Prendre exemple sur les autres pour devenir meilleur est bon. Mais jusqu’où peut-on admirer quelqu’un ? Et comment trouver la limite pour que ceux dont on s’inspire ne deviennent pas nos idoles ? Don Pascal Boulic répond à ces questions et nous propose un modèle.
LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET DON PASCAL BOULIC
Lili Sans-Gêne : Je suis une fan absolue de Carlos Alcaraz. Je le trouve talentueux, pas prétentieux, très beau et je dirais que c’est la seule idole que j’ai vraiment. Il n’y a rien de mal à ça non ?
Don Pascal Boulic : Je comprends très bien votre réaction. Ce joueur a effectivement du génie et il est légitime d’admirer une personne talentueuse. On en a même besoin pour bien se construire et les bons exemples sont de vrais cadeaux pour avancer. Mais pour que tout cela reste constructif, il convient de rester dans le réel, ce qui n’est pas toujours simple. Si cette admiration nous aide à être pleinement nous-même et à déployer nos qualités et nos dons, alors c’est un tremplin. Sinon, c’est un mur, un barrage qui nous empêche d‘aller plus loin et qui devient enfermant. Je ne pense pas que le mot « d’idole » soit adapté. Aussi talentueux soit-il, il n’est pas Dieu ! On peut l’admirer mais tout en le laissant à sa place d’humain.
Grâce à lui, je me suis mise au tennis, j’ai recommencé à faire beaucoup de sport et je me sens en meilleure santé, donc je vois ça comme quelque chose de très positif…
« On reconnait un arbre à ses fruits. » Cette belle figure vous stimule et vous tire vers le haut manifestement. On ne peut que s’en réjouir.
J’ai tout de même remarqué que parfois, j’avais presque envie de devenir un « deuxième lui » et que ce n’était pas forcément bon pour moi. Mais c’est dur de trouver la limite… A quel moment une personne qu’on admire beaucoup devient une « idole » ?
C’est une question de juste milieu, d’équilibre. Admirer ne veut pas dire se confondre avec quelqu’un et renoncer à être soi-même. Dans ce cas on idéalise et cela peut devenir destructeur. On n’est plus dans le réel mais plutôt dans l’imaginaire, c’est à dire le fantasme. On finit par s’oublier. On ne peut désormais plus se construire, car d’une certaine manière on n’existe plus. Il n’y a plus que l’autre qui existe. Cela peut nous abîmer. C’est un peu comme si vous projetiez une sorte d’absolu sur ce joueur de tennis… qui n’en reste pas moins un être humain comme vous et moi. Il a ses qualités et ses faiblesses. Il n’est pas Dieu ! C’est cette confusion et cette tentation qu’on appelle l’idolâtrie. La Bible nous éclaire grandement sur ce danger qui nous guette lorsqu’on commence à attendre d’un être humain ce qu’on devrait attendre de Dieu, comme si telle personne allait combler tous nos besoins et tous nos manques. C’est une parfaite illusion. Alors cette personne prend la place qui revient à celui qui est la Source de notre être, Dieu lui-même. Il est urgent d’y voir un peu plus clair…
Dans ce cas, comment peut-on garder une juste admiration pour quelqu’un, sans qu’il devienne trop important pour nous ?
C’est vital de remettre chacun à sa place. Seul Dieu peut combler notre cœur, il est la source de toute vie et c’est pour cela qu’on l’appelle Père avec un « P » majuscule. Jésus nous rappelle bien qu’on n’a qu’un seul Père. Toutes ses créatures, en particulier les humains, peuvent nous rapprocher de lui et jouer un rôle très positif dans notre vie, mais ils ne sont pas Dieu. Quand je comprends que Dieu est la source de mon être, qu’il est Amour, alors surgit spontanément et naturellement en moi une immense gratitude et beaucoup d’amour. C’est ce qu’on appelle l’attitude d’adoration. Elle est toute naturelle à celui qui prend conscience de la présence de Dieu. Adorer Dieu remet tout à sa place, on y voit tout de suite beaucoup plus clair, on perçoit les choses avec justesse sans la déformation d’une triste idéalisation. On peut admirer profondément Carlos Alcaraz tout en ayant conscience qu’il doit son être et sa vie au Créateur. En ce sens nous sommes à égalité. Lui et moi, nous sommes des créatures du bon Dieu, nous sommes donc frères et sœurs. Si par-dessus le marché il est baptisé, on rentre dans une fraternité encore plus profonde ! Alors on n’a qu’une envie, c’est de rendre grâce, de reconnaitre que tout cela est un beau cadeau qui nous vient de Dieu. L’action de grâce met elle aussi tout à sa place !
Et puis comment savoir si la personne qu’on admire est en effet digne de cette admiration ?
Laissons le temps au temps, « ce qui se fait sans le temps ne tient pas le temps. » Pas de précipitation. Il faut du temps pour qu’une eau trouble se décante et qu’on puisse y voir plus clair. C’est un peu comme le ski nautique, plus on va vite, plus on reste en surface ! Il faut ralentir pour descendre en nous et connaître les autres un peu plus en vérité. On est de moins en moins habitués à cela car nous vivons dans une société qui accélère toujours plus. Ce n’est pas bon pour les relations humaines… Connaître une personne dans le réel est toujours préférable à l’imaginaire et permettra bien davantage de l’admirer de façon juste et de l’aimer.
Dans mon entourage, j’ai une amie qui est tellement amoureuse d’un gars, qu’il devient presque une idole pour elle. Mais moi je pense qu’il n’est pas bon pour elle. Comment peut-on faire comprendre à des gens que leur admiration pour quelqu’un va trop loin ?
Pas facile d’y voir clair quand on est amoureux ! Ce n’est pas l’amour qui rend aveugle comme on dit, mais des sentiments amoureux empreints d’idéalisation. Le vrai amour y voit très clair et ne peut advenir que dans le réel. Il y a sans doute une part d’imaginaire dans l’admiration qu’elle voue à ce garçon. Il y a un risque de déséquilibre dans cette relation. Le retour au réel peut être douloureux… C’est pour cela qu’un regard extérieur peut être bienvenu pour éclairer un peu la situation. Entre amis on se doit bien cette attention. Après, libre à chacun d’en tenir compte.
Et Dieu, c’est l’équivalent d’une idole pour les croyants ? Ou bien c’est différent ?
Dieu est Dieu, une idole c’est un faux dieu, une créature qu’on prend pour Dieu. Grosse erreur de vision. La Bible désigne le Dieu Unique comme le « Dieu des dieux » pour bien signifier qu’il est au-delà de tout, transcendant à toute créature et qu’il ne peut en aucun cas se confondre avec ce qu’il a créé. L’expression est éloquente et montre bien que certaines créatures étaient appelées « dieu » avec un « d » minuscule, mais qu’elles n’avaient rien à voir avec le Vrai Dieu. En ce sens, les prophètes n’ont pas arrêté d’aider le peuple d’Israël à lutter contre cette confusion entre le Dieu unique et ses créatures…
Alors comment mettre en place les enseignements de Dieu dans notre vie ? Je trouve ça beaucoup moins facile que les engagements concrets des stars du sport et du cinéma (comme l’écologie par exemple) !
Ces engagements promus par les stars peuvent être constructifs, et tant mieux. Je mettrais des guillemets à « star ». Une étoile montre la direction en permettant de s’orienter. C’est pour cela que la Vierge a été appelée « étoile du matin ». Une « star » en est véritablement une si, et seulement si, elle se fait le relais de l’enseignement de Dieu, si elle nous aide par son exemple à accomplir notre vie selon la Volonté de notre Créateur… Je pense que les engagements concrets dont ils se font le relais doivent être entendus avec discernement. Certains sont très positifs et valent la peine d’être suivis et écoutés, par exemple la promotion d’un amour authentique du prochain sous toutes ses formes. Ils se font ainsi le relais des enseignements de l’Evangile.
Parfois c’est moins net et plus ambigu. Le markéting ou la politique manient bien ce genre de pratique et savent faire dire aux stars ce que d’autres voudraient qu’on pense ! Auquel cas il ne s’agit pas tant d’une star que d’une marionnette. Finalement nous avons tous la même exigence, que ce soient des personnalités connues ou des gens plus discrets, de se mettre jour après jour à l’écoute de Dieu dans la prière, pour discerner ce qui est ajusté au quotidien.
