De plus en plus de personnes pratiquent la méditation de pleine conscience. Qu’elles soient chrétiennes ou non, elles y trouvent un bienfait immédiat. Mais cette méditation est-elle aussi neutre qu’on le pense et bonne pour l’âme ?
LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET LE FRÈRE BAPTISTE
Ordonné en 1988, le frère Baptiste est religieux Carme au couvent de Fribourg. Il est rédacteur en chef de la revue Carmel.
Le but de la « pleine conscience » est le même que celui de la prière : vivre pleinement l’instant présent, accueillir ce qui est, être détaché de tout, ne pas se laisser envahir par les émotions, trouver la paix…
Quand je médite, je deviens vraiment moi. Grâce à la méditation, j’ai découvert qu’il n’y a pas moi et le monde et les autres séparés : je ne forme qu’un avec les autres.
Mais n’êtes-vous pas justement en train de prendre la direction inverse de ce que vous cherchez ? Si, en méditant, vous découvrez qu’il n’y pas de dis- tinction entre vous et les autres, je crains que votre « personnalité » ne finisse par se dissoudre et que vous ne vous enfermiez dans votre bulle virtuelle. Si nous ne formions tous qu’une seule chose indistincte, comment pourrions-nous nous aimer pour ce que nous sommes vraiment : des êtres uniques et irremplaçables ?
Avec la méditation, j’ai découvert le silence : ce vide intérieur absolu qui vous purifie de tout… C’est ce que font les moines bouddhistes et chrétiens. Non, non. Le moine chrétien ne cherche pas à faire le vide en lui-même. Il se met à l’écoute de la Parole de Dieu. Il lit la Bible ! Traditionnellement, la pre- mière étape de la prière du moine, c’est la « lectio divina », la lecture de la Parole. Ensuite, il « rumine » cette parole que Dieu lui adresse (c’est ce que la tradition chrétienne appelle proprement médita- tion). Et lorsque son cœur en est rempli, imprégné, sa prière est façonnée par la pensée et les sentiments de Jésus. À ce moment-là peut naître en lui une prière silencieuse que l’on appelle contempla- tion. C’est un silence plein d’amour, plein de la présence de Celui qu’on aime. Vous voyez que le cheminement est complètement différent de celui qui consiste à vider sa pensée de toute représen- tation et de toute émotion.
En France, la méditation est très souvent pratiquée de manière laïque. C’est juste une technique thérapeutique.
Le fait de méditer est certainement une bonne chose en soi. On connaît depuis longtemps la médi- tation philosophique, les sagesses antiques comme celle des stoïciens. Apprendre à se concentrer, à apaiser ses émotions, à reprendre contact avec le réel, avec ses sensations, tout cela est bon. On le retrouve par exemple dans la méthode Vittoz. Là où je m’attriste, c’est lorsque ces exercices de « méditation » viennent remplacer la prière. Vous passez subtilement du dialogue au monologue ! Une technique thérapeutique pour soigner le psy- chisme ? À voir. De toute façon, une thérapie n’est que temporaire… Et, par pitié, n’oubliez pas que vous avez une âme spirituelle qui est faite pour aimer Dieu. Prier est l’activité la plus haute de l’homme, et vous ne priez pas lorsque vous médi- tez à la mode laïque.
La méditation peut aussi être vécue de manière spirituelle. Le méditant se relie à Dieu qui est partout, puisqu’il est la Grande Énergie divine et cosmique.
Dieu est partout présent et agissant, mais il n’est pas le monde ni quelque chose du monde. Il est transcendant, le Dieu Très Haut, non pas une force anonyme, mais Quelqu’un. Ce Dieu caché, qui se laisse deviner dans la création mais que nul n’a jamais vu (Jn 1,18), s’est révélé progressivement par les prophètes de l’Ancien Testament, puis, finalement, en Jésus, son Fils unique devenu l’un de nous. Sainte Thérèse d’Avila a vécu un moment clé dans sa vie spirituelle : elle a été tentée de s’éloi- gner de l’humanité du Christ, car on lui disait que c’était un obstacle pour aller à Dieu, qui est imma- tériel. Et elle a fini par reconnaître qu’il s’agissait d’une funeste erreur. Nous ne pouvons pas aller
au Père sans passer par Jésus, l’unique médiateur. Lorsque nous prions, nous touchons Dieu parce que Jésus prie en nous. Je ne crois pas qu’une tech- nique puisse être neutre. Toute la prière chrétienne est fondée sur le Notre Père ; pour apprendre à prier, on apprend le Notre Père ; c’est comme cela dans l’Église depuis les Apôtres ! La prière ne s’appuie pas sur une technique, elle s’appuie sur un acte de foi qui se reçoit de la tradition de l’Église.
La « pleine conscience » c’est le grand lâcher-prise, le détachement. Je pense que c’est l’équi- valent de ce que vous appelez l’abandon dans le christianisme.
Formidable ! Il s’agit de s’abandonner à ce grand courant d’énergie cosmique qui nous traverse et tout ira bien : nous serons de plus en plus vivants et heureux ! Pardonnez-moi, je vous taquine. Le chrétien est quelqu’un qui déploie son intelligence et sa volonté, sa sensibilité, il travaille à devenir de plus en plus humain. Sur ce chemin, il prend de plus en plus conscience de la blessure du péché et du besoin d’être sauvé. Par la prière et les sacre- ments, il se lance de tout son être à la rencontre de Jésus son Sauveur. Seul Jésus peut le rendre à son humanité véritable. Il crie vers Lui, il se laisse toucher par Lui, habiter par sa grâce qui le guérit et le divinise. C’est là, et là seulement qu’il s’aban- donne. Le chrétien ne s’abandonne pas comme on saute dans le vide en espérant qu’une main secourable va s’étendre pour le rattraper (ce qui serait tenter Dieu). Il ne s’abandonne pas non plus au courant de vie qu’il devine au fond de lui (ce qui pourrait être un bon exercice). Il s’abandonne à la grâce du Christ qui est un courant mystérieux, en général plutôt contraire à ses goûts et à ses inclinations immédiates. C’est le fruit d’une application constante de la volonté, un travail vertueux de longue haleine, pour arriver à ce point où la volonté peut se livrer totalement à son Dieu.
Avec le monde dans lequel on vit, la méditation fait vraiment du bien : on ne ressent plus le stress, l’angoisse, la souffrance…
Alors là, nous arrivons à des sommets : vous me parlez de la joie que vous allez trouver à vous mettre en état de mort cérébrale ! Bien sûr, votre vie est stressante, et il faut chercher à mieux réguler ces effets. Mais nos émotions sont bonnes ! Elles sont des messages que le monde nous adresse. Grâce à mes émotions, je peux compatir à la souffrance d’autrui, percevoir la beauté, communier à la joie, etc. Si j’enfouis mes émotions ou les regarde comme mensongères, je vais me couper du monde extérieur et de la possibilité d’entrer en relation. Je me sentirai mieux sur le moment, mais de plus en plus seul. Ma vie perdra de plus en plus son sens et sa saveur. Je serai dans ma bulle, béatitude d’un bébé avant sa naissance ! Non, le chemin de la béatitude chrétienne consiste à s’ouvrir au monde et aux autres, jusqu’à en souffrir, jusqu’à en mourir. C’est le chemin de la croix de Jésus. Si je cherche à me sentir bien, de mieux en mieux, à éviter toute souffrance, toute contrariété, je vais me refermer sur un univers de plus en plus étroit et narcissique. Je deviendrai insupportable sans même m’en apercevoir : je n’entendrai plus les autres autour de moi. Non, la vie chrétienne, c’est d’entrer en relation, avec Dieu et avec les autres, de leur faire de la place dans notre vie et dans notre cœur. Je vous en supplie, ne vous trompez pas de sens, vous allez construire votre malheur
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