Coproducteur du spectacle Bernadette de Lourdes, le comique le plus célèbre de France a croisé pèlerins et malades le 12 août dernier dans la cité mariale. Il nous raconte comment il s’est laissé convaincre de rejoindre une aventure qui a déjà conquis plus de 70 000 spectateurs.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER
Avec Gilbert et Nicole Coullier, Eléonore de Galard, le chanteur Grégoire et Roberto Ciurleo, Gad Elmaleh a permis au spectacle Bernadette de Lourdes d’exister. Détendu, sur le chemin de l’école où il allait chercher son fils, il nous a accordé quelques minutes pour parler de ce pro- jet qui lui tient particulièrement à cœur…
Pourquoi avez-vous décidé de coproduire le spectacle Bernadette ? En tant qu’artiste, c’est la première fois que je produis un spectacle dans lequel je ne suis pas impliqué : ni sous le feu des projecteurs, ni sur le devant de la scène. J’ai eu quelquefois l’occasion de parrainer de jeunes humoristes, mais c’est la première fois que je fais un truc dans l’ombre. La comédie musicale, le show à l’américaine, est un genre qui m’a toujours fasciné. Je l’ai abordé sous l’angle de la parodie dans mes spectacles, car je suis avant tout un comique, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’en faire. Quand la possibilité de faire partie de l’aventure s’est présentée, impossible de refuser.
L’histoire vous a convaincu tout de suite ? L’histoire m’a énormément touché. Il y a quelque chose de très pur dans cette histoire. Elle n’est pas un conte, mais une fable moderne sur la parole donnée, la vérité, la foi, le jugement. Elle vous touche quelle que soit votre religion.
« L’histoire m’a touché, elle m’a parlé »
Je suis de confession juive, mais au cours de mes voyages, j’ai appris à parler plusieurs langues, non pas au sens de la linguistique, mais au sens des langages de la foi et des croyances. Toujours à l’écoute des autres confessions – celles de mes amis, des gens que je côtoie –, j’essaye d’échanger un maxi- mum à ce sujet, pour en apprendre toujours plus. La première fois que j’ai lu le pitch de la pièce, c’est très bizarre, mais j’ai dit à mes coproducteurs : « Moi, l’histoire de Bernadette me rappelle la dérive des réseaux sociaux. » Ils m’ont pris pour un dingue ! « De quoi tu parles ? – C’est bien simple : aujourd’hui si Bernadette existait, on lui aurait collé un hashtag et on l’aurait clouée au pilori, pointée du doigt, on aurait voulu la tuer, se débarrasser de cette chose qui nous dérange. » Cela me touche énormément, ça. La vindicte populaire.
Vous en avez souffert ? En tant qu’homme public, j’ai connu des hauts et des bas dans des séquences médiatiques parfois très dures et je sais ce que c’est, je sais les souffrances que cela représente. Loin de moi l’idée de me comparer à Bernadette… Je vois d’ici les moqueries de vos confrères !(Rire.)Jeveux simplement dire par là que l’histoire m’a touché, elle m’a parlé, comme les symboles qui sont repré- sentés dans le spectacle, à savoir avant tout celui de la Sainte Vierge et de la fascination, de la curiosité qu’elle a suscitées… Chacun pourra y trouver ce qu’il veut. Moi, j’ai mon histoire avec elle…
« J’ai mon histoire avec la Sainte Vierge… On croit ce qu’on veut, mais j’ai aimé croire ce que j’ai voulu croire ! »
Racontez-nous !Un jour, ma sœur et moi sommes dans la voiture et mon père s’arrête pour aller faire une course. À l’époque, on n’avait pas d’iPad ni d’autoradio et on trouve le temps si long qu’on sort de la voiture, on commence à flâner et on tombe sur une église. On se regarde en pensant : « Non, tu sais bien, non, on ne peut pas faire ça… » Les Marocains avaient l’habitude de vivre avec les chrétiens mais pour des raisons obscures, les juifs disaient à leurs enfants : « Ne rentrez pas dans les églises, vous n’en avez pas le droit ! » Et les musulmans disaient : « Ne rentrez pas dans les églises, c’est pécher ! » Évidemment, on a poussé la porte de l’église. Comme dans un film, la porte s’est mise à grincer, et nous sommes tombés nez à nez avec une représentation gigantesque de la Sainte Vierge, qui nous regardait droit dans les yeux. Ce n’était pas une vision, juste une simple statue, mais nous étions pétrifiés ! De peur de nous faire attraper par nos parents, de la superstition, des malédictions, on a fondu en larmes et on est retourné se cacher dans la voiture. C’est resté notre secret pendant toute notre enfance. Des années plus tard, je raconte l’histoire à mon coproducteur Roberto Ciurleo. Bouleversé, il me pose des tas de questions : comment elle était, est-ce qu’elle avait une ceinture bleue autour de la taille… Intrigué, je fais des recherches, j’appelle des amis sur place et j’apprends que cette église dont j’ai poussé la porte, s’appelle Notre-Dame de Lourdes de Casablanca ! On croit ce qu’on veut, mais j’ai aimé croire ce que j’ai voulu croire ! Depuis j’ai reçu une petite médaille de Marie qui a été bénie par un petit frère de la communauté de l’Agneau. Ils font vœu de pauvreté suprême… Je la garde comme un porte-bon- heur.
En tout cas, il n’est pas nécessaire d’être catholique pour aller voir le spectacle… Complètement, mais vous savez, il y a quelque chose qui m’interpelle : dès qu’on dit « catho », ça trimbale un truc péjoratif, c’est très étrange. Je peux d’ailleurs en parler d’autant plus confortablement que je ne suis pas catholique. Quand j’étais à Lourdes, les jeunes catholiques que j’ai vu œuvrer pour aider les malades au Sanctuaire, prendre de leur temps, être à l’écoute des gens, aider ceux qui sont dans la détresse, ne rentrent dans aucun des clichés sur les cathos comme on les voit dans les bandes dessinées ou ailleurs ! J’ai vu des jeunes absolument semblables à tous les gamins de France qui ont en plus la conscience de tendre la main. Si c’est la conséquence d’un sentiment religieux, tant mieux !
Et les cathos traînent pourtant une image ringarde… Mais non, il faut écouter le cardinal Sarah ! Il faut regarder les vidéos de prêtres extraordinairement marrants et intéressants : Baudouin Ardillier ou d’autres ! Il y a plein de prêtres qui sont extrême- ment éclairés et très drôles.
Vous suivez l’actualité du cardinal Sarah ? Oui, parce que je pense que le cardinal Sarah sera le prochain pape. Je m’avance un peu, mais je le pense, je suis prêt à ouvrir les paris !
Vous pensez que l’on a perdu cette bienveillance envers les plus pauvres que soi ? Oui, totalement ! Les jeunes apprenaient la solidarité à l’église, à l’armée, à la synagogue, à la mosquée… Tandis qu’aujourd’hui c’est compliqué : tout doit avoir un sens, une conséquence, une utilité. Si les parents, un culte ou un mouvement de jeunesse ne leur inculquent pas ces valeurs-là, ça va être difficile !
Vous avez rencontré le pape François à Rome ? Oui, la rencontre fut brève, on était au deuxième plan, on a échangé des regards. Il a pu s’adresser à nous, nous bénir, écouter la chanson du spectacle (interprétée a capella par une partie de la troupe place Saint-Pierre, Ndlr). J’ai été touché. Je pense même que j’en parlerai un jour dans un spectacle : il y a du comique dans la visite de quelqu’un comme moi au Vatican, impressionné, pas du tout à sa place… c’était vraiment un moment très fort.
Vous avez des projets dans vos cartons, une tournée à venir ? Oui, je suis en train de finir d’écrire un spectacle qui s’appelle D’ailleurs, très intime, autobiographique, dans lequel je reviens à mes premières amours sur scène : la gestuelle, les personnages, et sur les moments difficiles que j’ai vécus l’année dernière avec la presse, les réseaux sociaux. Assez étonnamment, ces moments m’ont fait souffrir mais ils m’ont apporté et fait comprendre beau- coup de choses.
LE SPECTACLE
BERNADETTE DE LOURDES La fascinante histoire de Bernadette et des apparitions mariales dont elle fut le témoin en 1858. Du 5 avril au 26 octobre 2020 à l’Espace Robert Hossein de Lourdes. www.bernadettedelourdes.fr