconnu vénérable par l’Église catholique, le 21 janvier 2021.
(4) . Jérôme Lejeune, portrait spirituel au fil des vertus, Aude Dugast, Salvator, 2021.
ALLER PLUS LOIN
La ronde des vertus, les clés du bonheur avec Thomas d’AquinAude Dugast, Salvator, 2022,160 pages, 17 €