L’ENVERS DU DÉCOR
« On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas ! » L’euthanasie et le suicide assisté sont en vigueur dans plusieurs pays du monde. Les exemples qu’ils nous offrent sont sans appel : à ce qu’on nomme aujourd’hui un « progrès » succèdent des dérives inquiétantes…
PAR ANTOINE LEMAIRE
Il ne faudra que quelques jours, quelques semaines, peut-être, avant que le débat autour du projet de loi sur la fin de vie ne revienne à l’Assemblée nationale. Nos députés débattront pour savoir s’il convient, ou non, de dépénaliser ce qu’ils appellent insidieusement l’« aide active à mourir ». Appelons un chat un chat et parlons de ce dont il est réellement question ici : l’euthanasie et le suicide assisté.
« L’euthanasie c’est quelqu’un qui vous tue ! Quant au suicide assisté, c’est vous-même qui vous administrez un produit mortel, avec l’aide d’un tiers », explique le docteur Jean-Marie Gomas, co-auteur du livre Fin de vie : peut-on choisir sa mort ? Ce médecin est l’un des fondateurs de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et des Soins Palliatifs) et l’ancien responsable d’une Unité Douleurs Chroniques et Soins Palliatifs à Paris à l’hôpital Sainte-Périne. Les détails sont glaçants : « une euthanasie bien faite prend 5 minutes. Une première piqûre vous plonge dans le coma, une deuxième vous tue ! »
L’euthanasie et le suicide assisté sont des actes de mort programmée, contrairement à la sédation profonde, qui est une prise en charge clinique et thérapeutique : « la Sédation Profonde et Continue Maintenue Jusqu’au Décès (SPCMJD) est le traitement de symptômes insupportables dans les derniers jours de la vie. Le malade est en train de mourir. Il a des symptômes très graves, que l’on n’arrive pas bien à calmer, donc on le met dans le coma pour lui donner le calme. C’est un acte thérapeutique, décidé en accord avec le patient et lors d’une procédure collégiale, qui n’est en aucun cas mortifère. C’est la maladie qui fait mourir le malade, pas la sédation profonde ! »
Des dérives certaines
Si les distinctions doivent être bien faites entre les deux modalités de mort provoquée, c’est parce que l’évolution, dans les pays qui autorisent le suicide assisté et dans ceux qui autorisent l’euthanasie, est radicalement différente. Le docteur Favre, médecin spécialiste du droit de la santé et co-autrice, avec Jean-Marie Gomas de Fin de vie : comment choisir sa mort ? suit avec précision la situation à l’étranger. Elle explique : « en 2016, la Californie a dépénalisé le suicide assisté, et le Canada l’euthanasie. En 2023, 7 ans après, il y a 20 fois plus de décès par euthanasie au Canada qu’il n’y a de décès par suicide assisté en Californie. » Les chiffres parlent par eux-mêmes, et la conclusion s’impose : « l’euthanasie est bien plus incitative que le suicide assisté. Si ces deux modalités sont une porte ouverte qui peut toucher les plus vulnérables, voire les dépressifs, la pratique euthanasique se révèle particulièrement délétère. »
C’est ce qu’on remarque par exemple en Belgique (pays ayant dépénalisé l’euthanasie), où une femme âgée souffrant de DMLA (Dégénérescence Maculaire Liée à l’Age) et une jeune femme de 23 ans souffrant de dépression grave ont été euthanasiées. « Des médecins ont décidé que cette jeune femme ne rencontrerait personne, ne bénéficierait d’aucun autre traitement, n’aurait aucune opportunité de sortir de sa dépression.
C’est fou ! » commente Pascale Favre, avant d’ajouter que, dans le processus de maladie grave, « il faut du temps pour métaboliser les changements et refaire sens autrement. »
Des impacts insoupçonnés
Quid des médecins à qui il reviendrait d’effectuer les euthanasies ? « On remarque que le geste est très compliqué à faire la première fois. Mais certains médecins disent que, avec le temps et la répétition, on s’habitue », ajoute Jean-Marie Gomas, avant de citer l’ancien cancérologue René Schaerer : « quand on a euthanasié quelqu’un, il n’y a plus
que deux choses à faire, c’est recommencer et en parler ». Sinistre. Mais voilà peut-être l’unique solution face à cette « course contre la culpabilité, pour s’autoconvaincre qu’on a bien fait de tuer ». Les proches d’un malade font aussi les frais d’une disparition très brutale. L’accompagnement d’un proche qui souhaite mourir est délicat et culpabilisant. « Il s’agit d’une mort violente. Le processus du deuil dans ce genre de cas est souvent plus long » ajoute Pascale Favre.
Accepter la vie
Le docteur Gomas explique que « demander la mort veut souvent dire ‘j’ai besoin qu’on s’occupe de moi’, ‘je souffre’, mais ce n’est pas obligatoirement une volonté de mourir ». Cette réalité difficile à concevoir est d’ailleurs bien connue des psychiatres, chez qui la question du souhait de la mort est récurrente. « Tout le combat des psychiatres est de privilégier la vie et d’aider les gens à trouver un chemin, même difficile. Ils sont vent debout contre l’euthanasie et le suicide assisté ! », explique encore Jean-Marie Gomas. La vie est belle parce qu’elle est une évolution. La vieillesse et la maladie ne sont pas les lieux du malheur, au contraire. Ils sont le lieu d’un accompagnement vers la fin ou le reste de la vie. « Le « prendre soin » est au coeur de la relation. Ce que je valorise chez l’autre lui permettra d’être un humain jusqu’au bout et de vivre le sens de sa vie jusqu’à son dernier souffle », conclut Jean-Marie Gomas
QUELS DANGERS?
Shanti de Corte, jeune femme belge : euthanasiée pour troubles dépressifs. Nine Tys, flamande de 38 ans, euthanasiée pour troubles psychiques. Florian Dosne, auteur du livre Ma vie aux deux extrêmes, est atteint de troubles bipolaires. Il s’inquiète et s’oppose fermement à la proposition de loi.
PAR ANNE-CLAIRE DÉSAUTARD-FILLIOL
« Si l’aide à mourir était possible il y a quelques années, j’aurais demandé à y avoir accès. J’étais en dépression, j’avais des envies suicidaires profondes, je voulais en finir… J’aurais perdu ma vie, mes amis, je n’aurais pas connu les joies du mariage… Aujourd’hui je suis vent debout contre le projet de loi de l’aide à mourir ! D’autant qu’en France, le projet présenté au printemps dernier propose un délai d’exécution très court. » Florian a été diagnostiqué bipolaire il y a 4 ans. A 33 ans et après une dizaine d’années d’errance de diagnostic, il peut mettre des mots sur ce qu’il vit : « cette maladie se caractérise par des troubles de l’humeur qu’on appelait troubles maniacodépressifs. Il y a deux phases dans la maladie. Des phases dépressives avec un sentiment de grand désespoir, une profonde tristesse voire des idées suicidaires. Et des phases maniaques ou hypomaniaques, où on se sent exalté, on a confiance en l’avenir, des projets à n’en plus finir, on pense avoir une grande lucidité. Parfois surviennent des comportements à risque : une vie au-dessus de ses moyens, une sexualité débridée… Durant ces phases, on dort très peu durant des jours entiers ».
Sa maladie débute en 2011 après un voyage humanitaire en Inde, dans les mouroirs de mère Térésa, où des indiens mourants, qu’on appelle les intouchables, n’ont pas accès aux premiers soins des hôpitaux. Florian assiste les mourants en leur donnant des soins et des médicaments. Lorsqu’il rentre en France, il est frappé par une dépression foudroyante. « J’ai été saisi d’un mal terrifiant en ayant en écho des regards croisés en Inde, des chocs visuels de personnes qui ont des corps difformes abimés par la souffrance. Je suis terrifié par ce que j’ai vu par rapport à mon environnement familial plutôt rassurant d’un 16e arrondissement confortable en plein de Paris. » Après une première grosse dépression, s’en suit une crise maniaque lors des Journées Mondiales de la Jeunesse à Madrid.
Il vit quatre ou cinq crises dépressives et maniaques durant presque neuf ans, période d’errance de diagnostic. Chaque crise dure environ un an avant de se remettre totalement. Quelques années plus tard, Florian va voir sa vie bouleversée par une conversion au Christ. « Aujourd’hui, cela fait 5 ans que je suis stabilisé. On dit que la bipolarité est une maladie incurable. Je témoigne que l’on peut passer du soin à la guérison parce que Dieu peut guérir. La guérison de la bipolarité passe par le coeur. Du coeur au cerveau, il y a un chemin. Pour moi c’est l’Esprit Saint (l’Esprit de Dieu) . On peut se sentir rejoint dans la maladie ». Bien sûr, Florian reste prudent. Il poursuit son traitement et voit son thérapeute. « Le fait de se sentir guéri, c’est de pouvoir se dire, à court terme, ‘j’ai peu de chance de rechuter’.
Plus les crises s’espacent, moins elles ont de chance de revenir. Quand j’entends le Conseil Consultatif National d’Ethique parler de la dépénalisation de l’aide à mourir en disant qu’il y aurait une assistance légale au suicide, ouverte aux personnes majeures atteintes de maladies graves et incurables mais provoquant des souffrances physiques ou psychiques réfractaires, on est en droit de se demander : quelles sont ces maladies incurables ? Comment les détermineront ils dans quelques mois ? A court terme et à moyen terme ? Je m’oppose plus que jamais à cette proposition de loi. » En 2023, Olympe, influenceuse française de 23 ans suivie par près 300 000 followers, ne cache pas ses troubles psychiques, ni son désir d’avoir recours à l’euthanasie en Belgique. Elle y échappe, question de nationalité. Ce n’est pas le cas de Shanti de Corte, jeune femme belge dépressive, traumatisée par les attentats de Bruxelles en 2016. Euthanasiée en 2022. Ni de Tine Nys, femme flamande de 38 ans souffrant de troubles psychiques, euthanasiée en 2010, seulement deux mois après la découverte de troubles autistiques. Quant au Canada, il vient de reporter la légalisation de l’euthanasie pour seul motif de souffrir de troubles mentaux… Une question de temps qui ne résistera pas à l’argument relativiste : pourquoi la souffrance psychique vaudrait-elle moins que la souffrance physique face au « droit à mourir » ?