La prostitution est-elle un mal nécessaire ?

17 mars 2014

Thierry des Lauriers

Une proposition de loi « renforçant la lutte contre le système prostitutionnel » va être examinée par le Sénat au printemps. La prostitution est-elle vraiment une souffrance pour les personnes qui la pratiquent ? Est-elle normale dans la société ?

Le débat entre Lili Sans-Gêne et Thierry des Lauriers

1. Il ne faut peut-être pas trop exagérer la souffrance de la personne qui se prostitue.

Nous avons tous des clichés sur la prostitution : ils vont d’une image noire de la prostitution, empreinte de violences, drogue, vulgarité et trafics divers, à celle des années 1960 incarnée par la sympathique « grosse Lulu » ou celle plus glamour de la prostitution de luxe d’aujourd’hui. La prostitution demeure souvent un lieu confus de fantasmes dans l’imaginaire populaire. Cela témoigne de la méconnaissance de la population prostituée : des personnes de tout âge, des jeunes comme des mineures ou des personnes âgées de plus de 70 ans ; des femmes mais également des hommes et des personnes travesties et transsexuelles ; des femmes dans toutes leurs dimensions de femmes, c’est-à-dire par exemple des femmes pouvant être mères, grands-mères voire arrière-grands-mères, qui ont les mêmes soucis que toutes les mères pour leurs enfants… Ces personnes, nous les rencontrons dans les rues de Paris, dans les bois de Boulogne et de Vincennes, dans nos antennes parisiennes. Or, que nous disent-elles ? La plus grande partie d’entre elles nous disent souffrir de cette situation et vouloir s’en sortir.

2. Ces personnes sont libres : si ça leur plaît, elles font ce qu’elles veulent.

 Mais leur liberté est souvent entravée : par un proxénète ou un réseau qui formule des menaces et fait acte de violence sur les personnes ; entravée par une précarité économique personnelle ou de tout leur entourage ; entravée par une situation compliquée : pas de papiers, analphabétisme, non-maîtrise de la langue française, etc. Et enfin entravée par le parcours d’une vie personnelle perturbée, voire profondément blessée. Certes de ces personnes, on peut dire qu’elles ont posé un choix qui les a conduites à être aujourd’hui en situation de prostitution. Cependant ce choix est fait dans un contexte donné et à un moment précis, souvent sous la contrainte de la violence, sous la contrainte de la misère, sous la contrainte du système. Donc, ce « choix » est le plus souvent un choix contraint et par défaut ; il n’est pas l’expression d’une vraie liberté, et en même temps il n’est pas irrévocable. Celles dont on peut dire, comme vous le dites : « C’est leur choix », sont très peu nombreuses.

3. Peut-être serait-il plus simple de légaliser la prostitution.

Des pays comme la Hollande et l’Allemagne l’ont fait. Leur réglementation administrative impose des conditions à l’exercice de la prostitution qui font coexister zones protégées (sans prostitution) et zones de tolérance (quartiers réservés à la prostitution, maisons closes, eros center). Avec du recul, une telle réglementation a augmenté la prostitution, non seulement le système « officiel » que l’ont voit dans les fichiers de police, mais aussi un système « au noir » où les conditions de vie sont les conditions de traite des êtres humains et d’un véritable esclavage. De plus légaliser la prostitution revient à reconnaître que le corps est une marchandise commercialisable, ce qui va à l’encontre du principe de non-patrimonialité du corps humain de notre code civil et nous pose une question morale : souhaitons-nous faire de notre corps un bien consommable ? Pour nous, la réponse est non. Notre corps est partie intégrante de notre personne. Mettre son corps à distance de soi conduit à un éclatement de la personne. Lors du repas de Noël avec les personnes en situation de prostitution, je demandais à l’une d’elle, qui se fait appeler tantôt Dominique et tantôt Monika : « Pourquoi as-tu deux prénoms sur ton étiquette ? T’appelles-tu Dominique ou Monika ? – Les deux, a-t-elle répondu. – Mais alors tu es une ou tu es deux ? – Ah ! Je suis une !… (silence)… enfin sauf au Bois : là je suis obligé d’être deux… forcément. » Monika exprime très bien le fait qu’elle se morcelle en deux pendant l’acte prostitutionnel. Elle met son corps à distance. Elle n’est plus son corps. Là, il y a souffrance de la personne en prostitution. Là, il y a un acte de violence contre la personne dans son unité et sa globalité, acte que tout citoyen responsable doit condamner.

4. Il y a pourtant des avantages à faire ce métier : les prostituées apprécient le pouvoir – la manipulation des clients –, leur rôle social du fait du besoin d’écoute des clients, etc. Il faudrait reconnaître leur utilité sociale.

 Oui, un certain regard sur la prostitution conduit à voir les avantages que vous évoquez. S’il y a une utilité sociale, souhaiteriez-vous pour autant que votre mère, que votre sœur, que votre fille se prostitue ? Et vous-même souhaiteriez-vous vous prostituer ? Il est fort probable que non. Mais, y a-t-il une nécessité sociale de la prostitution ? Répondre au besoin sexuel irrépressible des hommes ? Les hommes ne sont pas des animaux, ils n’ont pas de besoins irrépressibles ! Besoin d’écoute des hommes ? oui, tout le monde a besoin d’écoute et il y a mille moyens de trouver une réponse à ce besoin ! Je ne vois pas quelle nécessité sociale imposerait un « métier » qui conduit à autant de souffrances et de dégradation des personnes. Défendre les droits élémentaires de la personne, ce n’est pas justifier la prostitution et faire d’une activité dégradante un métier, c’est trouver des solutions pour que des personnes qui sont prises dans les griffes d’un réseau de traite puissent s’en sortir, pour que des personnes qui sont en prostitution à cause d’une grande précarité économique, à cause d’une fragilité psychologique puissent s’en sortir.

5. Alors, peut-être vaut-il mieux l’interdire tout simplement.

 Certains pays ont pris cette voie. Malheureusement la prohibition conduit plus au développement d’une activité souterraine qu’à l’éradication du phénomène. De plus, prohiber la prostitution revient à renforcer la vulnérabilité des personnes prostituées, et à ajouter le poids d’une condamnation par la société à la souffrance d’être en situation de prostitution. En France la loi punit déjà le proxénétisme, c’est-à-dire qu’il est interdit de tirer profit de la prostitution d’autrui ou de la favoriser. Depuis 2003, les personnes qui font du racolage sur la voie publique sont passibles d’une amende. Cette loi n’a pas freiné la prostitution. La prostitution s’est repliée dans les bars, les boîtes de nuit, les salons de massage et sur Internet. Et aujourd’hui, elle est revenue sur les trottoirs. Le projet de loi en cours de discussion sort de cette hypocrisie et met fin au délit de racolage.

6. Il faudrait au moins punir les clients.

C’est prévu par le projet de loi évoqué. Cela a un double intérêt : d’une part, formuler une norme, dire que la prostitution est mauvaise, d’autre part, rencontrer le client en lui proposant un stage de sensibilisation payant, plutôt qu’une amende. Punir les clients a cependant une limite : la société risque de les pointer du doigt, sans traiter les raisons qui les amènent à fréquenter la prostitution. Qu’il y ait ou non une pénalisation du client, nous souhaitons que chaque prostitué(e), bien qu’en position de victime, soit reconnu comme une personne libre digne de respect, et aussi que chaque client soit reconnu comme une personne libre, capable de prendre conscience de la gravité de son acte.

Thierry des Lauriers

Il est directeur de l’association « Aux captifs, la libération », créée par le Père Patrick Giros, en 1981, pour aller à la rencontre des personnes prostituées et sans-abri. Aujourd’hui, elle est implantée à Paris dans 5 antennes. Les 200 bénévoles et 50 salariés de l’association rencontrent chaque année plus de 1000 personnes en situation de prostitution et en accompagne en particulier plus de 250.

Aller plus loin :

BRUT DE CHARITE, Louis Guinamard et Patricia Lattion, Éd. de l’Emmanuel – Aux captifs la libération, 2013, 18 €

Fondateur de l’association « Aux captifs, la libération », Patrick Giros a marqué notre temps dans son combat pour la dignité des jeunes en errance, des prostitué(e)s et des sans-abri. Portrait d’un prêtre insatiable dans son engagement caritatif.

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