« J’AI RETROUVÉ MA BEAUTÉ D’IL Y A 800 ANS »

26 novembre 2024

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La Vieille Dame retrouvera, le 8 décembre 2024, son plus beau manteau blanc. Les pèlerins, les touristes et les fidèles pourront de nouveau venir l’admirer et prier devant son célèbre pilier. En ces temps si particuliers, elle a accepté de répondre à nos questions.

PROPOS DE NOTRE DAME DE PARIS RECUEILLIS PAR ANTOINE LEMAIRE

Notre-Dame, merci infiniment d’avoir bien voulu répondre à nos questions. Pour commencer, ne soyons pas trop chronologiques, et parlons de ce mois de décembre 2024. Vos murs, clos depuis plusieurs années, vont de nouveau accueillir les visiteurs des quatre coins du monde. Cette nouvelle doit vous réjouir ?

Vous imaginez la joie d’une maîtresse de maison qui ouvre ses portes pour accueillir ces millions de visiteurs qui attendent depuis 5 ans. J’attendais ce moment merveilleux pour ma Vierge Marie de retrouver son pilier. C’est un bel emplacement, parce que c’est là où elle voit – où je vois – tous les pèlerins, tous les fidèles, mais surtout tous ces visiteurs qui passent sans trop savoir qui je suis et qui, à la sortie, deviennent, par grâce, des pèlerins.

Les prières qui font vibrer vos murs ne vous manquent-elle pas ? Avez-vous déjà connu un temps aussi long sans pèlerins ?

Avant l’incendie, j’avais invité un journaliste pour lui montrer que les pierres de Notre-Dame sont remplies d’histoire, et qu’elles peuvent parler. Dans la majesté de mes murs, nous avons écouté ce silence, qui est devenu une parole. Chaque pierre de cette cathédrale a une histoire. L’histoire de la France, l’histoire des Français, de tous ces chrétiens qui sont allés jusqu’à « midi » – pour citer Claudel – pour venir prier à mes pieds.

Si vous rouvrez vos portes, c’est parce qu’il y a 5 ans, en 2019, un terrible incendie détruisit votre flèche et une grande partie de votre toiture. Cette nuit au milieu des flammes a dû être terriblement douloureuse. Racontez-nous !

Ce qui a été douloureux, c’est que j’étais toute seule. Je voyais bien que tout le monde s’agitait, j’ai bien cru que j’allais m’écrouler… et jusqu’au dernier moment, je me suis tournée vers mon fils, Jésus, pour qu’il fasse quelque chose. Jésus s’est adressé à son père. C’est Lui qui m’a sauvée. Oh, les pompiers ont fait un travail extraordinaire, mais il ne faut pas oublier la tendresse de Dieu et peut-être aussi ma prière mariale. Parce que j’étais chez moi, et que je voulais conserver ma maison.

Aujourd’hui vous renaissez de vos cendres – c’est le cas de le dire -, vous avez un nouveau manteau tout blanc. Etes-vous soulagée ?

J’ai retrouvé toute ma beauté. Ma beauté d’il y a 800 ans. Cette blancheur, qui est naturellement le signe de ce manteau virginal que je porte. Dans ce manteau, je mets tous ces enfants bien aimés. Ils viennent auprès de moi, pleurent, confient leurs souffrances mais aussi leurs joies. Ils sont là. Oui, je suis pleinement heureuse, en tant que maîtresse de maison, de retrouver ma robe plus belle qu’elle n’a jamais été.

Ce soir-là, avez-vous pensé que votre heure était venue ? Ou bien avez-vous gardé espoir tout le temps de l’incendie ?

J’ai bien cru que j’allais disparaître. Encore quelques minutes et j’aurais pu m’écrouler… C’est grâce au génie des pompiers que j’ai tenu, et que ma façade ne s’est pas écroulée. La tour Nord – celle où se trouvent des cloches – avait pris feu.

Si les cloches étaient tombées, elles auraient déstabilisé toute ma maison Justement, avez-vous un message à adresser aux pompiers courageux qui se sont battus pour éteindre le feu qui vous brûlait ?

Eh bien, je voudrais leur dire bravo et merci. C’était un acte héroïque. J’ai bien conscience que tous les jeunes pompiers qui sont montés à l’extérieur de mes murs ont fait un travail étonnant. Mais je sais que certains de ces pompiers étaient de mes amis intimes, et qu’ils auraient tout fait pour me sauver, quoi qu’il en coûte. Ils étaient tous volontaires, et ils ont pu me tirer du brasier. Leurs efforts, ainsi que ceux des artisans qui ont œuvré à votre reconstruction, vous permettent de retrouver votre élégance du passé.

Aujourd’hui, vous rayonnez à nouveau ! C’est cette beauté exceptionnelle qui faisait et qui fait toujours votre différence ?

C’est d’abord mon histoire, qui correspond à l’histoire de la France. J’étais très touchée, au lendemain de l’incendie, de voir que mon recteur avait reçu plus de 6000 lettres de soutien. C’est une preuve que le monde avait été touché affectivement par ce sinistre. Cela signifie qu’au-delà d’une cathédrale, j’évoque saint Louis, apportant la couronne d’épines, Napoléon et son sacre, de Gaulle en train de chanter le Magnificat à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Je suis aussi tous ces chrétiens et non-chrétiens qui se retrouvent dans mes murs, après le drame du Bataclan. Mes murs sont la maison de Dieu, mais aussi celle de la France. Notre-Dame est devenue Notre-Dame de France !

De grands auteurs racontent votre beauté dans les pages de leurs livres. Il y a Péguy, Aragon, Balzac, Zola et surtout Victor Hugo. Est-ce difficile de rester humble face à tous ces éloges ?

La grâce que le Seigneur m’a faite, comme mère de Dieu et comme mère de Jésus, c’est peut-être cette humilité. Ce qui fait la beauté de ma vie, c’est que j’aurais pu m’enorgueillir. Ce titre, je le vis comme un service. Je suis dédiée à la plus grande des servantes. La servante du Seigneur mais aussi la servante de ce peuple de France que j’aime tant. Marie doit jouer un rôle important pour ce pays qui traverse des heures difficiles. Je suis sûre que la Vierge va l’aider. Comme disait Jean-Paul II, Marie qui m’habite fera en sorte que tous soient des « sentinelles de l’espérance » dans un monde qui a peur.

Parmi ces auteurs, avez-vous un chouchou ?

Peut-être Victor Hugo… non pas qu’il ait simplement écrit Notre-Dame de Paris ! Mais si on a pu refaire tous les travaux de mes murs, c’est grâce à Hugo. Il a dénoncé le fait qu’on laissait tomber tous les grands monuments de France. C’est grâce à lui qu’Eugène Viollet-le-Duc a pu, en tant qu’architecte, sauver la cathédrale et me rebâtir. Hugo a dans mon cœur une place de choix.

Comme était-il lorsqu’il vous visitait ?

Il me regardait et me voyait très malade. Aujourd’hui, on m’a vue sans toit, mais il ne faut pas oublier que du temps de Victor Hugo, les pierres de ma maison s’écroulaient. Alors quand il marchait autour de moi, qu’il voyait mon état désastreux, il se disait qu’il fallait réagir, qu’on ne pouvait pas laisser ces grandes maisons du Moyen-Âge s’écrouler. C’est curieux, parce que j’entends ce discours aujourd’hui, des ministres de la culture, des spécialistes du patrimoine, qui s’inquiètent que notre patrimoine s’écroule. Mais qu’ils sachent que déjà du temps de Hugo, on pouvait s’inquiéter, et qu’on a réagi en dépensant ce qu’il fallait et en retroussant les manches pour me reconstruire !

C’est un pouvoir formidable ça, d’être une source d’inspiration pour ceux qui savent vous regarder avec curiosité. Où faut-il regarder en détails pour saisir vos nuances et votre beauté ?

Quand vous êtes du haut des grands orgues, vous avez une vue étonnante de ma grandeur ! Quand vous êtes en face, regardez le cœur, vous voyez à la foi ma grandeur et puis aussi cette fragilité, cette petitesse… L’incendie a montré aussi ma fragilité. Je suis certes Notre-Dame de Paris, mais je suis aussi la maison de Jésus. Si je suis là, c’est pour permettre à tous les visiteurs comme à tous les fidèles de rencontrer Jésus. Souvent, j’essaie de toucher un peu les cœurs. Et je vois des cœurs sensibles qui ne sont pas entrés depuis très longtemps dans une église. Je les prends un peu au collet et je leur dis « va voir Jésus, je suis sûre qu’il a envie de te dire qu’il t’aime ».

Sur les quelques 14 millions de personnes qui vous visitent chaque année, beaucoup d’âmes ont dû être touchées par votre grâce. Vous vous souvenez de chacune ?

Oui ! Ma mémoire est grande. Je me souviens surtout de tous ces visages. Comment puis-je oublier tous ces regards tournés vers moi ? Eux qui regardaient ma Vierge du pilier, ma Pietà, au fond du chœur. Je ne peux pas oublier ces visages. Il y avait des visages de joie, des gens qui pleuraient parce qu’ils étaient touchés, ou bien parce qu’ils portaient quelque chose de lourd. Il y a aussi des visages inquiets ou interrogatifs : « mais qui c’est celle-là ? », « pourquoi est-elle là ? » C’est là où je pouvais peut-être toucher leurs cœurs.

Justement tous ces cœurs que vous évoquez, il y en a un dont j’aimerais vous parler, c’est celui de Paul Claudel, qui raconte s’être converti dans vos murs le soir de Noël de 1886. Vous vous souvenez de jour-là ?

Oh, très bien ! C’était beau, il y avait de belles liturgies de Noël. Tout était doré. Les prêtres avaient des belles chapes. On chantait, c’était merveilleux. Et je comprends pourquoi ce jeune Claudel, derrière le pilier – qui ne comprenait rien de ce qu’il se passait mais qui voyait, qui admirait les yeux grands ouverts – était heureux. C’était Noël ! Et pourtant, c’était pour faire mémoire de ce jour très saint où la Vierge a mis au monde l’enfant Dieu.

Jésus, votre fils, se promène-t-il dans vos murs à la recherche de brebis perdues à sauver ?

Ma maison est la maison de Jésus, qui est en quelque sorte mon fils. Il s’y promène jour et nuit. Mon fils est là tout d’abord parce qu’il est célébré. J’abrite l’Eucharistie. On célèbre la messe 4 fois par jours chez moi, vous savez ! Il est présent dans la couronne d’épines, dans tous les offices qui sont chantés, les laudes, les vêpres. Je pense même qu’il est sur le parvis. Parce que c’est lui qui attend les âmes qui errent, qui hésitent. Je prie très fort pour qu’elles puissent rentrer car je veux qu’elles comprennent que je suis leur maison à tous.

C’est le moment de vous flatter un peu : vous êtes – comme on le dit souvent des cathédrales – le corps du Christ, ce n’est pas rien ! Qu’est-ce que vous aimez chez vous ?

Mon cœur – le cœur de Marie. Le cœur de Marie est lié à celui de son fils, mon fils. Quand je dis que c’est mon cœur, c’est peut-être mon visage. Quand on relit l’évangile de mon fils, on voit qu’il y a beaucoup de regards et de visages. Mon fils aime regarder. Il regarde le jeune homme riche, la Samaritaine, le bon larron, Zachée… Moi, j’aime regarder. Je sais que mon regard est sûrement chargé de lumière et de grâce.

Au XIXe siècle, l’architecte Viollet-le Duc a quelque peu modifié votre apparence en y apportant, en quelque sorte, de la modernité. Ce changement de garde-robe vous a-t-il convenu, ravi ?

Il avait de l’audace Eugène ! Il ne m’a pas épargnée. Il ne m’a pas demandé mon avis. Je pense qu’il n’avait pas une passion pour la Vierge Marie, mais j’ai accepté qu’il change un petit peu mon profil, qu’il agrandisse mon chœur, qu’il fasse quelques transformations. L’essentiel est que je reste ce que j’ai toujours été : Notre-Dame de Paris !
Quand on est une vieille dame comme moi, il faut se rappeler qu’on a déjà changé de robe plusieurs fois.

Vous êtes en quelque sorte l’âme de Paris. Avez-vous des frissons lorsque les âmes de la capitale prient ensemble avec vous ? Que ressentez-vous pour Paris ?

Il y a eu un moment très fort que je n’oublierai jamais. C’était pendant l’incendie, j’ai entendu des jeunes parisiennes, parisiens et au-delà, boulevard Saint-Michel, qui chantaient. Ça, je ne peux pas l’oublier. Je suis le cœur de Paris, qu’on le veuille ou non. Je suis la vie de l’Ile de la Cité, et la vie de Paris. Et c’est vrai que depuis 5 ans, le cœur de Paris ne bat plus comme il faut. La source s’est éteinte. Le 8 décembre, Paris va retrouver un souffle ! Certains ne le verront même pas. Mais moi, Notre-Dame, je soufflerai très fort, pour que Paris se rappelle que je suis là.

On raconte qu’un bossu habite vos murs, vous l’avez déjà vu ?

Le Bossu c’est peut-être moi (rires). Non je ne l’ai jamais vu… J’ai vu beaucoup de gens qui travaillaient dans la cathédrale pour qu’elle soit belle. J’ai vu les sacristains. C’est peut-être eux les bossus… J’ai vu tout le personnel de surveillance, tout le personnel administratif. Ils étaient 65 pour s’occuper d’une vieille dame comme moi. Je ne les ai jamais oubliés. Au contraire, j’étais à leurs côtés et ils savaient tous qu’ils pouvaient compter sur moi !

Quelle est votre faille préférée ?

Ça va vous étonner. Peut-être que c’est ma fragilité. J’ai beau être Notre-Dame de Paris, la mère de Dieu, avoir mis au monde l’enfant Dieu, peut-être que ma faille c’est cette fragilité. Et peut-être que le secret est d’avoir gardé cet esprit d’enfance. Je ne peux pas oublier Bethlehem, la crèche, tous ces évènements que j’ai médités dans mon cœur. Ils sont là.

Un souvenir de votre naissance ?

Ce sont toutes ces pierres qui jonchaient le sol. Je me suis dit « comment vont-ils monter tout cela ? », « comment vont-ils monter ces pierres jusqu’en haut des tours ? » Ça s’est fait finalement. Avec des poulies, des cordes… Aujourd’hui, ils ne se fatiguent plus trop, ils ont des grues. Il y a 800 ans, ce n’étaient pas des grues…

C’était le Saint-Esprit ?

Il y avait le Saint-Esprit. Et puis surtout ce temps des bâtisseurs de cathédrales. Qu’est-ce qui a fait grandir cette cathédrale ? La foi ! Je pense toujours à ces premiers compagnons qui ne m’ont jamais vue terminée. Car il a fallu 100 ans pour me construire. Ils sont morts sans me voir terminée. Mais ils me voient de là-haut. En 3D… ! (rires) Il y a un homme qui venait me voir tous les jours. C’était le général Georgelin. Tous les jours ! Il me disait « ah Marie, Notre Dame, c’est ta maison, c’est une guerre. Il faut qu’on la gagne cette guerre ! Le 8 décembre, la guerre sera gagnée !

Un détail que vous n’oseriez pas montrer ?

La couronne d’épines. On en a peu parlé, mais j’ai la grâce d’avoir cette couronne. J’ai un reliquaire monumental. Mon fils n’a pas porté de couronne en or. Cette couronne d’épines sera au fond de la cathédrale. Elle sera à une bonne place. Je ne voudrais pas que les gens qui me visitent oublient que j’abrite aussi le signe du don absolu de Dieu pour chacun d’entre nous.

Une anecdote que vous n’oseriez pas raconter ?

Un jour, un groupe de jeunes étudiants hollandais se sont trouvés à côté de ma Vierge du pilier. Ils étaient venus ici pour prier pour l’un de leurs professeurs qui s’était suicidé. Ils savaient que leur professeur aimait Notre-Dame. Le recteur était là pour les aider à prier. Il leur demande s’ils veulent dire une prière.

Une des étudiantes sort un papier sur lequel se trouvait une prière que leur professeur leur avait lu un jour. La prière était « Il est midi », de Claudel. C’était un petit clin d’œil !

Votre plus beau souvenir ?

Je pense que c’est l’arrivée de saint Louis, roi de France, en bure, pieds nus, en signe de conversion, portant la couronne d’épines. Certes, après, la couronne est partie à la Sainte Chapelle. Mais elle est revenue. Parce que Dieu a de l’humour et il savait que j’y étais attachée.

Votre plus belle rencontre ?

J’ai bien aimé les visites de Jean-Paul II et Benoît XVI. Ils étaient attachés à notre histoire, à mon histoire. Ils aimaient la France. Ils avaient compris qu’en allant à Notre-Dame, ils touchaient le cœur de la patrie.

Votre péché mignon ?

Les fleurs. A chaque fois, ceux qui travaillent pour me nourrir, s’occupent de me créer de beaux bouquets. J’ai toujours été très bien fleurie. Ils savent bien que ça me touche. Les fleurs blanches sont toujours belles, parce qu’elles sont symbole de pureté ! C’était principalement des lys. Mais, s’il y a une rose, je l’accepte (rires). Elles sont au pied de la Vierge du pilier.

Des vers qui vous célèbrent et que vous aimez ?

Tous les soirs, chez moi, on chante les antiennes mariales. Elles me bouleversent toutes. Mais c’est vrai que le grand Salve me met en extase.« Salve Regina, mater misericordiae, vita dulcedo et spes nostra, salve. »

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