L’HUMOUR EN FILIGRANE

3 septembre 2025

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« Transformer la boue en or », disait Baudelaire. Le comédien Marc Tournebœuf a fait de cette phrase son mantra. L’or étant pour lui l’humour, il voit sa vie, ses souvenirs, ses rencontres et ses déconvenues à travers ce filtre joyeux et léger. Il en nourrit ses spectacles et les vidéos qu’il publie sur les réseaux sociaux. Entretien avec un amoureux des planches, des belles phrases et du rire.

PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE LEMAIRE

Marc, vous parlez en vers comme nous parlons en prose. D’où vous est venue cette passion pour les belles phrases ?

Peut-être d’abord d’Alfred de Musset et de Raymond Devos. Devos fait un peu partie de mon ADN aujourd’hui. Je viens de Caen, et il a un sketch basé sur le double sens Caen-Quand. Je ne suis pas forcément fan des jeux de mots à proprement parler, mais je suis fasciné par la relation qui peut en découler. Notamment dans des échanges qui sont parsemés de double sens et donc d’incompréhension.

Ensuite, je dirais de Don Juan. Et du Misanthrope de Molière, qui a été une première véritable révélation pour moi. Ça m’a encouragé à monter à Paris après mon bac. Là, j’ai suivi le Cours Florent en parallèle d’une fac de maths informatiques. J’ai très vite quitté la fac pour me concentrer uniquement sur le Cours Florent où j’ai passé quatre ans. Aujourd’hui, je jongle entre les vidéos sur les réseaux (que j’ai lancées pendant le covid) et le théâtre.

Dans vos vidéos sur Instagram, vous ajoutez l’humour à la littérature, et ça donne un résultat très amusant. Qu’est-ce que l’humour a d’important pour vous ?

Je trouve qu’il aide à relativiser. C’est un prisme à travers lequel on peut regarder le monde, comme une lunette, une couleur en filigrane, qu’on peut choisir de poser ou non sur les événements qui rythment notre vie. Je mets énormément de second degré dans ce qui m’arrive. D’ailleurs, plus j’avance dans la vie plus j’ai de déconvenues, et plus je les vois avec un œil rieur ou moqueur. Je me dis que ce sera au service d’un prochain spectacle et, finalement, au service d’un certain amusement – pour moi ou pour le public. L’humour m’aide à m’alléger, à relativiser et à garder un sourire au quotidien. Il me permet aussi de récupérer des événements du passé qui peuvent être douloureux pour les transformer en une matière plutôt joviale. J’aime la nostalgie, je trouve ça très poétique. Mais j’aime aussi quand ça peut s’allier avec de l’humour et du second degré. C’est la fameuse phrase de Baudelaire : « transformer la boue en or ».

Et puis je mets souvent un peu trop d’humour dans mes relations humaines… Je ne comprends pas pourquoi l’aspect protocolaire de notre société nous pousse à abandonner l’humour lors des rencontres. C’est tellement important de pouvoir rire de choses banales dès les premières rencontres… Mais bon, visiblement, l’humour est un peu comme l’amitié : il demande un petit peu de connaissance pour pouvoir tisser un lien.

Certains maintiennent que Dieu a de l’humour. Quel est votre avis là-dessus ?

C’est une question que je me suis souvent posée ! J’ai du mal à conscientiser l’image même que je peux avoir de Dieu… Alors faisons comme Pascal : prenons le pari qu’il en a ! Il y a des signes parfois qui me font me dire « si tout ça est orchestré par un Dieu créateur, alors oui, c’est teinté de second degré, c’est clair ! » Mais c’est très dur de savoir si ce que l’on interprète vient de Dieu ou de notre imagination… J’aime l’idée de vivre dans le doute, avec parfois des certitudes évanescentes. Je ne suis pas pour un Dieu qui serait froid comme du marbre et cassant comme du béton. Ça ne me va pas.

Justement, Dieu, qui est-il pour vous ?

Je disais que l’humour peut tout teinter dans la vie. Eh bien Dieu c’est encore plus ! C’est une sorte de vide tout à fait rempli qui semble être dans l’air, dans l’infini. C’est aussi un grand point d’interrogation. J’aime beaucoup l’image du Dieu de Spinoza : « Dieu est dans la nature », ça me plait bien. J’aime aussi l’idée d’un Dieu créateur, une sorte de conscience que je ne saurais pas définir, mais qui ne serait pas une conscience humaine. Un Dieu qui nous regarde mais n’interfère pas avec notre libre arbitre.

Comment vivez-vous votre foi ?

Je fais des prières. Ce ne sont pas nécessairement un « Notre Père » ou un « Je vous salue Marie », mais à chaque fois que je monte sur scène, je fais une prière. Je vis alors un moment privilégié, où j’ai la sensation de parler à Dieu, un peu comme dans un téléphone à sens unique. En tout cas, c’est à chaque fois une discussion et une relation où je sais que je pourrai être entendu.

Et puis j’aime beaucoup les actions humanistes qui sont faites au nom des valeurs qu’on peut trouver dans la Bible. Pour moi, c’est un peu plus concret que d’être renfermé dans la prière et le recueillement.

Vous avez également plusieurs spectacles, que vous déclamez dans les théâtres de France. Quand vous jouez, quels sentiments vous traversent ? Vous sentez-vous plus vivant ?

Ça dépend beaucoup des périodes et des spectacles ! Quand on joue avec des camarades sur scène, on ne ressent pas la même chose que lorsqu’on est seul. Si tout se passe bien, que le public est conquis et qu’on sent qu’on est au bon endroit, on vit des sentiments assez extraordinaires. Et on se dit que tout cela vaut les sacrifices que ce métier peut demander. C’est un boulot assez formidable, parce qu’on peut vite recevoir beaucoup d’amour et rencontrer un tas de gens formidables et inspirants. Je chéris mon métier pour ce que je vis sur scène, pour la multitude d’émotions que je peux traverser. La peur parfois, le doute souvent. Et la joie presque toujours. Parfois, on peut vivre une sorte de connexion quasi divine avec le public, une vraie communion, un sentiment de plénitude. J’ai de plus en plus le sentiment d’être à ma place. C’est de la joie dans l’adversité, mais une adversité nécessaire : celle qui nous fait aller chercher le public, créer.

Votre métier demande un certain courage : courir de théâtres en théâtres, espérer que votre travail plaira et saura donner de la joie… cela nécessite-t-il une forme de confiance en la vie, en l’avenir ? Une forme d’abandon ?

J’imagine qu’il faut de la confiance, oui. Pour autant, je ne suis pas quelqu’un de très assuré. Je connais des gens plus confiants que moi qui ont arrêté le métier, et des gens plus trouillards qui ont été plus vite que moi. Je dirais qu’il faut surtout une forte envie et une grande opiniâtreté. Au début, le théâtre, c’est presque le mythe de Sisyphe. Mais comme pour beaucoup de corps de métiers. J’imagine que l’éducation d’un enfant est tout aussi difficile d’ailleurs. On est tout de même face à tout un univers quand on y débarque au début, quand on sort d’école de théâtre. On ne sait pas vraiment à quoi se référer pour savoir si on a du talent, si on progresse.

Votre pièce préférée ?

Sans doute l’Acte 1, Scène 1, du Misanthrope. C’est une sorte d’ultime IPhone, la dernière technologie de l’écriture, où on a poussé l’écriture à son paroxysme. Tout est pesé et quantifié. C’est de la grande orfèvrerie ! Je trouve les vers extraordinaires, toute la complexité de l’humain y est racontée. D’un côté Alceste, qui voit tout de manière sombre. De l’autre Philinte, qui teinte toutes ses réflexions philosophiques de cet humour en filigrane, qui se dit que la vie n’est pas grave, qu’on ne peut pas corriger tout le monde, qu’il faut faire grâce à la nature humaine… Dépeindre l’âme en étant si pertinent d’un point de vue dramaturgique, c’est merveilleux !

Quand vous monterez au paradis, quels vers direz-vous à celui qui vous accueillera ?

 « Il faut mettre le poids
d’une vie exemplaire
Dans les corrections
qu’aux autres on veut faire.[…]
Et c’est une folie
à nulle autre seconde
Que vouloir se mêler
de corriger le monde. »

C’est le Misanthrope… !

 

 

 

 

 

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