On souhaite un bon Ramadan aux musulmans dans tous les médias tandis que les catholiques restent dans l’ombre durant le Carême. Pourtant, Mardi gras, jeûne, Pâques, accompagnent encore nombre d’entre nous. Rencontre avec le père Ramzi Saadé pour un éclairage sur ces différentes pratiques.
LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET LE PÈRE RAMZI SAAD
Lili Sans-Gêne : Aujourd’hui, on parle plus souvent du Ramadan que du Carême dans les médias. Le Ramadan, c’est plus important que le Carême, non ?
Père Ramzi Saadé : Le Ramadan interpelle davantage les médias peut-être parce qu’il n’est pas seulement une démarche personnelle de repentance, une pratique religieuse, mais revêt aussi un fort aspect communautaire, sociétal, culturel, politique, économique et identitaire.
Le Ramadan est souvent mis en valeur par les musulmans pour manifester la solidarité des membres de la communauté des croyants. Celle-ci peut s’accompagner dans certains pays ou milieux d’un contrôle social entre musulmans. Certains de mes amis musulmans non croyants me racontaient qu’ils jeûnaient à cause de la pression sociale de leur entourage, d’autres se permettaient de manger seulement s’ils n’étaient pas vus par d’autres musulmans. Dans certains pays musulmans, la loi peut même sanctionner la non observance du jeûne en public. Par exemple, au Maroc, l’article 222 du Code pénal en vigueur prévoit de, un à six mois de prison, plus une amende, applicable à tout musulman manquant à l’obligation du jeûne.
Mais même si les médias n’en parlent pas, le Carême demeure un temps très important dans la vie du chrétien.
Le Carême, ça existe encore ?
Bien sûr, mais dans notre société laïque, il est vécu davantage de manière personnelle. Il a malheureusement perdu sa dimension communautaire et sociétale bien qu’il existe diverses propositions en paroisses ou en communautés pour vivre le carême ensemble (journées au pain et à l’eau, Exodus, soirées de prières…).
A l’opposé de la manière musulmane de vivre le ramadan, le chrétien vit aujourd’hui son jeûne dans le secret et ne cherche pas à se faire remarquer car Jésus affirme dans l’évangile : « toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra » (Mt 6,17-18).
Cela s’applique aussi à la prière et à l’aumône : « quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret … et quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ». (Mt 6,3-6)
Pour moi, le Carême et le Ramadan, c’est se priver de nourriture. Mais aujourd’hui, on peut faire des jeûnes thérapeutiques dans des centres ou avec des groupes de bien-être. Au final c’est pareil, non ?!
Non ! On peut, bien sûr, faire des jeunes thérapeutiques et des régimes alimentaires qui sont bénéfiques pour notre corps et notre bien-être et cela est bon… mais le sens du jeûne durant le Carême est tout autre.
Mais alors, si le Carême n’est pas seulement un temps de jeûne, c’est un temps pour quoi ?
Le temps du Carême a pour objectif de me sortir de moi-même et de m’ouvrir aux autres et à Dieu pour que je me dispose à recevoir ce que Dieu veut me donner. On parle souvent du jeûne durant le Carême mais ce que l’Evangile préconise, ce sont trois activités qui vont de pair et ne peuvent être dissociées : le jeûne, la prière et l’aumône. Le jeûne me décentre de moi-même, la prière m’ouvre à Dieu et l’aumône me fait entrer en relation avec mon prochain.
Moi je suis pragmatique ! Je ne fais pas d’efforts pour rien ! Le Carême, ça nous conduit vers quoi ?
Le but du Carême, comme de la pratique chrétienne est de trouver le vrai Bonheur ! Dans notre quotidien on se soucie de soi-même, de nos propres besoins, de ce qui nous fait du bien… et on oublie que l’essentiel dans la vie est de trouver le Grand Amour ! L’Amour n’est pas une quantité de relations ou de fans (multitude de likes sur Tiktok) mais Une personne qui m’aime jusqu’à donner sa vie pour moi malgré mes défauts et mes infidélités. Comme il arrive que je sois déçu ou que je ne trouve pas la personne en question, je me contente d’un peu d’amour passager ou d’idoles (argent, pouvoir, pornographie, drogue…) qui me font miroiter qu’elles seraient capables de me rendre heureux. C’est pourquoi le temps du Carême a pour objectif d’identifier ces idoles et de chercher à m’en détacher, ainsi que des compensations qui comblent maladroitement les besoins de mon cœur. Cela me permettra de mieux me disposer dans ma relation avec Dieu et de recevoir directement de l’unique source. Le but étant de prendre conscience que Dieu a déjà donné sa vie pour moi gratuitement, par amour, et non parce que je le mérite par mes actes ou mes sacrifices. Dieu m’aime malgré mes péchés, mes manquements, mes faiblesses… Se savoir aimé et prendre conscience que ma vie a de la valeur à Ses yeux me procure une joie incommensurable.
En quoi c’est différent du Ramadan ?
Comme la perception de Dieu est différente dans les deux religions, nous retrouvons donc des différences dans la tradition et dans le sens que portent les pratiques : le Carême nous renvoie aux 40 jours de jeûne de Jésus au désert qui renvoie à l’Ancien Testament et aux 40 ans passés par le peuple hébreu dans le désert avant d’entrer en Terre promise. Et le mot Carême vient de la racine « quarante », en référence à ces épisodes. Tandis que pour les musulmans, le Ramadan renvoie au mois durant lequel a commencé la révélation du Coran à Mohamed. Le premier est un temps de préparation pour accueillir l’événement fondateur du christianisme : Pâques (la mort et la résurrection de Jésus), le second est un effort pour Dieu (Jihad) qui vaut en lui-même. Même si les deux se terminent par une célébration, le rapport à la fête est totalement inversé pour l’un et pour l’autre : le Carême n’existe que pour se préparer pour Pâques qui est l’objectif et la raison d’être de ce temps de préparation qui la précède. Pâques étant l’acte d’amour ultime par lequel Dieu a porté les péchés du monde. La préparation pénitentielle du Carême me permet de mieux accueillir le don gratuit de Dieu. Ce don est premier et n’est en aucun cas la conséquence de mes actes, si vertueux soient-ils. Le Ramadan est en lui-même une fin et la fête clôture ce temps de jeune et célèbre son accomplissement. Le jeûne du Ramadan (avec l’aumône et la prière) ne sont pas tournés vers un autre événement.
Le croyant s’attends, grâce à ses efforts, à recevoir le pardon que Dieu lui octroie comme récompense de s’être soumis aux préceptes et d’avoir accompli des sacrifices.
Ces temps de pénitence ne demandent-ils que la volonté personnelle ? Sur qui peut-on s’appuyer pour vivre ces temps si spéciaux de l’année ?
L’alliance avec Dieu, comme tout engagement important (mariage, amitié, fraternité…) demande un engagement personnel et une décision ferme.
Mais Dieu sait, et il nous a prévenus, que nous sommes incapables d’aller vers lui par nos propres forces : « hors de moi vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,5). C’est pourquoi durant le temps de Carême, il est utile de prendre conscience que nous sommes incapables d’y arriver seuls et que nous allons, par la prière, demander à Dieu, de faire l’expérience de « sa puissance qui agit dans notre faiblesse » (2Co 12,9). C’est la grâce de Dieu qui nous permet d’être fidèles à la prière, aux efforts physiques et aux actes de charité que nous décidons d’accomplir. Durant le Carême, nous prenons aussi du temps pour écouter Dieu en méditant les textes bibliques car « ce n’est pas de pain seul que vivra l’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu » (Dt 8,3 et Mt 4, 4). De plus, les membres de la communauté chrétienne sont là pour se soutenir et pour avancer ensemble. Ils peuvent prendre des résolutions communes (adoration, service des pauvres, maraudes…) et se rencontrer régulièrement pour partager sur l’action de Dieu dans leur vie. Il est important de s’entraider dans ce chemin de sainteté. L’Eglise domestique (la famille) ainsi que la communauté paroissiale sont aussi les lieux privilégiés où doit se vivre la fraternité et l’unité grâce à l’exercice de la charité et du pardon. Et pour y parvenir, le peuple de Dieu puise sa force dans les sacrements, surtout les sacrements de réconciliation et de l’eucharistie qui nous accompagnent tout au long de notre vie pour nous permettre de recevoir la force d’en haut !
L’Eglise prie pour que de nombreuses personnes s’ouvrent à l’œuvre de l’Esprit Saint dans leur cœur pour qu’ils rencontrent Jésus et grandissent dans la relation d’amour avec leur Père céleste.
« Se savoir aimé de Dieu et prendre
conscience que ma vie a de la
valeur à Ses yeux me procure une
joie immense «
Prêtre franco-libanais, le père Ramzi Saadé a reçu un appel tardif à la vocation. Il est responsable à
Paris, du projet Ananie qui vise à acceuillir et accompagner les personnes de tradition musulmane qui
souhaitent cheminer vers la foi chrétienne.