Qu’est-ce que le corps aujourd’hui ? On a l’impression que c’est un morceau de chair jetable, remplaçable, modulable, sculptable. Bref, comme tout le reste. Et s’il y avait plus que ça ? Pour nombre d’entre nous, quelles que soient nos croyances, le corps et l’âme sont liées. Le temps peut-être de comprendre comment et pourquoi !
LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET LE PÈRE GAULTIER DE CHAILLÉ
Lili Sans-Gêne Le corps, c’est un bel outil pour plaire. Et je fais bien ce que je veux de mon corps ! Si j’ai envie de profiter d’une soirée, qui m’en empêcherait ? Et puis j’ai pensé me faire tatouer. Faut profiter tant qu’on est jeune !
Père Gaultier de Chaillé Faire ce qu’on veut de son corps… Alors, oui, notre corps, c’est nous, c’est une merveille pour expérimenter la liberté, pour vivre des plaisirs, des joies, le façonner, en être fier, séduire et toutes sortes de choses belles bien sûr. Mais c’est une aussi merveille fragile. Le « ce que je veux » peut engendrer des réveils difficiles… Les choix pulsionnels ne sont pas des choix de vraie liberté. La vraie liberté se creuse, se travaille et se choisit avec courage, non avec légèreté ou rébellion. Quant au tatouage, beaucoup de chrétiens se posent la question. L’Église ne dit rien sur ce sujet, parce que chacun fait ce qu’il veut de son corps, mais voilà, ne gâchons pas la beauté de ce que nous sommes au nom d’une mode qui passera. Je ne vois pas de mal à marquer dans la chair un message qui compte vraiment. J’ai même envie de faire le parallèle avec les stigmates : au Ciel, notre corps ressuscité sera marqué par les éléments forts de notre vie et les événements où nous nous sommes donnés. Si le tatouage est une sorte de stigmate qui signifie un amour, un don, alors je trouve ça beau…
Finalement c’est bien de prendre soin de son corps ? En ce moment, j’ai une petite « addiction » à la course à pieds et au crossfit ! J’y passe mes semaines. L’avantage, c’est que je m’assure un corps de rêve. Bien dans son corps, bien dans son âme, non ?
C’est bien de faire du sport ! C’est encore meilleur d’y prendre plaisir. Maintenant il n’y a pas d’addiction légère. Il ne faut en aucun cas perdre sa liberté, pour quelque raison que ce soit. Prendre soin de soi oui, subir une obligation qui nous rend dépendant, non ! Avoir un corps en bonne santé, mobile, tonique, durable, c’est très bien, mais se sculpter pour ressembler à quelqu’un d’autre que soi, quelle tristesse ! Prenez attention aux motifs, aux ressorts profonds. Il faut aller bien grâce au sport et l’utiliser comme un outil mais pas comme un devoir ou un maître ! Les diktats des canons de beauté, aux standards et aux complexes peuvent nous égarer et nous blesser. Soyez libre !!
Mais du coup, la beauté du corps, c’est quoi ?
Vous avez deux heures ?… Que dire en quelques mots sur la beauté du corps ?… Moi qui dessine et qui peints, j’ai eu la chance d’observer de longues heures des corps de toutes formes et de toutes compositions. Je peux dire sans mentir que tous les corps sont beaux, désolé pour le cliché. Des critères esthétiques existent culturellement pour établir des catégories de « beauté » mais qui sont plutôt des éléments de jugements de désidérabilité sur le plan sexuel, donc ce sont des éléments biaisés. Un corps est beau quand il est vivant et quand il donne envie de vivre à celui qui est bénéficiaire de sa vision… C’est ainsi que Dieu se réjouit en regardant nos corps et la vie qui s’y déploie.
Le corps, parfois c’est bien de le mettre de côté. Entre les douleurs chroniques, la fatigue et autres maladies, je pense que la méditation de pleine conscience permet de sortir de son corps pour faire une pause.
La « sortie du corps », c’est un peu un fantasme de paradis artificiel… Je trouve que fuir le corps ne rend pas libre et le retour au réel est souvent brutal. De plus, dans les philosophies qui sous-tendent les méditations « laïques », il y a souvent des éléments qui contredisent explicitement la doctrine de Jésus sur le corps… Quand il est au désert, à souffrir, le diable vient justement lui proposer de s’abstraire de la souffrance. Lui, il choisit plutôt la pleine incarnation que la pleine conscience, je préfère ça…
Après tout, nous sommes poussières et deviendrons poussières. Rien ne me dit qu’il y aura une vie après la mort. Moi, je me préfère me donner corps et âme à la vie présente !
Très bien, il faut se donner à fond dans la vie présente. Quant à dire que rien ne vous dit qu’il y aura une vie après la mort, je répondrais que la quasi-totalité de l’humanité pense le contraire avec une permanence assez forte tout de même… Bien sûr, nous n’en avons pas de preuve scientifique, pas plus que nous n’avons de preuve de l’amour ou du sens de la vie en général, mais la foi et notre élan profond de vie semblent dire en nous que cette vie-ci n’est pas qu’animale ou pulsionnelle pour maintenant. L’intensité de ce qui se vit en nous montre que ce n’est pas qu’un accident superficiel. Notre vie est sublime, tellement sublime qu’elle est pour toujours. En tout cas, telle est la foi chrétienne ! C’est bien de vivre en cherchant le bonheur, mais il y a plus que les plaisirs d’ici-bas !
J’ai du mal à croire à un corps glorieux. On peut éventuellement me parler de réincarnation. Il y a tellement de synchronicités ou de probables souvenirs de vies antérieures que je pourrais encore croire en cela mais la résurrection des corps…
Nous, chrétiens, pensons que l’union de notre corps et de notre âme n’est pas qu’une circonstance fortuite et passagère. Nous pensons que notre personne est définie par l’union de ces deux éléments de nous qui nous font être nous-même. C’est pour cela que nous considérons que la permanence éternelle de notre personne ne peut perdurer que par l’union de notre âme avec notre corps. Ensuite, nous ne croyons pas que le monde ici-bas et l’écoulement du temps sont cycliques à l’infini, mais linéaires. Nous allons de quelque chose vers quelque chose d’autre. Il y a ce monde, notre vie telle que nous l’expérimentons, et autre chose après. Jésus nous montre le chemin vers un « ailleurs » qui commence déjà maintenant et où nous serons pleinement avec Dieu. C’est ça qu’on appelle résurrection des corps. Ce sera vraiment nous, mais dans la plénitude de ce que nous sommes, sans souillure, sans souffrance, sans attente. La paix, enfin.
A quoi ça peut ressembler la vie là-haut ? Imagine tous les morts depuis des siècles et des siècles, ils seraient tous entassés au paradis pour louer un seul Dieu ? Ça me paraît compliqué ou alors il faut réserver sa place pour être devant !
Dès qu’on imagine « là-haut » avec notre intelligence marquée par l’espace et le temps, nous ne pouvons élaborer que des hypothèses aberrantes. Personne ne sait comment le Ciel se passera. Nous savons seulement que nous serons ensemble avec ceux que nous avons aimés, que Dieu sera pleinement tout en tous et qu’il comblera chacun de son amour. Le reste, couleurs, odeurs et sons, nous n’en savons rien. N’ayons juste pas peur, ce sera beau, ce sera pleinement joyeux, ça nous comblera ! De la même manière que le bébé qui n’a connu que le ventre de sa mère ne peut imaginer la joie que procure la douce chaleur du soleil matinal, de la même manière nous n’avons qu’une idée très voilée de ce qui vient, mais ce sera au-delà de toute joie qu’on a pu expérimenter pour l’heure. J’en suis sûr !
Et alors quand je vais à la messe (ça m’arrive parfois !), Jésus offre-t-il vraiment son corps dans l’hostie ? Comment peut-on croire une chose si extraordinaire ?
Jésus n’est pas qu’un homme, il est Dieu. Puisqu’il est Dieu, il peut se donner comme Il le veut, autant qu’Il le veut. Quand il se donne sur la croix, il se donne absolument, pleinement. Dieu qui offre sa vie pour chacun des humains de la terre. Une fois pour toutes. Mais il laisse à l’humanité le trésor de sa présence nourrissante et consolante comme « pain de la route » jusqu’à ce que nous puissions le voir face à face. L’Église croit que dans la célébration de la messe, son corps est totalement présent sous la forme inchangée du pain offert et consacré. C’est inexplicable, c’est un élément de notre foi. Nous croyons que Dieu veut venir au contact de notre corps pour que nous puissions être assimilés à Lui, en recevant son corps à manger, qui transforme nos corps et unis tous nos corps en son corps qu’on appelle l’Église. C’est énorme, audacieux, scandaleux même, mais telle est la foi de l’Église, tel est le cœur de sa foi même. N’ayez pas peur de douter, mais cherchez passionnément à percevoir, non pas avec vos yeux, ni avec votre tête. Cherchez avec votre âme, votre cœur, et vous verrez que là, sur l’autel, bat le cœur de Dieu qui donne la vie !
« Nous savons que nous serons ensemble, avec ceux que nous avons aimés »
Le père Gaultier de Chaillé a été ordonné prêtre pour le diocèse de Versailles en juin 2013 après avoir suivi son séminaire à l’Institut d’Etudes Théologiques de l’Université des Jésuites de Bruxelles. Auteur de nombreux ouvrages accessibles à tous, il revient avec un nouvel essai, proposant des méditations et réflexions sur la place du corps et la résurrection de la chair.