Les jeunes passent autant de temps en cours que sur les jeux vidéo. Rude constat. Faut-il en avoir peur ? Comment comprendre ce phénomène de société ? Le père Bertrand Monnier, auteur des 10 commandements des jeux vidéo, décrypte le sujet.
PAR ANTOINE LEMAIRE
Pouvez-vous faire un rapide état des lieux de la pratique de jeux vidéo chez les jeunes aujourd’hui ?
Une grosse majorité des jeunes jouent aux jeux vidéo. Je dirais qu’entre 70% et 80% des jeunes ont une consommation régulière. Cette activité varie bien sûr de l’un à l’autre. Les joueurs sont en moyenne autant en cours que sur les jeux vidéo. Certains font beaucoup plus et d’autres beaucoup moins. Il ne faut surtout pas généraliser ces chiffres-là.
Quel intérêt a l’Église à considérer plus sérieusement ce phénomène de société ?
L’intérêt est d’abord culturel à mon avis. Au XXe siècle, l’Église s’est beaucoup penchée sur les questions morales et sociales au détriment des questions culturelles. Il y a eu une véritable explosion technologique. Mais, étrangement, l’Église n’a quasiment aucune parole là-dessus, aucun retour, comme si ça ne la concernait pas. Cette indifférence-là est à mon avis à corriger. Par exemple, en créant des espaces de dialogue, d’ouverture, de rencontres.
Quelles distinctions faites-vous entre la fuite et l’escapade dans les jeux vidéo ?
Ce n’est pas moi qui fais la distinction, c’est J.R.R. Tolkien. Il disait qu’il faut faire la différence entre l’escapade du prison[1]nier et la fuite du déserteur. On a besoin de s’échapper, de s’évader, car parfois c’est bon pour nous. Mais si cette escapade devient une fuite – et en particulier une fuite de la réalité – cela crée des soucis. Quand on s’évade, c’est qu’on a besoin de trouver un réenchantement, de renouer avec le mythe comme une vérité poétique et symbolique qui donne du sens.
Avez-vous quelques techniques concrètes à donner aux parents pour contrôler le temps de jeu de leurs enfants ?
Il faut discuter avec les enfants – surtout quand ils arrivent à l’adolescence. Poser des règlements pour la famille tout entière. Le « pas d’écran le soir » doit valoir pour tous, même les parents. Ces derniers peuvent proposer un petit cahier d’accompagnement dans lequel l’enfant note ses temps de jeux et ses observations/réflexions sur le jeu. C’est un support de discussion, qui permet aux parents de comprendre le fonctionnement de leurs enfants. Surtout, ne pas faire en sorte que le jeu vidéo soit une caverne.
La pratique intensive des jeux vidéo peut-elle nous couper de notre relation à Dieu ?
Absolument. Cela fait partie des dangers. Si le jeu vidéo vous coupe de l’humain, il vous coupe de Dieu. Dans les cas d’addiction, par exemple, il y a la question de savoir où on place notre âme. « Là où est ton cœur, là où est ton trésor. » Quelqu’un qui ne pense qu’aux jeux vidéo ne laisse pas de place à la présence de Dieu dans sa vie. Pour autant, l’un et l’autre ne sont pas du tout inconciliables.