EN SOLITAIRE  MAIS PAS SEUL

1 décembre 2022

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À 7 ans, Tanguy Le Turquais traversait en solitaire le golfe du Morbihan sur une coque de noix fabriquée par son père. À 22 ans, il devenait navigateur professionnel. Fort d’un très beau palmarès, il a pris le départ de la 32e édition de la Route du Rhum le 6 novembre dernier, avec la ferme intention de se qualifier pour la plus prestigieuse des courses la voile : le Vendée Globe, un tour du monde en solitaire, sans escale et sans assistance. Au 12e jour de course, le skipper breton de 33 ans pointait à la 10e place de sa catégorie sur 38 concurrents.

PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER

 

La vie de Tanguy Le Turquais a changé le jour où son père, qui a grandi à Brest sans jamais prendre la mer, a exaucé son rêve. Après son divorce, se retrouvant seul avec ses trois enfants, il a décidé d’acheter un bateau pour embarquer toute la famille. À partir de 8 ans, Tanguy a vécu sur l’eau avec ses petites sœurs. Sa passion pour la mer était née.

Votre père a cassé sa tirelire et vous avez pris le large ? Ça c’est de l’aventure !

Nous avons vécu dans un bateau mais surtout, nous avons vécu… dans un port ! (Rires.) Mon père ne se voyait pas traverser les océans mais le plus important, c’est qu’il ait exaucé le rêve de sa vie. J’allais à l’école, il allait au travail, nous menions une vie normale… à bord d’un bateau amarré dans le port de Vannes. Au début, nous partions naviguer une ou deux journées, puis on a élargi le terrain de jeu et il nous est arrivé de partir un mois entier !

Votre père a acheté son bateau avant même de savoir naviguer ?

Exactement, c’est génial ! Son bateau mesurait 10 m. J’ai dormi jusqu’à 14 ans dans la même bannette [couchette] que mes sœurs. Ensuite il a acheté un catamaran et j’ai découvert la joie de goûter la solitude dans ma propre bannette… Le bonheur ! Mon père était passionné de course au large et je garde le souvenir très précis du jour où j’ai vu à la télévision l’arrivée d’Ellen MacArthur* aux Sables-d’Olonne, en février 2001. C’est à ce moment-là que ma vocation s’est affirmée.

Et vous, quand avez-vous acheté votre premier bateau ?

À vingt ans, j’ai rencontré Clarisse Crémer (voir L’1visible n°114), ma future épouse, sur le bateau de l’association Rêve d’enfance qui organise des sorties en mer pour les enfants atteints ou en rémission du cancer. Je lui ai parlé d’un rêve un peu fou : la Mini Transat [une course transatlantique en solitaire et sans assistance à bord de voiliers  de  6,50  m].  Il  fallait  trouver  des  sponsors,  acheter un bateau et je n’étais pas assez scolaire pour mener à bien ce genre de projet. Elle l’était beaucoup plus – diplômée d’HEC Paris, elle savait faire – et elle m’a proposé son aide. Après six mois de  relation,  nous  avons  acheté  notre  premier  bateau de course ensemble. À mon tour, je réalisais mon rêve comme quelqu’un qui se lancerait enfin sur le chemin de Compostelle !

Comment s’est passé la course ?

J’ai traversé pour la première fois de ma vie l’Atlantique en solitaire en 2013. J’ai terminé 6e de la course sur 83. Quand j’ai posé le pied à terre, je ne voulais plus faire autre chose. Pour ma deuxième Mini Transat, j’ai fini sur le podium. Ensuite j’ai fait cinq fois la Solitaire du Figaro [une course par étapes] et, en 2020, j’ai suivi le Vendée Globe de Clarisse depuis mon canapé. Ça a été horrible. Ma femme affrontait des tempêtes pendant que je me sentais totalement impuissant. Je me suis juré d’y aller avec elle si elle devait retenter l’expérience ! Pour moi le Vendée Globe était un rêve inatteignable et de la voir le réussir et le vivre de l’intérieur avec elle l’a démystifié, je m’en suis senti capable.

Cette année, vous vous êtes dit : « C’est mon tour » ?

Je me trouvais plein d’excuses pour ne pas y aller, je trouvais tout un tas d’avantages aux autres, je me décourageais. J’ai de bons résultats mais je ne suis pas non plus un immense champion, je n’ai pas de quoi attirer de gros sponsors… Bref, le Vendée Globe, je suis allé le chercher moi-même. Il a fallu devenir un chef d’entreprise et passer moins de temps sur l’eau mais c’était le prix à payer. Et c’est là que Lazare apparaît…

Dites-nous d’abord quelles sont vos échéances.

Le départ du Vendée Globe est prévu en novembre 2024 pour une arrivée en janvier 2025. Pour se qualifier, il faut boucler la Route du Rhum [qui a débuté le 6 novembre et s’est achevée au moment où nous mettons sous presse]. L’année prochaine, il y aura la Transat Jacques Vabre. Au printemps 2024 je courrai The Transat CIC (la mythique Transat anglaise), ralliant Lorient à New York. Il me faudra  impérativement  finir  deux  de  ces  trois  courses dans le temps imparti et toutes les courir avec le même bateau.

Quelles sont vos chances de succès ?

Techniquement, aucune. J’ai le plus petit budget et mon bateau est l’un des plus vieux de la flotte. Il file 10 nœuds de moins que certains de mes adversaires et vaut 1 million d’euros quand celui qui remporte le Vendée Globe en vaut 4 ou 5. Il a déjà un beau palmarès, mais il n’est pas équipé des fameux foils [des ailerons placés sous la coque, qui améliorent la portance, la vitesse et la stabilité du navire] qui assurent un avantage certain à mes concurrents. Je vais devoir peaufiner ma stratégie. C’est comme si je disputais une partie d’échec avec un joueur à niveau égal mais avec 8 pièces au lieu de 16 !

 

Tanguy Le Turquais a fait naviguer ensemble tout l’été ses partenaires et des colocataires de l’association Lazare. « Lazare opère la rencontre entre les jeunes actifs et ceux qui sont dans la rue. J’ai fait se rencontrer plus de 120 chefs d’entreprise et personnes en décrochage sur mon bateau. Vendée Globe ou pas, ça, c’est fait, c’est génial ! »

C’est  d’autant  plus  courageux  ! 

Je  peux  vous  garantir que je ne gagnerai aucune course mais, dans la catégorie des bateaux sans foils, à dérive droite, j’ai toutes mes chances !

Racontez-nous comment Lazare s’est retrouvé sur la coque et la voile de votre navire.

J’ai découvert l’association par l’intermédiaire de Clarisse qui est devenue sa marraine et j’ai été très ému de voir les colocataires de Lazare aux Sables d’Olonne sur un Zodiac au milieu des vagues pour saluer son retour du Vendée Globe. Si mon rêve de gosse était de boucler cette course moi aussi, mon rêve d’adulte était de le faire pour une cause qui dépasse son aspect sportif. J’ai tout simplement proposé d’offrir à l’association la visibilité de mon bateau. Si je dois trouver pas loin d’un million par an, il n’était pas question de lui demander de l’argent ! J’ai offert 50% de visibilité à Lazare et réservé le reste à des entreprises qui partagent son état d’esprit. Notre intérêt commun est d’aider Lazare a grandir pour aider le plus de gens possible. Quand je serai sur mon bateau au milieu des mers du sud, que je subirai une galère par jour et que je n’aurai qu’une envie, c’est d’arrêter, je saurai que les 200 colocataires de Lazare sont derrière moi. Cette énergie me portera !

Quel message souhaitez-vous faire passer ?

Ce qu’essaye de faire Lazare, c’est de changer le regard de la société sur les gens qui sont dans la rue. De mon  côté,  j’essaye  de  faire  rayonner  Lazare  et  d’embarquer ces gens-là, qui ont connu des vies difficiles, dans un projet qui les rende fiers. Je voudrais dire à ceux qui nous lisent de prendre du temps pour ceux qui vivent dans la rue. Même si vous ne savez pas comment les aider, prenez un moment pour leur dire bonjour, leur sourire, leur demander comment ils vont, c’est tout.

Quand vous passez des jours en mer, quel est le sentiment qui vous anime ?

Ce que j’aime dans mon métier, c’est que je passe 90% de mon temps à  essayer  de  tout  maîtriser  :  mon  bateau,  mon  mental… Pourtant, à l’instant où je pars en course, je m’aperçois que je ne maîtrise rien. Cela m’apprend l’humilité. Quand je suis en mer, dans les tempêtes ou dans le calme, j’accepte tout. La nature et l’océan proposent et moi, je compose. Ce que la mer m’apprend m’aide énormément sur terre.

 

Son bateau Lazare : Un Imoca (d’après l’International Monohull Open Class Association),en carbone de 18 m de long pour 29 m de haut, gréé d’une voilure de 600 m2. Mis à l’eau pour la première fois en 2008, ce monocoque taillé pour les courses océaniques a partagé l’affiche du film En solitaire avec François Cluzet et s’est classé 7e  au Vendée Globe en 2021.

 

Le danger de la course en solitaire ne vous fait pas peur ?

En mer, tu peux être très isolé, mais la solidarité  entre  marins  est  exceptionnelle  et  j’aimerais  tant  qu’elle  inspire  le  plus  grand  nombre. Il existe, dans les mers du sud, un endroit appelé point Nemo, il est plus éloigné de toute terre émergée que la station spatiale internationale. En cas de pépin, la course n’existe plus, le seul qui pourra t’aider est ton concurrent, devant ou derrière toi.

Quel est le plus beau spectacle que tu aies vu ?

Les orques, les baleines, les dauphins qui viennent souvent autour du bateau, jusqu’à le toucher, c’est fou ! La lumière aussi. En mer, il y a des lumières que  l’on  ne  voit  jamais  à  terre  et  qui  m’émerveillent à chaque fois. C’est une ambiance unique, tu as l’impression que la lumière est une présence. Ce soleil qui se couche et t’envoie sa lueur pourrait me faire pleurer, tu n’as plus l’impression d’être seul.

 

*Deuxième du Vendée Globe 2000-2001 à seulement 24 ans, elle est la première femme à abattre un tour du monde en moins de 100 jours (94 précisément). Elle sera battue de 6 jours, vingt ans plus tard, par une certaine… Clarisse Crémer.

 

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