Les enfants aiment les histoires. Improviser un récit sur mesure est une manière succulente d’entrer en relation avec ses enfants. La recette nécessite un gramme d’imagination, une livre de présence et beaucoup d’amour. À vous les bons récits !
PAR LAURE DE CAZENOVE – PROPOS RECUEILLIS PAR MAGALI MICHEL
Laure de Cazenove est coach et thérapeute. Elle anime des ateliers parents-enfants et forme des professionnels à l’accompagnement à la parentalité.
POUR ALLER PLUS LOIN : Inventer des histoires pour les enfants
Laure de Cazenove et Alice Le Guiffant, Jouvence, 2019
Les enfants sont le meilleur public de leurs parents. Ils adorent qu’on invente des histoires pour eux. Or cette activité est une merveilleuse façon d’éduquer et d’aimer. Une histoire de votre cru, c’est véritablement un acte d’amour. C’est parler à l’âme d’un enfant et faire de lui la personne la plus importante au monde. C’est un don de soi, une autre façon de partager.
LA VOIX DU CŒUR
C’est d’abord un moment privilégié entre parents et enfants. Une manière de dire aux plus jeunes : « Je te vois ». Au fil de l’histoire, on se connecte l’un à l’autre et la relation s’incarne davantage. Le regard, la voix sont différents quand on raconte et quand on lit. Quand nous racontons, notre voix monte du corps et véhicule émotion et empathie. Avec les enfants d’âge préverbal, on peut même parler « pingu », c’est-à-dire une langue inventée. Ainsi c’est l’émotion pure ou l’intention qui sont transmises. Plus tard, une histoire aura mille vertus éducatives. Elle donnera le courage à l’enfant d’aller plus loin, de poursuivre son effort, de trou- ver la ressource pour dépasser la frustration, le manque, la fatigue. Cette distraction défait le temps qui dure pour en faire un temps plein et nourrissant. En forêt ou en montagne, une comptine donne des ailes. En voiture, un conte rend le voyage plus court. Au supermarché, un récit fait oublier l’ennui dans la queue à la caisse.
UN JEU DE CONSTRUCTION
Cette activité suscite d’importantes élaborations. Les enfants jouent spontanément avec l’imaginaire. Mais leur imagination est en cours de structuration. En vous écoutant inventer des histoires, ils découvrent qu’on peut structurer un récit, construire une pensée, ordonner des faits, créer de la causalité et de la complexité. Ainsi l’imagination produit l’inventivité. Plus elle est musclée, c’est-à-dire sollicitée et mise à l’œuvre; plus elle donne de ressort à la pensée. Elle permet de voir et de représenter concrètement les notions abstraites, une faculté utile dans tous les apprentissages.
L’imagination est en outre un puissant moteur de résilience. En cas de crise, elle permet de trouver des solutions et de sortir des situations difficiles. Elle initie de nouveaux processus et invite à renouveler les points de vue en privilégiant de nouvelles façons de faire quand les anciennes ne sont plus adaptées. Or les crises font partie de la vie. Il est donc utile d’être armé pour les traverser quand elles se présentent. Une histoire, c’est comme la vie en rac- courci, c’est un vaste échantillon d’expériences dans lesquelles l’enfant pioche et se construit.
L’imagination et la créativité apportent de puissants bénéfices : résolution de difficultés, moteur de changement, ferment de la liberté de penser et d’agir. Avec l’imagination viennent l’humour et la gaîté. Inventer une histoire, c’est aussi s’échapper dans le monde du cocasse, de l’incroyable et de l’absurde, créer des occasions de rire avec ses enfants, ce qui fait du bien, déstresse et permet de prendre du recul.
UNE TRANSMISSION
Tissées par une vision du monde, les histoires aident les parents qui les inventent à clarifier les valeurs qui les font vivre. Et cela facilite la vie des enfants, qui ont besoin d’être ancrés dans leur culture familiale. En partageant avec leurs enfants les fruits de leur imagination, les parents nourrissent leurs enfants au lait de leurs coutumes. Avec les plus grands, en cours d’histoire, les interactions sont parfois fortes ; l’enfant fait part de ce qu’il imagine, ressent et ajoute de manière souvent inattendue sa pierre à l’édifice de l’histoire. C’est souvent plus facile pour lui d’imaginer une histoire que de verbaliser un ressenti. Ainsi, par des biais détournés, il peut parler de ses peurs, de ses espoirs et de ses fantasmes, partager son monde intérieur et se sentir écouté.
Tellement plus riches que les écrans, vos his- toires sont nourrissantes. Il est important, très tôt dans la vie, de prendre soin de cette « belle parole ». Vos enfants n’attendent que ça. Lancez- vous en pensant à la joie d’être allé au bout, d’avoir vaincu les peurs et les doutes, à la surprise d’avoir donné vie à une histoire qui vous était encore inconnue, sans oublier la lumière allumée dans les yeux de votre enfant.
5 CLÉS POUR INVENTER UNE HISTOIRE
1 Commencez petit
S’essayer humblement. Bien s’installer et choisir un moment d’intimité. Au petit déjeuner, les jours sans école, puis dans la voiture, en prenant un détail du paysage, en prenant le bain, ou rassemblés autour de la table avec le dessert…
2 Faites marcher votre imagination
L’imagination est un muscle qui s’entraîne même si souvent il peut vous sembler atrophié. Il faut prendre l’habitude de le solliciter à nouveau pour le rendre fertile et productif. Amusez-vous à créer des embryons d’histoires. Aidez-vous de visualisations. Vous marchez sur une plage. Comment est-elle ? Vous trouvez un coquillage. Qu’en faites-vous ? Vous poursuivez votre chemin et croisez des enfants. Comment sont-ils ? Que font-ils ? Vous rencontrez un pêcheur. Que faites-vous ? Vous arrivez dans un port. Que faites-vous ? Il suffit de proposer un lieu où cheminer (bord de mer, route, voiture ou train) et de semer quatre ou cinq objets ou personnages sur votre route.
3 Gardez le contact
Plongez vos yeux dans ceux de votre enfant. Ce contact visuel vous aidera à raconter en partant davantage de votre cœur que de votre tête. Votre voix deviendra plus profonde et vivante. Et vous serez plus agréable à écouter.
4 Gardez le fil
Suivez le schéma narratif. Une histoire, c’est une situation initiale d’équilibre brisée par un élément perturbateur qui jette le héros dans la résolution d’un problème. En cours d’action, le héros rencontre des opposants et des alliés, des obstacles et des soutiens. Cette structure narrative commune aux contes traditionnels fournit une trame universelle. À vous de broder.
5 Faites feu de tout bois
Rassemblez dans une boîte fermée de petits objets pour rêver (un coquillage qui souffle à l’oreille des histoires de la mer, des figurines insolites, une médaille, des clefs anciennes, des billes rares, plumes, rubans…). Piocher au hasard un objet et lui inventer une histoire. D’où vient-il ? Qu’a-t-il vécu ? À qui a-t-il appartenu ? À quoi a-t-il servi ? Sollicitez ses cinq sens et son esprit d’enfance pour ouvrir son imagination.
Michel, 48 ans, a transporté pendant des années ses trois enfants dans le temps et dans l’espace pour les distraire sur le chemin de l’école.
« Quand mes garçons étaient en maternelle et primaire, je leur racontais des histoires dont ils étaient les héros. Pour le premier, une histoire de chevalier pleine de rebondissements et de parallèles avec notre vie : nous déménagions et le héros entreprenait un déménagement… Pour le second, sur le chemin de l’école, je lui racontais un tour du monde dont son frère et lui étaient les héros. Cette histoire fleuve a duré plusieurs mois. Une autre fois, je les faisais partir par un souterrain vers une autre époque où se poursuivaient mille aventures avec leurs copains et leurs cousins. Je terminais toujours par « la suite au prochain épisode » en faisant exprès d’arrêter à un moment de suspense. Mon astuce, c’était de rendre mes enfants acteurs, de truffer mes récits de disputes, de rebonds, d’aventures. Je les faisais voyager dans d’autres cultures, d’autres époques tout en reprenant les événements familiaux du moment ou leurs réalités d’enfants, pour renforcer leur caractère et leur donner le goût de la vérité. »