L’Europe entière ne compte plus qu’une centaine de clochers à flèche spiralée, dont les deux tiers coiffent des églises françaises. Un patrimoine exceptionnel nimbé de mystère : coup de génie architectural de nos maîtres compagnons-charpentiers ou phénomène naturel ? Enquête.
PAR ALEXANDRE MEYER PHOTOS : OFFICE DE TOURISME BAUGEOIS-VALLÉE, FRANÇOISE THURION, ASSOCIATION DES CLOCHERS TORS D’EUROPE
Les clochers à torsades se retrouvent dans toute l’Europe : Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Danemark, Italie, France, Roumanie et Suisse. La moitié de ces édifices est un petit miracle d’architecture quand l’autre moitié est d’origine accidentelle !
Le clocher de l’église protestante de Grötzingen à Karlsruhe en Allemagne (à gauche), est recouvert de tuiles en terre cuite, vernissées de couleur jaune, verte et rouge.
Vrillant le bleu du ciel comme des toupies, les clochers tors dressés dans les régions neigeuses sont le résultat du génial coup de crayon d’architectes consciencieux, visant à sou- lager la charpente, faciliter la glissade des congères et favoriser la fuite du vent. En Autriche ou en Suisse, les tuiles multicolores semblent accélérer le mou- vement de ces gros sucres d’orge bariolés, luisant de leurs milles facettes orientées en tous sens. De notre côté des Alpes, en revanche, nulle explication. Nos clochers tors nagent en plein brouillard. Fan- taisie de charpentier ? Mauvais calcul de bâtisseur ? Querelle de clochers, justement ? Volonté de se démarquer du village voisin en tordant volontaire- ment ce repère fendant l’horizon ? Les supputations vont bon train et ces clochers « enroulés » n’ont pas fini de faire tourner en rond les spécialistes !
MYSTÉRIEUSE TORSION
Certains clochers ont été édifiés en Baugeois (Maine-et-Loire) sur d’anciennes sources. De là à pointer du doigt les champs magnétiques des rivières souterraines, il n’y a qu’un pas, allègrement
franchi par Maryline Margas, pré- sidente de l’association des clo- chers tors d’Europe. Mais elle avance aussi d’autres explications plus rationnelles, qu’elle tient des compagnons du devoir venus ins- pecter les cinq clochers tors de la région. Le séchage et la rétracta- tion du bois de chêne monté trop vert est l’une d’entre-elles. Le poids des ardoises aussi : un clo- cher parfaitement rectiligne ne s’est-il pas mis à vriller en dix ans seulement depuis la réfection de sa couverture ? Il faut en juger au cas par cas.
UNE SAVANTE MÉCANIQUE
La plupart ont bien été montés tels qu’ils se donnent à voir aujourd’hui, avec un savant empilement en colimaçon de leur structure de bois de la base au sommet, dans un majestueux mouvement hélicoïdal. Pourquoi ? Par qui ? Impossible à dire, aucune archive n’ayant encore révélé le
secret. Si la plupart tournent dans le sens des aiguilles d’une montre, quelques-uns – comme le clocher de l’église du Viel-Baugé – tournent en sens contraire. Ils tournent au quart de tour, au huitième ou au seizième, mais vous pouvez être certain d’une chose : c’est qu’ils sont au milieu du village !
LE SAViEZ- VOUS ? ON PRÊTE AU DÉMON LUI-MÊME CE « GESTE ARCHITECTURAL » : LA QUEUE ENROULÉE AUTOUR D’UN CLOCHER, IL L’AURAIT TORDU EN FUYANT À TIRE-D’AILE !
Les clochers tors sont appelés vrillés, en spirale, flammés, grotesques, tordus, tournés, hélicoïdaux, enroulés, en limaçon ou, selon les légendes populaires, endiablés ou soûls.
Outre Rhin, huit clochers tors sur dix tournent de droite à gauche. En France et en Belgique, c’est exactement le contraire. Les plus anciens datent du XIIIe siècle et les plus récents du début du XXe. Toutefois, la plupart sont venus coiffer sur le tard des édifices déjà construits depuis bien plus longtemps.
EN DÉTAIL
UN PEU DE CHARPENTERIE
Un clocher est le plus souvent composé d’une tour carrée en pierre, soutenant une pyramide coiffée d’une flèche. Autour du poinçon, l’épine dorsale de la charpente (le mat qui traverse l’édifice de bas en haut), un certain nombre d’enrayures – de planchers – se superposent. Elles sont reliées entre elles par les chevrons qui délimitent chaque versants de la toiture (les arêtes de la pyramide). Des croix de saint André relient les chevrons au poinçon pour stabiliser l’ouvrage. La charpente (l’ossature du clocher) est assemblée en tenon et mortaise puis chevillée.
ÇA PART EN VRILLE
Plus le clocher est élancé plus la prise au vent est forte et l’assemblage fragile. Une dalle fragilisée par l’érosion ou le poids excessif de la charpente peut s’écraser et déstabiliser la première enrayure et chaque « étage » à sa suite. Il suffit que quelques chevilles claquent pour que la torsion s’amplifie. Coupez quelques centimètres à l’un des pieds d’une table : c’est trop peu pour qu’elle bascule mais suffisant pour qu’elle penche !
UN CHEF D’ŒUVRE
Bâtis par des fées, « tordus de rire » ou penchés pour mieux voir les mariés s’embrassant sur le parvis de l’église, les clochers tors sont plus certainement la réalisation concrète et grandeur nature des « chefs-d’œuvre » des compagnons-charpentiers, cette œuvre imposée à un apprenti compagnon pour pouvoir passer maître, après sept ans d’apprentissage et son tour de France achevé.
LE RALLYE DES CLOCHERS
Relie entre eux les clochers tors de France et d’Europe, et réunit tous les deux ans les explorateurs en herbe. Au menu : une course (non chronométrée) entre deux clochers parfois séparés de plusieurs centaines de kilomètres, un jeu de piste pour retrouver les clochers qui les séparent, un repas riche en spécialités culinaires des terroirs traversés, des visites, des questions, des réponses et des contes en patois. Prochaine édition le 30 août 2020. Inscriptions auprès de l’Office de Tourisme Baugeois-Vallée (02 41 89 18 07 ou tourisme-bauge@wanadoo.fr).
POUR ALLER + LOIN
https://clochers-tors.com