Sophie Lutz est la maman de Philippine, une petite fille très handicapée. Dans cette épreuve, elle s’est révoltée contre Dieu, avant de retrouver la paix.
L’étau s’est desserré
Philippine est notre enfant très spéciale, la deuxième de nos quatre enfants. Une fillette de dix ans qui ne voit pas, n’entend pas ou peu, ne comprend pas, ne parle pas, ne marche pas, ne se tient qu’avec corset et coque. Tous ces handicaps sont causés par la grave malformation de son cerveau détectée à l’échographie en milieu de grossesse. Le sens de la vie de Philippine est très mystérieux. Sa vie si pauvre, si faible, si inutile en apparence, est pourtant riche. Sa présence crée une ambiance très particulière de douceur, de profondeur. Son existence oblige sans cesse à ne garder que l’essentiel, à vivre autrement. Elle est une personne unique, importante. Elle est très puissante : personne n’a réussi à me/nous faire changer autant qu’elle. Il me semble que le secret de la puissance de Philippine est que, mieux que quiconque, elle laisse Dieu agir à travers elle. Je le crois profondément car Jésus dit que le Père révèle les secrets de son Royaume non pas aux sages et aux savants mais aux tout-petits.
La rage m’a prise
Au bout de quelques années, ma foi tranquille d’alors a commencé à être envahie par une grande tristesse. Malgré une vie de couple et de famille heureuse, je me sentais remplie de larmes. J’avais considéré jusqu’alors que Dieu n’avait rien à voir avec le mal et la souffrance qui touchaient mon enfant. Je ne pouvais donc pas l’accuser de ce qui arrivait. Et je m’appuyais sur la souffrance et la mort de Jésus, accompagné par sa mère Marie, qui étaient pour moi la preuve que Dieu ne peut pas être indifférent.
Mais voilà qu’une intervention chirurgicale, qui s’est mal passée pour Philippine, a été la goutte qui a fait déborder le vase. Soudain la rage m’a prise, une digue a sauté et toute la souffrance accumulée depuis l’arrivée de notre fille a fait jaillir une grande colère, et un acharnement pour essayer de comprendre pourquoi le mal frappait si injustement une innocente. Malgré mes recherches, l’explication ne venait pas et ma colère me dévastait. J’ai dit : « Seigneur, à nous deux, maintenant c’est la bagarre. J’ai besoin de taper sur quelqu’un, ça va être toi. J’ose ! Si tu es Dieu, tu pourras le supporter. Moi je ne veux plus être une gentille chrétienne qui supporte l’épreuve. Pourquoi ? Cette question me fait perdre la tête. Je ne sais plus qui je suis. À quoi sert tout ce gâchis ? Comment pourrais-je t’appeler Père ? » Dans ma colère, je me sentais mauvaise. J’avais si peur de perdre Dieu. Que me resterait-il ?
Cet état très douloureux a duré plusieurs mois. Une psychothérapie, un temps de retraite, des lectures, le conseil de prêtres et le soutien de mon mari m’ont aidée. Mais la libération totale est venue quand je suis allée faire un pèlerinage auprès de la Vierge Marie.
Après la guerre, la trève
Tout le mois qui a suivi, jour après jour, l’étau qui m’oppressait se desserrait. C’était un tel soulagement que je n’en revenais pas. C’était donné gratuitement, sans effort de ma part. Enfin la trêve après la guerre. Je lâchais mon besoin de comprendre. J’admettais que le mal ne s’explique pas.
J’ai lutté avec Dieu dans ma colère : c’était une rencontre inoubliable. J’ai découvert un Dieu inébranlable dans la tourmente, et cependant qui ne s’impose pas, un Dieu qui n’interdit pas la colère, qui m’a écoutée, qui a patienté, qui a été présent dans ce qui paraît absurde. Un Dieu qui s’efface derrière Marie, la sainte mère, quand je suis tellement à vif qu’un Père ne peut pas m’approcher. J’ai perdu pied. J’ai été sauvée. Il a fallu ma si petite et si puissante Philippine pour que je sache que j’avais besoin d’être sauvée, en traversant ma tristesse, ma colère et ma peur, en compagnie de Dieu.
Pour aller plus loin:
Philippine, la force d’une vie fragile, Sophie Lutz, Éd. de l’Emmanuel, 2007