« Les jeunes doivent prendre racine pour éclore ensuite à leur nouveauté. » Comment transmettre nos valeurs à nos enfants et à la jeunesse d’aujourd’hui, qui semble en perte de repères ? Comment nous, adultes, devons-nous comporter vis-à-vis des jeunes ? Et avons-nous tous notre responsabilité dans l’éducation des générations futures ? Discussion avec Jean-Marie Petitclerc, auteur de Vivre la transmission.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE LEMAIRE
Avant tout, qu’appelle-t-on exactement la transmission ?
Transmettre n’est pas émettre. Dans la transmission, il y a un émetteur et un récepteur. Je regrette parfois que les enseignants soient formés à la qualité de l’émission, et moins à celle de transmettre. On ne peut rien leur reprocher pour ce qui est d’émettre leurs connaissances autour de leur discipline, bien sûr. Mais transmettre, c’est être à la fois capable d’émettre un message et de se rendre attentif à la capacité du jeune à accueillir ce message. C’est pour moi l’essentiel.
Pourquoi parle-t-on de crise de la transmission aujourd’hui ?
Lorsqu’on voit tout ce qui se passe en termes de violence de certains jeunes, on dit qu’ils sont « en perte de repères » … Mais comme j’aime le dire : les repères, il faut les transmettre. Péguy disait « on n’assiste pas à une crise de la transmission mais à une crise de société. » Il ne s’agit pas simplement de gémir, mais de se demander quels repères il nous faut transmettre, puis de se mobiliser pour assurer cette transmission. Cela fait 50 ans qu’on nous parle de crise. Une crise qui dure ne s’appelle plus une crise, mais une mutation. Aujourd’hui, la difficulté de la transmission est liée, selon moi, au fait que notre société vit en effet une mutation, celle du passage d’une société industrielle à une société post-industrielle, marquée par la révolution du numérique. Voilà peut-être la cause de cette crise de la transmission dont on parle. On doit s’acculturer. Le rapport au temps change, avec le « tout, tout de suite » qui caractérise le numérique. Le rapport à l’espace aussi, avec l’abolition des frontières. Sans parler de la grande horizontalité des réseaux sociaux. Donc la transmission est beaucoup plus difficile qu’à l’époque où la société était stabilisée sur des bases solides.
Quelles en sont les conséquences ?
On s’inquiète beaucoup, aujourd’hui, de l’état de santé mentale de notre jeunesse. Chez les jeunes que je rencontre se pose inévitablement la question du sens. Je crois que c’est un besoin spirituel ressenti par chacun d’eux. J’ai reçu la vie, et au bout du bout, c’est la mort : quel est le sens de cette vie qui m’a été donnée ? Bon nombre de conduites que j’observe chez les jeunes (addiction, réitération délinquante, tentatives de suicide), sont souvent une fuite par rapport à cette question fondamentale du sens de notre vie.
Il me semble fondamental, pour les adultes, d’aider les jeunes à construire du sens. Et transmettre la culture veut dire transmettre toutes les manières dont les gens, de générations en générations, ont répondu à cette question fondamentale.
Quelles sont, selon vous, les connaissances essentielles à transmettre à nos enfants ?
Il faut leur donner des outils pour se comprendre eux-mêmes, pour comprendre l’autre, et pour comprendre le monde dans lequel ils vivent. L’expérience de nos anciens est très importante pour cela. N’effaçons pas les repères du passé.
J’insisterais aussi beaucoup sur ces trois valeurs de notre république : liberté, égalité, fraternité. La fraternité est un peu le parent pauvre. Or, elle est la clé de voûte de l’édifice républicain. La liberté sans la fraternité pourrait virer à la toute-puissance, l’égalité sans la fraternité pourrait virer à une sorte d’égalitarisme où on ne reconnaîtrait plus la différence de l’autre. Transmettons ce besoin et ce devoir de fraternité.
Dernièrement, la société a beaucoup insisté sur les droits mais peut-être un peu moins sur les devoirs. Il faut transmettre celui du respect. Car pour se sentir bien dans un groupe, il faut être respecté des autres et s’engager à les respecter. Le jeune doit avoir la capacité de se mettre à la place de l’autre. La violence, par exemple, est très liée à un manque d’empathie. Et puis transmettons cette capacité à s’émerveiller. N’oublions pas ce proverbe africain qui dit « Un arbre qu’on abat fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse ». Nos médias vibrent au son des arbres abattus et ne prêtent pas assez attention à tout ce qui peut germer. Un repère fort pour moi consiste à vivre sa vie comme un chemin, un chemin de vérité et de bonheur. C’est ainsi qu’on pourra découvrir la joie de vivre et celle du vivre ensemble.
Quand il y a un conflit au sein de la famille, j’aime dire aux parents qu’il faut apprendre à leurs enfants à le résoudre sans recourir à la violence. Apprenons à l’enfant à relire les événements. Prenons le temps de lui demander « pourquoi, à ton avis, ça s’est bien – ou mal – passé ? » Il faut faire découvrir aux enfants que la loi permet le plaisir du vivre ensemble, alors que très souvent, l’ado associe la règle à ce qui empêche le plaisir.
Comment peut-on transmettre de manière positive ? Comment donner le sentiment que ce qu’on essaie de transmettre est intéressant et utile ?
L’exemple est source de transmission, plus que le discours. L’adulte doit vivre les valeurs qu’il veut transmettre. Il doit veiller à sa propre crédibilité, qui est liée à la cohérence entre son dire et son faire. Nous assistons aujourd’hui à un glissement de la relation d’autorité : on passe d’une autorité statutaire a une autorité relationnelle. Pour autant, je ne pense pas qu’on assiste à une crise de l’autorité, mais bien plutôt à une crise de crédibilité des porteurs d’autorité.
La foi, parce qu’elle est personnelle et propre à chacun, est très difficile à transmettre aux générations qui nous suivent. Avez-vous quelques conseils pour leur donner le « goût de Dieu » ?
J’aime bien ce parallèle de la foi avec l’amour : saint Augustin nous dit « il n’y a pas l’amour de Dieu et l’amour des Hommes, c’est un seul et unique amour. » Celui qui dit qu’il croit en Dieu mais pas en l’homme n’a rien compris. A mon avis, transmettre la foi, c’est d’abord manifester la foi qu’on a à l’égard de celui à qui on transmet.
Tout le monde est d’accord pour dire qu’on ne peut transmettre l’amour qu’en aimant. On ne peut pas transmettre l’amour en faisant un discours sur l’amour. Pour moi, cela vaut aussi pour la foi. On ne peut transmettre la foi qu’en croyant. L’essentiel, c’est de transmettre au jeune que Dieu croit en lui. Aujourd’hui, bon nombre de jeunes ont besoin de rencontrer des adultes qui croient en eux. Il m’arrive d’accompagner des adolescents au bord du suicide. Ce n’est pas forcément parce qu’ils n’ont pas été aimés ou aidés… mais peut-être qu’il aura manqué la rencontre d’un adulte qui leur dise « j’ai besoin de toi. » Ils se vivent alors comme un problème. Croire en nos jeunes les aide à croire en eux-mêmes.