LES BIENFAITS DE LA MARCHE

30 mai 2024

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La « caminothérapie ». Les chemins de pèlerinage transforment, soignent et parfois guérissent ceux qui les parcourent. Lieux de spiritualité et de rencontres, ils bouleversent la vie de ceux qui les empruntent.

PAR ANNE-CLAIRE DÉSAUTARD-FILLIOL

Gaële de La Brosse, quand avez-vous commencé à arpenter les chemins de pèlerinage ?

J’ai attrapé ce « virus » à l’adolescence. Pendant huit étés, j’ai effectué des camps itinérants à l’étranger, au cours desquels nous marchions vers de hauts lieux sacrés : Fatima, Saint-Jacques-de-Compostelle, Rome, Assise. Le reste de l’année, nous nous dirigions vers des sanctuaires en France, comme le Mont-Saint-Michel, Vézelay, Chartres ou Pontmain. J’ai alors découvert le bonheur de la marche « orientée », c’est-à-dire qui a du sens : une signification et une direction. Ce qui est très différent de la randonnée ou du trekking !

Quelle était votre quête ?

Dans son récit Immortelle randonnée, Jean-Christophe Rufin écrit : « Je ne cherchais rien et je l’ai trouvé. » C’est un peu ce qui m’est arrivé : à cette époque-là, je ne partais pas sur les routes parce que je cherchais quelque chose. Mais ces moments privilégiés m’ont tellement comblée qu’ils ont creusé un sillon en moi. Et quand, à l’issue de mes études littéraires, j’ai commencé ma vie professionnelle, ces chemins ont continué à tisser leur toile. Lorsque j’y pense, je suis émerveillée de constater comment, depuis une quarantaine d’années, les concours de circonstances – ou plutôt de Providence ! – se sont enchaînés, m’invitant à exercer toutes mes activités (journalisme, édition, événementiel) autour de ces itinéraires de pèlerinage.

Ils sont ainsi devenus ma colonne vertébrale. Et j’en remercie le Ciel !

Pourquoi se met-on en marche ?

On se met le plus souvent en marche à un tournant de sa vie (anniversaire, retraite, etc.) ou quand on fait face à une épreuve (chômage, maladie, divorce, burn-out, etc.). Dans le premier cas, on part pour se ménager un espace de réflexion, de méditation, ou en tout cas de liberté, dans lequel pourront émerger de nouvelles idées, qui donneront une nouvelle impulsion. Tel Bernard Ollivier qui, désorienté par sa mise à la retraite, a retrouvé sur le chemin de Saint-Jacques une raison de vivre : l’organisation de marches pour des jeunes en grande difficulté.

Dans le second cas, que l’épreuve soit physique, psychologique ou spirituelle, on cherche une amélioration de son état. Le journaliste Luc Adrian a forgé le terme de « caminothérapie », et je le trouve très juste : le chemin soigne, et parfois guérit. Claire Colette, qui s’est débarrassée de sa fibromyalgie en reliant Louvain-la-Neuve (Belgique) à Saint-Jacques-de-Compostelle, en est un bon exemple.

Que se passe-t-il, physiquement et psychologiquement, quand on lâche tout durant une longue période ?

On peut résumer ainsi les effets physiologiques de la marche : amélioration de la circulation sanguine, de la capacité pulmonaire et cardiaque ; élimination des toxines et sécrétion d’endorphines. Cependant, durant les premières étapes, le corps doit s’adapter : le sac à dos pèse lourd, les muscles tirent, des ampoules se forment. C’est la raison pour laquelle la marche au long cours est plus profitable qu’une marche de quelques jours : il faut que le corps soit rôdé pour que le pèlerin apprécie pleinement son voyage. Sur le plan psychologique, la marche est également bénéfique. Quand on se met en route, on prend de la distance avec les préoccupations quotidiennes. Finies aussi les contraintes sociales ! Et comme on n’a plus d’horaires imposés, l’anxiété et le stress ont moins de prise sur nous.

Peut-on rencontrer Dieu sur le chemin ?

Bien sûr ! Le cheminement physique et psychologique s’accompagne, le plus souvent, d’un cheminement spirituel. Même si, contrairement au Moyen Âge, les motivations religieuses ne sont plus majoritaires, les questions essentielles (le sens de l’existence, la vie après la mort, etc.) sont au cœur des discussions des pèlerins. Je crois aussi beaucoup à l’action des saints sur ces routes qu’ils parrainent : saint Jacques, saint Michel, saint Martin, saint Gilles, saint François d’Assise, les sept saints du Tro Breiz, etc. Ce sont de bons guides, et je suis sûre qu’ils contribuent à ouvrir les cœurs… et les âmes. La grâce coule à flots sur ces chemins

La beauté de la Création participe-t-elle au lâcher prise ?

L’immersion en pleine nature procure la « bouffée d’air » dont nous avons besoin. Ce faisant, elle crée les conditions favorables à l’élévation de l’âme. Aucun pèlerin ne reste insensible à la traversée de la Meseta sur le Camino francés, des causses sur le chemin de Saint-Guilhem, ou encore de la baie du Mont-Saint-Michel. Sans parler des espaces naturels sillonnés par le chemin d’Assise, où l’esprit du Poverello est si présent.

Les rencontres enrichissent-elles le pèlerin ou faut-il leur préférer l’intériorité de la solitude ?

Les rencontres font partie de l’esprit du chemin. Ce qui transforme le pèlerin, ce ne sont pas seulement les pas alignés sur la route. Ce sont aussi les inconnus que l’on croise et qui, marchant vers la même direction, deviennent aussitôt familiers. Ainsi, il n’est pas rare que les pèlerins se tutoient dès le premier contact : on le voit notamment dans le film The Way. Le chemin abolit les frontières sociales. Il est fraternité, compagnonnage, partage… et hospitalité !

Peut-on établir un parallèle entre le cheminement de la vie et le cheminement personnel ?

Oui, le chemin est la plus belle métaphore de la vie. En effet, les épreuves et les joies que nous connaissons en allant à Jérusalem, à Rome, au Mont-Saint-Michel, à Compostelle ou ailleurs, correspondent aux étapes de notre cheminement terrestre.

Les épreuves (les caprices du temps, les cailloux sur la route, le franchissement des montagnes, la traversée des déserts) symbolisent les difficultés quotidiennes de la vie, qu’il faut surmonter pour progresser A l’opposé de ces adversités, les bonheurs du chemin (l’hospitalité, la solidarité, la communion avec la nature) peuvent être comparés aux moments heureux de notre existence.

Dans la vie comme pendant la marche, ces moments s’équilibrent : les instants de bonheur aident à dépasser les épreuves, et les épreuves soulignent la valeur des joies intensément vécues.

Dans quel état rentre-t-on d’un pèlerinage ?

L’expérience pérégrine est si forte qu’en revenant chez lui, le pèlerin connaît parfois ce que l’on appelle « le blues du retour ». Pour éviter cet écueil, il lui faudra incarner dans son quotidien tout ce qu’il a appris du chemin.

Ainsi, au retour, la vie prend un autre relief. De même que la marche devient sacrée quand elle conduit vers un lieu saint, la vie acquiert un sens quand elle a un but. La pérégrination n’est pas une parenthèse : elle apprend à traverser l’existence en cheminant, en se laissant guider par la lumière qui resplendit au bout du Chemin.

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