Jésus est-il revenu à la vie après sa mort sur la croix ? Pour Lili Sans-Gêne, c’est hors de question, on ne lui fera pas croire une histoire pareille. Le philosophe Denis Moreau, dont le livre Résurrections. Traverser les nuits de nos vies sort aux éditions du Seuil réussira-t-il à dissiper ses doutes, voire à la convaincre de la véracité des témoignages ?
LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET DENIS MOREAU
Denis Moreau est professeur de philosophie à l’université de Nantes. Spécialiste de Descartes, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de la philosophie moderne et d’essais personnels grand public sur le christianisme.
Comment peut-on affirmer sérieusement que Jésus est ressuscité des morts, revenu à la vie ?
Denis Moreau : Je vous concède que cela ne va pas de soi. Il y a un fait : des gens l’ont cru, la foi des premiers chrétiens en la réalité de la résurrection de Jésus est bien attestée. Pour le reste, le débat est ouvert. Certains doutent, y voient une méprise, une supercherie ou une hallucination collective des disciples refusant de croire en la disparition de celui en qui ils avaient placé leurs espoirs. D’autres font confiance aux témoignages rapportés par les Évangiles et estiment que la Résurrection de Jésus est l’explication la plus vraisemblable à la découverte du tombeau vide le dimanche matin – vous trouverez la plupart de ces arguments en faveur de la plausibilité de la Résurrection dans la seconde partie de L’Évangile selon Pilate d’Éric-Emmanuel Schmitt. Je pense que, sur le fond, il est vain de vouloir chercher des preuves catégoriques ou des démonstrations irréfutables de la réalité de la Résurrection. Ce n’est pas un « problème » à résoudre, c’est une proposition de foi qui nous est faite, face à laquelle nous sommes invités à nous engager, à « parier » comme dit Pascal. Moi, chrétien, je fais le pari d’y croire.
Admettons ! Il y a quand même un brin de folie à croire en quelque chose qui engage jusqu’à votre propre vie, vous ne croyez pas ?
J’aime bien cette question-là, qui revient à celle-ci : « croire que Jésus est ressuscité, qu’est-ce que cela change à ma vie ? ». Là encore, on peut discuter. Nietzsche ou Marx estiment par exemple que les effets existentiels des croyances religieuses chrétiennes sont désastreux. Je crois quant à moi qu’ils sont bénéfiques, qu’ils améliorent mon existence, m’aident à mieux vivre. C’est ce que dit saint Thomas d’Aquin quand il définit la foi comme une « vertu », c’est-à-dire une disposition à bien agir, à rendre la vie droite et bonne. Bien sûr, dans ces décisions qui nous engagent « pour la vie » (se marier, devenir prêtre ou religieuse, choisir un métier par vocation, etc.), il y a un peu de folie, on est au-delà du simple raisonnable. Mais cela ne vous tente-t-il pas, chère Lili, un petit brin de bonne folie dans votre existence bien cadrée ?
Je suis bien assez grande pour mener ma vie comme je l’entends, merci. Vous ne m’en voudrez pas, mais je préfère compter sur mes propres ressources que sur les promesses de vie éternelle d’un dieu hypothétique… Jusqu’à preuve du contraire !
Vous êtes, Lili, une jeune femme très moderne (mais je crains bien que cela finisse par vous jouer des tours !). Car c’est le problème moral fondamental de notre époque : estimer – ce qui non seulement est impossible mais encore se révèle épuisant – que lorsque nous sommes abattus, engourdis ou terrassés par les petits ou grands désastres qui scandent nos vies, nous pouvons et devons-nous en sortir tout seuls, par nos propres forces. Comme chacun s’en rend compte à l’usage, cela ne marche pas, et c’est harassant – ce n’est pas pour rien si le burnout s’annonce comme la pathologie du siècle. Le christianisme dit autre chose : il s’agit de reconnaître d’emblée que, face à la grande catastrophe qu’est la mort mais aussi dans toutes les catastrophes de la vie, seuls, nous ne nous en sortirons pas ; que nous avons besoin qu’on (Dieu, les autres, Dieu par l’intermédiaire des autres) nous aide, que jamais nous ne serons à la hauteur de cette figure moderne de l’homme toujours actif, indestructible et qu’il est même mortifère et pourvoyeur de névroses de vouloir à tout prix s’égaler à cette figure. Dans les temps de déréliction, il y a une forme de sagesse à accepter de laisser monter ce cri du fond de nos êtres : « Sauve-moi, sauvez-moi, je péris ».
Si vous le dites… Et après, je ne vois pas très bien ce que cela changerait à ma vie…
Je pense au contraire que cela change des tas de choses. Si l’on croit que la résurrection de Jésus signifie que la mort n’a pas le dernier mot et annonce notre propre résurrection, on ne vit pas ses deuils de la même façon que lorsqu’on pense que les gens qu’on aime ont définitivement disparu à leur mort et qu’on ne les reverra jamais.
Si l’on croit que Dieu a « relevé » (c’est le sens d’un des deux verbes grecs du Nouveau Testament qu’on traduit par « ressusciter ») Jésus du tombeau, cela signifie qu’aussi bas soyons-nous « tombés » (graves fautes morales, haine de soi), nous pouvons nous aussi, avec l’aide de Dieu, nous relever. Si l’on croit que Dieu a « réveillé » (c’est l’autre verbe grec qu’on traduit par « ressusciter ») Jésus du sommeil de la mort, cela signifie que, quel que soit le degré d’engourdissement (dépression, amour éteint ou disparu) auquel nous sommes parvenus, nous pouvons nous aussi, avec l’aide de Dieu, nous en réveiller. Vous voyez, cela change la façon dont on « vit ». La foi en la résurrection colore l’existence d’une tonalité d’espérance qu’il n’est peut-être pas si facile d’avoir sans elle. Dans les épreuves et les moments difficiles, c’est précieux.
Là, vous commencez à m’intéresser. Il faudrait approfondir…
Lisez mon livre !
Je vous le promets ! Revenons à la résurrection. C’est bien joli, mais un peu trop beau pour être vrai, comme on dit.
Chère Lili, je trouve cet argument mauvais. Imaginez une personne assoiffée à qui l’on tend un bon verre d’eau bien fraîche : lui refuserez-vous d’en boire au motif que « c’est trop beau pour être vrai » ou que se mettre à boire reviendrait à « prendre son désir pour une réalité » ? La croyance en la résurrection du Christ est un verre d’eau fraîche et salvatrice proposé à ceux qui habitent les ténèbres et l’ombre de la mort. À chacun de décider s’il entend s’en saisir, ou continuer d’avoir soif. En tout cas, pour ma part, chère Lili, croire que le Christ est ressuscité m’aide à vivre, à affronter la peur de la mort, à traverser vaille que vaille et tant bien que mal (je ne dis pas que c’est facile !) les crises, les nuits, les chutes, les tragédies qui couturent nos existences. Cela me fait du bien. Vous ne voudriez quand même pas m’en priver ?
Vous êtes jeune et pleine d’avenir, chère Lili, je vous souhaite de tout cœur une vie aussi belle et joyeuse que possible. Mais, vous savez, pour tenter de nous sortir de certains épisodes dramatiques de la vie, nous avons besoin de croyances qui permettent d’affronter la tempête et les coups de chien que l’existence nous réserve. La foi chrétienne offre de telles croyances
ALLER PLUS LOIN
Résurrections. Traverser les nuits de nos vies
Denis Moreau, Seuil, 2022, 304 pages, 22 €.
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