Après avoir réussi à passer les 2 digicodes de l’immeuble – un peu par miracle comme la chauve-souris de son spectacle – nous retrouvons Jean-Marie Bigard dans son appartement. Une interview d’une intensité exceptionnelle. Profond, drôle, attachant et surprenant. Il l’a promis, il « arrête les conneries » !
INTERVIEW RÉALISÉE PAR ANNE-CLAIRE DÉSAUTARD-FILLIOL
Dans quel type de famille êtes-vous né ?
J’ai grandi dans une famille d’artisan. Mon père était charcutier ambulant. Il travaillait 17h par jour. Quand il rentrait, on faisait la chaîne pour rentrer toute la viande dans les frigos. Le matin, il partait à 4h. Ça a fini par l’user et il est allé travailler dans une grande enseigne pour avoir des horaires plus normaux sinon il se serait tué à la tâche. Il n’avait pas de temps à nous consacrer. Ma maman était présente, très aimante.
Elle restera le grand amour de ma vie jusqu’à la fin de mes jours. Si on se retrouve après cette vie, ce sera mon plus grand bonheur.
Vous êtes juste et généreux, (il répond tout de suite)
Juste, je ne sais pas, mais généreux sans aucun doute et à mes dépens ! Par rapport à ce que j’ai possédé, je n’ai quasiment plus rien mais je suis assez content de ce que j’ai fait de ma vie. J’ai gagné énormément d’argent mais j’ai toujours redonné. J’ai toujours pensé, en bon croyant que je suis, que ce argent me tombait du ciel et que je n’avais aucune raison de le garder pour moi. Je n’ai jamais pensé à défiscaliser, à acheter même une maison. Je suis un honnête citoyen, un pauvre con normal qui paie tout ce qu’il y a à payer et qui s’aperçoit que si tu paies tout dans les règles, tout est fait pour qu’il ne te reste rien ! C’est le résumé de la fiscalité française !
D’où vous vient cette générosité ?
Elle vient du cœur de ma mère et de mon père qui m’ont donné une bonne éducation. J’en parlais à Jean-Jacques Goldman un jour, on se disait que c’est désuet de dire qu’on a été bien élevé mais c’est pourtant le plus important. Donner l’exemple. Dans mon nouveau spectacle « J’arrête les conneries », je parle beaucoup d’éducation. Je leur dis : (il change de ton) « Elevez vos enfants, soyez fermes ! Je vais passer pour un vieux con ! Jérôme nous, tes parents, t’interdisons de rejoindre les émeutiers à 23h sauf si tu ramènes un iPhone 15 à ton frère, une Rolex à ton père et une paire de Louboutin à ta mère ! »
Enfant, on vous prédestinait à devenir pompiste, une manière de dire que vous ne feriez rien de votre vie…
Je n’avais pas trop envie d’obéir ! J’étais le quatrième et dernier de la fratrie. Les autres avaient tellement déblayé le terrain et moi j’arrive, tout était fait, les parents avaient déjà tout donné !
J’avais le droit d’être un artiste ! L’aîné n’a pas le choix, il doit être parfait, répondre aux attentes des parents. Le dernier, généralement, arrive et peut faire un peu ce qu’il veut. Il est moins enclin à obéir !
En tant qu’humoriste, je m’amuse de tout ce qui est interdit, je comprends ceux qui n’obéissent pas. Mon grand frère disait « tu vas devenir pompiste » ! Et puis je suis devenu le patron de ma famille. Mes frères et soeurs sont devenus les frères et soeurs de Jean-Marie Bigard. La seule chose triste est que mes parents n’ont pas vu ma gloire. Mon père aurait pleuré de voir ça ! (il est ému)
Être un artiste c’est être désobéissant ?
(Le chat, Pirate, passe devant la caméra.) Pirate ! c’est mon interview ! (Nous rions). Être un artiste, c’est être libre. Depuis tout petit, j’ai toujours eu ce désir d’essayer de faire rire mes parents. Je suis né avec un nez de clown. Quand je suis venu au monde, j’ai essayé de ne pas déranger. J’avais une tête d’ange, disait ma mère. J’étais le quatrième, pas toujours le plus désiré car nous étions une famille modeste. C’est comme si j’étais arrivé et que je voulais leur dire « ne me jetez pas, vous allez voir comme je suis drôle ! »
Apres la mort, vous pensez que vous aurez aussi à faire rire là-haut pour vous faire aimer ?
Déjà laisse-moi mourir et je te dirai après ! Je pense que là-haut, c’est un changement d’état. T’es vivant et après tu n’es plus vivant. Ce qui ne prouve pas que tu n’es pas dans un autre état. Je crois fermement que la vie d’après sera de mieux en mieux. Moins tu auras chargé ta vie de péchés, plus tu auras été une belle personne, plus la vie là-haut sera jolie. Je sais pas si je vais récupérer ma fortune mais enfin bon (rires).
Je fais tout pour être bon, afin d’avoir une belle vie après la mort. Chaque matin, je me lève et je dis « Seigneur, je renais du sommeil, daigne me guider et me diriger tout au long de cette journée, fais que mes pensées, mes paroles et mes actions soient bonnes ». (il est ému) Parce que même une mauvaise pensée peut tuer. Vois le bien, sois le bien, fais le bien. J’essaie de voir Dieu chez tout le monde ! Même avec vos trois gueules de cons (il parle de l’équipe de L1!), je vous accueille avec bonheur en me disant que je vous dois tout le respect car il y a Dieu en vous.
Vous bottez en touche ! Et ma question ?
J’adorerais faire rire là-haut ! Si je peux trouver un truc drôle, je n’hésiterai pas ! J’arriverai chargé de bonnes intentions pour les gens que je vais croiser ou recroiser !
Dieu a-t-il de l’humour ?
Dieu est tout, il est universel, donc faut pas en vouloir à Dieu s’il t’arrive une épreuve. Soyons heureux d’avoir une vie d’être humain ! On devrait se lever chaque matin en se disant, je suis en pôle position de la chaîne animale ! J’ai trois trucs essentiels qui me différencient, pour mon bonheur, des animaux, même des animaux les plus intelligents. J’ai la conscience de ma conscience – c’était dans mon spectacle Des animaux et des hommes qui a fini au stade de France – je sais que je sais ce que je sais. Deuxième différence, je sais que je vais mourir. Nous ne sommes pas éternels, l’animal n’envisage même pas, même à la dernière seconde, ce que c’est de mourir. Troisième différence, nous avons un langage articulé complet. Les lettres associées les unes aux autres font des mots, qui associés font des phrases, qui associées, génèrent un sentiment qui fera que l’on sera heureux ou non. Je peux te communiquer des mots, des phrases et provoquer chez toi un sentiment de joie, de peine, ou d’ennui !
Vous avez traversé beaucoup d’épreuves difficiles dans votre vie, notamment la mort de vos parents à un an d’intervalle lorsque vous aviez la vingtaine. Il semble que vous soyez dans la résilience plutôt que dans la rancune ou l’amertume.
Pour mes parents, je n’ai jamais cessé de dire qu’ils m’avaient donné des armes inouïes. Ils m’ont donné l’amour. Dieu est amour. Finalement, on ne devrait pas utiliser l’amour pour le conjugal, le fraternel, le familial. Dieu est amour et nous en donne autant qu’on veut ! C’est une source inépuisable d’amour.
Nous ne sommes pas les propriétaires de l’amour. Dieu est une banque d’amour qui te donne autant que tu veux !
Quand mes parents sont partis, je n’ai pas pensé « je n’ai pas mérité ça, c’est dégueulasse… » Je ne sais pas pourquoi je suis un vrai croyant mais ce qui m’est venu, c’est qu’une fusée, pour aller très haut, commence par brûler des étages pour s’arracher à la terre et s’envoler. Mes parents sont ces sacrifices.
Mes parents ont été les deux premiers étages de cette fusée. Ils devaient partir – peut-être pas aussi vite – sinon la fusée n’aurait pas pu continuer son chemin. (Il est en larmes)
Votre père a tout de même été assassiné… A aucun moment vous en avez voulu à l’assassin de votre père ?
Tu sais pourquoi j’ai pardonné à l’assassin de mon père ? Parce qu’il me l’a demandé.
Mais on peut dire non ! On peut ne pas avoir envie, on peut hurler et répondre « vas te faire voir » !
Non j’ai accepté. Il était demandeur. S’il n’avait pas exprimé par rapport à la peine de ce qu’il avait fait, j’aurai peut-être mis plus de temps à pardonner, mais il l’a demandé. Dieu ne nous refuse pas le pardon. Il nous montre le chemin alors j’ai pardonné. Quand on me dit « quand même ce n’est pas juste ! » Je réponds « qui a dit que la vie est juste ? Y-a-t-il quelqu’un qui nous garantit que la vie est juste ? Non ! » Fidèle à Dieu je ne sais pas comment ni de quelle manière, je pense que c’est mieux de pardonner. Je ne te dis pas que je ne suis pas affecté parfois très fort.
Vous avez une immense carrière d’humoriste, vous avez joué au Stade de France devant des dizaines de milliers de personnes, comment ne pas tomber dans l’orgueil quand on connait de tels succès ?
Parce que c’est arrivé tard. Je n’aurais pas voulu voir quelle aurait été ma vie si j’avais eu 25 ans au moment de ma réussite. J’avais perdu mes parents, je suis arrivé à Paris à plus de 30 ans, j’ai ramé pour jouer au Point-Virgule, une des plus petites salles de Paris.
J’ai vu des collègues gravir les marches 10 par 10, moi je n’en ai pas raté une ! Mais je les ai toutes franchies et ça m’a permis de ne pas perdre la tête, de ne pas devenir milliardaire trop vite. Ça ne m’a pas empêché de tout claquer comme un jeune, hein !
Mais j’ai aussi donné à beaucoup de gens qui me demandaient. Quand tu fais ça, tu es ruiné !
Ruiné financièrement, mais humainement, vous êtes plus riche ?
La vantardise est un peu un péché mais je suis assez fier de ce que je suis, de ma nature. Je suis colérique, mais ça passe vite pour aller vers le pardon. Et si je ne gueule pas, je n’obtiens rien, alors je gueule, c’est mon défaut. La presse s’en régale d’ailleurs.
Au lieu de rester assis sur mon pognon, j’ouvre ma bouche et je donne. Ça dérange et je ne favorise pas les opportunités mais je suis en accord avec ma nature. J’ai produit le Stade de France seul. Personne au monde ne m’aurait produit ! Tout le monde a ri jusqu’à ce que je le remplisse. J’ai aussi produit et joué Le Bourgeois Gentilhomme de Molière. J’ai joué Jean- Baptiste Poquelin, c’est toute mon histoire ! Je suis comme le bourgeois qui n’a pas tous les titres de noblesse et qui se les achète ! C’était plein du 1er janvier au 31 mai tous les jours ! 1 100 personnes, salle comble ! C’est mon plus grand exploit, pour moi ! 635 lignes de prose inapprenable ! Et quand on joue à la
Virgule, les deux premiers rangs de mamies contrôlent si tu fais deux « HOHO » comme dans le texte et non trois (rires).
Il m’arrive d’aller commenter les Ecritures (la Bible) dans les églises. Je suis allé à Albi. Françoise Thuriès, comédienne de talent, lisait les morceaux que je commentais. Une cathédrale pleine à craquer ! Tout le monde était en larmes au bout de 20 minutes. C’était un moment magnifique qu’on m’a offert !
Pour finir, quelle serait votre dernière phrase juste avant de mourir ?
(Il se lève pour nous offrir son dernier livre « 50 dernières phrases juste avant de mourir », qu’il nous dédicacera avec un bonheur partagé… sans répondre à la question, avant un appel le lendemain). Anne-Claire, j’ai réfléchi à ta question, note ! Je ne dirai pas je pars, je dirai j’arrive !