Détonnant. Il est l’un des avocats les plus médiatiques et les plus contestés de sa génération. Défenseur des indéfendables, ce ténor du barreau aime la vérité, sœur Emmanuelle, le silence… et le Verbe.
Propos recueillis par Emmanuelle Dancourt
De l’affaire Ranucci à l’Arche de Zoé en passant par les affaires Virenque, Barbie, VA-OM, cet avocat de l’impossible cultive sa différence et sa complexité. Le rencontrer, c’est se confronter au laser bleu de son regard perçant, à sa parole sûre et prête à jaillir, à sa gravité teintée d’humanisme avec, en filigrane, sa foi prégnante.
Enfant, vous vouliez être… Acteur.
En étant avocat, j’ai trouvé un public, une scène, des costumes, un décor, un drame et des textes extraordinaires à écrire car ils sont dans la vérité.
Votre première affaire ? Un clochard qui en a tué un autre dans un accident de triporteur. Après le verdict, il m’a dit « Merci, p’tit gars ». Le plus bel honoraire de ma vie !
Comment choisissez-vous vos affaires ?
Je choisis les réprouvés, ceux dont personne ne veut. J’ai défendu gratuitement un homme que quinze avocats ont refusé. L’affaire est horrible, je ne la raconte pas. Je n’avais rien à y gagner, que de l’opprobre, mais je ne voulais pas être le seizième déserteur. Il fallait quelqu’un au pied de son histoire.
Au pied de sa croix ?
Hum… Quand je prends la décision de faire exhumer Montand, je sais que je vais me faire détester mais il faut que quelqu’un ait le courage d’aller au bout pour savoir si Aurore Drossart est sa fille ou non. Quand je défends le général Aussaresses, j’assume de ne pas hurler avec les loups.
Assasaint, c’est le titre de votre livre sur Jacques Fesh.
Qui est-il pour vous ?
Mon ami, mon inséparable ami. En 1954, il tue un policier lors d’un braquage. Il est coupable, on l’incarcère. Ce n’est pas un saint homme qui entre en prison. Il sera d’ailleurs guillotiné. Mais avant, il sera électrifié par l’Évangile ! Je sais, grâce à lui, qu’il existe des cas où le grand air de la rédemption pénètre dans le cœur de l’homme.
Ponce Pilate vous demande d’être l’avocat du Christ.
Comment faites-vous pour défendre Jésus ? Gagnez-vous le procès ?
Entre nous, si je vous réponds que je gagne le procès, quelle paranoïa ! Détourner le sens de l’histoire… Le seul moyen de défendre le Christ est de dire qu’il n’est pas le Christ, argument inaudible ! Et si l’avocat comprend que le Christ est ce qu’il dit, alors il doit être prêt lui aussi à mourir, car pour défendre son client jusqu’au bout, il doit assumer ce que dit l’accusé jusqu’au bout.
Et vous l’auriez-fait ?
J’aurais fait comme Malesherbes défendant Louis XVI et offrant à la Convention « sa vérité et sa tête ». J’aurais eu l’honneur d’être le bon larron… ou le mauvais larron, je ne sais pas !
Où aimeriez-vous vivre ?
Au Mont Athos.
Votre rêve de bonheur ?
Le silence.
Ah bon ?
Je suis un homme du silence et du désert. À une époque, j’aurais voulu être prêtre dans la lignée d’un Charles de Foucauld. Si on n’est pas un être de silence, on ne peut être un homme de parole. Je passe des heures à marcher seul dans la forêt. Il y a une phrase très belle : « Qu’est-ce que le silence après Mozart ? C’est encore du Mozart ! »
Et la parole ?
« Le mot, c’est le verbe et le verbe, c’est Dieu » écrit Victor Hugo. Ce n’est pas pour rien qu’au commencement était le Verbe ! Le verbe peut être d’une médiocrité contemporaine mais il y a aussi un verbe à dire, à écouter et à ausculter. Rappelez-vous la prière de saint François d’Assise : « Ô Seigneur, que je ne cherche pas tant à être compris qu’à comprendre. »
Vous formez des prêtres à la prédication. Les prêtres sont porteurs du plus beau message au monde, ils doivent le faire connaître, le faire comprendre et certains se comportent comme si c’était un texte banal ! Le vrai drame de notre église, c’est qu’on ne donne plus à la parole du Christ l’intensité qu’elle a réellement. On ne sait plus la dire. Tout ce qu’a dit le Christ est moderne. Il faut que les prêtres fassent ressortir cette modernité.
Quelle parole de la Bible vous touche ?
« J’étais en prison et vous m’avez visité. J’avais soif et vous m’avez donné à boire. »
Vous avez bien connu sœur Emmanuelle. Que vous a-t-elle appris ?
Que l’on peut être très croyant sans être naïf. Elle avait les pieds sur terre et la tête dans le ciel. Elle m’a aussi appris à prier. Je disais : « C’est difficile, je m’en sens incapable ». Elle disait « Arrête de tout compliquer ! Sois au moins simple avec Dieu ! Tu pries, tu dis « Bonjour, je suis là », et si tu veux râler, tu râles ! »
Un autre moment fort avec elle ?
Le 11 septembre 2001, elle était chez moi devant la télé. Quand les tours sont tombées, elle m’a pris la main et m’a dit : « Ca y est, on y est : dans quel monde vos enfants vont-ils vivre ? » Vous savez qu’elle lisait Agata Christie tous les soirs ? Parce que l’auteur laisse à ses personnage jusqu’au dernier moment la chance de ne pas faire ce qu’ils ont envie de faire ! Cela nous ramène à l’histoire humaine. On avance à petits pas vers le mal mais on peut s’arrêter.
Comment imaginez-vous le jugement dernier ?
J’ai toujours pensé qu’on aurait affaire à une entité capable, en nous dévisageant, de récapituler toute notre histoire avec une puissance d’analyse tellement extraordinaire qu’elle irait à l’essentiel et nous dirait : « Voilà qui tu as été. »
On peut donc espérer que tout le monde soit sauvé ?
Oui car le pire des salauds a une histoire. Ma recherche de la vérité est la recherche de ce qui constitue l’homme. Le pire des assassins a une vérité juridique liée à son acte mais a aussi une vérité ontologique. La trouver et la dire est un effort quasiment mystique !
Pourquoi a-t-il commis l’irréparable ?
Le mal est la vraie question.