Rencontre. Romancier, scénariste de films et membre du jury du prix Goncourt – qu’il a lui-même obtenu en 1977 – Didier Decoin est un homme heureux. Un bonheur qu’il goûte en famille, mais qui a surgi lors d’une étrange nuit mystique…
Propos recueillis par Emmanuel Querry.
Un 8 septembre vers 23 heures. Dans sa salle de bain en train de se brosser les dents, Didier Decoin élabore une réflexion complète et argumentée sur la non-existence de Dieu. Il court vers son bureau pour écrire ce qu’il croit être des « preuves » irréfutables lorsqu’il est pris d’une fulgurance étrange. Une profonde joie l’inonde, il ressent une présence douce et apaisante. Quarante ans plus tard, en pleine lecture de dizaines de romans pour le prix Goncourt 2016, Didier Decoin se souvient avec exaltation de ces mystérieuses heures qui ont changé sa vie. Il évoque aussi son étroit lien spirituel avec Élisabeth de la Trinité, figure mystique qui sera déclarée sainte le 16 octobre par le pape, à Rome.
Comment passe-t-on en quelques secondes d’un athéisme convaincu à une foi vivante ?
C’est inexplicable. Je me suis senti un instant plus fort que Nietzsche et tous ces philosophes qui ont annoncé que Dieu était mort. Puis cela s’est complètement renversé. Je n’ai rien vu, rien entendu, rien touché mais j’ai perçu une sensation d’amour inouïe et des certitudes de joie et d’éternité. C’est comme si un soleil prodigieux s’était mis à briller en plein milieu de la nuit.
Et alors qu’avez-vous fait ?
J’ai baigné dans cette sensation jubilatoire sans essayer de l’analyser. La nuit s’est écoulée sans que j’en prenne véritablement conscience jusqu’au matin où m’est venue cette phrase qui a servi ensuite de titre au livre dans lequel j’ai raconté cela : « Il fait Dieu » (sorti en 1975 chez Julliard).
Avant cette fameuse nuit, vous n’aviez pas été imprégné de culture religieuse ?
Non, mon père (Henri Decoin, cinéaste, ndlr) n’était pas croyant. Un jour, je lui avais demandé : « Qui est le meilleur metteur en scène ? » Il m’avait répondu : « L’Église catholique » (rires). Quant à ma mère, elle s’arrêtait au Golgotha, elle ne croyait pas à la résurrection. Mon père m’avait néanmoins placé au collège Sainte-Croix de Neuilly, parce que « les gens qui en sortent sont rarement des salauds » (rires). L’éducation y était formidable mais je n’étais pas intéressé par la partie religieuse.
Après votre conversion, vous avez choisi de devenir chrétien, comment avez-vous fait le lien entre cette expérience spirituelle et le Christ ?
Je voulais renouveler cette expérience. Je me suis mis en quête d’une religion et je les ai toutes mises au banc d’essai y compris les philosophies orientales. Des amis juifs m’ont accueilli plusieurs fois. L’Islam ne m’a pas attiré. Ce qui m’a séduit dans le christianisme, c’est d’abord la personne du Christ car même si mon expérience n’était pas signée, il y avait un relationnel de moi à « quelqu’un ». Le Christ incarnait ce quelqu’un. Et dans la religion catholique, il y a la messe et surtout l’eucharistie, qui est le lien charnel, sensuel, avec le Dieu incarné dans l’hostie. Et je me suis dit : « Bon Dieu, mais c’est bien sûr, c’est ça ! »
Ce qui m’a séduit dans le christianisme, c’est d’abord la personne du Christ
Dans votre chemin spirituel, Élisabeth de la Trinité tient une place toute particulière, qu’est-ce qui vous plaît chez elle ?
C’est son côté très nature. C’est quelqu’un dont la foi profonde et simple m’a expliqué l’immensité de ce que j’avais cru effleurer. Elle en revient toujours à l’intimité. Le Dieu d’Élisabeth, ce n’est pas un Dieu qui est très haut dans le ciel et qui envoie le tonnerre et les éclairs. C’est quelqu’un d’immensément proche. Comme elle le dit : « Il y a en nous un Être, qui s’appelle l’Amour, qui nous demande de vivre en société avec Lui. »
Vous devez donc être aux anges qu’elle soit reconnue sainte le 16 octobre prochain ?
Je suis fier comme si c’était ma fille ! Je l’ai tellement souhaité, tellement rêvé. C’est beau de penser que l’humanité tout entière peut maintenant l’appeler « sainte ». Elle le mérite tellement.
Dans la noirceur du monde, tel qu’il est aujourd’hui avec les attentats, comment gardez-vous l’espérance ?
Le piège dans lequel on est englué, c’est le temps. Le temps est un leurre. On voit des horreurs qui paraissent aujourd’hui irréparables, comme tous ces jeunes assassinés au Bataclan par exemple. Mais un jour viendra où cet irréparable sera reconstruit autrement. Je crois véritablement que le mal nous piège. C’est le diable que je vois dans le temps. Il nous dit : « Il ne te reste plus que tant de jours, tant d’années, et ça ira de pire en pire. » Mais si vous vous dites : « Non ! On rentre dans l’éternité, et cette éternité est lumineuse », l’échelle change.
Votre rapport à la mort semble très apaisé ?
Oui, ce n’est pas quelque chose qui me fait peur. J’ai même une certaine impatience. Enfin je ne vais pas aller me jeter d’une fenêtre pour aller plus vite (rires).
Vous qui avez été agnostique, que pouvez-vous dire aux personnes qui n’ont pas la foi ?
La seule chose que je peux leur dire c’est que ça peut leur tomber dessus n’importe quand. (rires). Vous savez, j’ai parfois participé à des rencontres publiques pour tenter désespérément d’expliquer cette expérience et, à la fin de ces causeries, il y avait toujours quelques personnes qui me disaient : « Il m’est arrivé la même chose. » Et à chaque fois, dans leurs récits, il y avait cette même irruption de Dieu dans leur vie et la même notion de joie.
Votre actualité en tant qu’écrivain ?
Je suis justement dans un moment de jubilation car j’ai enfin terminé le roman que j’écris depuis 11 ans. (rires) Je suis un grand malade, je suis très lent. Cela se passe au Japon à l’an Mil, à l’époque des Heian. Il s’intitulera Le Bureau des jardins et des étangs (sortie prévue janvier 2017).
Votre meilleur souvenir de lecteur ?
On m’a demandé récemment d’écrire une adaptation des Frères Karamazov de Dostoïevski pour la télévision. Je l’ai relu et c’est mon éblouissement. Mais il y a aussi Yasunari Kawabata. Pour moi, c’est le plus grand romancier. Son écriture est cristalline. Les belles endormies, c’est un chef-d’œuvre.
Vous êtes quelqu’un de joyeux ?
On me dit souvent que j’ai l’air toujours content. Et bien oui je suis toujours content ! Même si je vois que le monde est mal foutu, j’ai cette certitude qu’à l’arrivée de la course, c’est le bonheur éternel pour tous. Donc c’est une question de patience. Le Christ viendra apporter ce bonheur éternel.