Êtes-vous un sanguin ? Un colérique ? Ou bien seriez-vous plutôt flegmatique ? Voire mélancolique ? Bien loin du sens qu’on leur porte, ces mots désignent en fait un ensemble de traits qui nous définissent au sens global et qu’on nomme « tempérament ». A partir de là, et en connaissant qui nous sommes fondamentalement, nous pouvons forger notre caractère, qui dépend de notre volonté. Entretien avec Alexandre Havard, auteur et coach sur le sujet.
PAR AUGUSTE CHAPELIER
Avant tout, que désigne exactement le mot « tempérament » selon vous ? Et combien de tempéraments existe-t-il ?
Le mot « tempérament » vient du latin : « temperamenrum », qui veut dire « mélanges ». Traditionnellement, la science des tempéraments remonte au médecin grecque Hippocrate. C’est lui qui a fait les découvertes physiologiques, biologiques et génétiques qui ont conduit à la classification des tempéraments en quatre schémas dominants : les colériques, les sanguins, les flegmatiques et les mélancoliques. Il a ensuite identifié huit « mélanges », pour un total de douze types tempéramentaux.
Si la plupart des gens possèdent donc un tempérament dominant qui se mélange à d’autres moins importants, certaines personnes peuvent être colériques ou flegmatiques à 100% et avoir un tempérament secondaire quasi nul.
Qu’entendez-vous par « caractère » ?
Si le tempérament est inné, le caractère, quant à lui, est spirituel. C’est-à-dire qu’il est libre et que c’est à nous de le développer. Il se compose des vertus, qui sont elles-mêmes des habitudes morales qu’on développe avec Je temps, grâce à l’éducation qu’on reçoit dans la famille et à l’école. Dans le grec ancien, le mot « caractère » désignait un sceau imprimé sur le tempérament, pour que ce dernier cesse de dominer une personnalité. L’être humain a reçu son tempérament biologique par un don de Dieu, il doit en être content. En même temps, il doit développer son caractère, c’est-à-dire les vertus qui lui permettront de dépasser son tempérament, et de se comporter de manière libre. C’est ce qui différencie les hommes des animaux, qui n’ont pas de caractère mais seulement des inclinations biologiques.
Dès lors, comment le fait de connaitre son tempérament pourra nous aider à définir notre caractère ? Et à avoir un comportement plus vertueux ?
Quand je connais bien mon tempérament, j’identifie plus facilement les vertus que je vais avoir du mal à pratiquer, mais qui seront bonnes pour moi et me feront grandir. Tout le monde doit grandir, mais en n’empruntant pas le même chemin. Ce chemin, c’est le tempérament qui nous l’indique. Et en fonction du tempérament, la lutte personnelle diffère. Le colérique devra pratiquer l’humilité s’il veut être une personne heureuse. Le flegmatique, la magnanimité (la vertue de la grandeur, du rêve). Le mélancolique, quant à lui, est très intériorisé, et s’il veut grandir il faut qu’il sorte de lui-même et qu’il soit audacieux. Pour certains, tout est biologique, pour d’autres, tout est spirituel. Je pense qu’ils se trompent. On ne peut pas demander à un mélancolique de devenir en deux jours un grand communicateur, ni à un flegmatique de devenir un manager, il leur faudra des années.
Finalement, l’important n’est pas vraiment le tempérament, mais plutôt la – ou les – vertus qu’il faut travailler pour s’améliorer. Pour un chrétien, c’est un raisonnement évident. Ce qui compte dans sa vie, c’est la croissance personnelle. On grandit à partir du moment où on comprend que connaître son tempérament et celui de l’autre permet de grandir et d’aider l’autre à grandir. Je crois que les vertus naturelles sont très importantes pour développer les vertus surnaturelles. La foi, l’espérance et l’amour, dons de Dieu, doivent s’appuyer sur le caractère bien défini de chacun. Si tu as une nature très faible, parce que tu es égoïste, pas courageux, pas magnanime, alors les vertus que Dieu te donne ne marcheront pas très bien … il faut d’abord travailler sur soi-même.
Quelle est, en nous, la part que l’on peut changer et celle sur laquelle on n’a pas prise malgré tous nos efforts ? Et comment faut-il s’y prendre ?
Il ne s’agit pas d’arriver à un équilibre parfait. Si tu es colérique, tu as un grand avantage pour être un manager. Ne diminue pas tes capacités de management ! Quand on vit ou qu’on travaille avec quelqu’un, on comprend très vite quel tempérament il a. L’important, c’est de voir que cette personne fait un effort pour dépasser les faiblesses de son tempérament.
Pour dépasser les faiblesses de son tempérament, j’identifie trois étapes principales : le cœur, l’intelligence, et la volonté. Pour développer une vertu il faut d’abord l’aimer, l’apprécier, et en avoir envie. Cela se fait au niveau du cœur. Aujourd’hui malheureusement les gens ne développent pas la vertu car elle n’est pas attrayante pour eux. Ensuite, il faut de la prudence. C’est là que l’intelligence entre en jeu. Il faut savoir distinguer le courage de la témérité, la magnanimité de l’orgueil, la justice de la vérité. Et enfin, il faut la volonté de pratiquer ces vertus. Beaucoup pensent que la vertu et le caractère dépendent uniquement de la volonté. La volonté vient en dernier ! D’abord il faut former le cœur. Sinon, on tombe dans le volontarisme total. Beaucoup de parents éduquent leurs enfants dans le « il faut ». Mais l’enfant ne comprend pas cela … il a besoin d’une raison existentielle, de beauté, de vérité.
En société et autour de nous, en quoi le fait de bien se connaitre soi-même peut aider à davantage respecter et supporter les différences des autres ?
Quand on comprend que telle personne réagit de telle façon à cause de son tempérament, on arrête de la juger. Un colérique n’est pas un orgueilleux, il est naturellement porté vers l’action, sur la volonté d’être le premier … Quand on voit un flegmatique, on ne se dit pas « c’est un fainéant ». Le flegmatisme est une manière d’être voulue par Dieu, qui est saine, tranquille et dépassionnée. Le mélancolique n’est pas égoïste, mais très intériorisé. Comprendre l’autre conduit à le respecter. Et connaitre notre tempérament permet de savoir comment s’adresser à une autre personne ! Un employé mélancolique qui veut présenter un projet à son patron sanguin saura qu’il faut qu’il rende cela excitant, challengeant. En faisant abstraction de notre tempérament on arrive à entrer dans celui de l’autre, à se mettre à sa place. C’est la communication à son meilleur. Ce n’est pas de la manipulation. Quand on manipule, on ment.
Quels sont les avantages qu’une bonne connaissance de soi peut apporter ?
On se rend compte de comment les gens nous perçoivent, et ça change la relation à l’autre. Un mélancolique dans une famille de sanguins sait qu’il sera perçu comme très créatif mais très renfermé sur lui-même. Alors il se dira « si je veux qu’ils soient heureux avec moi, il va falloir que je fasse un effort pour sortir de moi-même, pour rigoler et m’amuser.» Les chefs d’entreprise que je forme sont tous d’accord pour dire que l’absence de connaissance de soi et de compréhension des autres freine la communication !

ALEXANDRE HAVARD
D’origine française, russe et géorgienne. Alexandre Dianine-Havard est l’auteur du système de Leadership Vertueux enseigné aujourd’hui dans le monde entier. Ses livres, dont Le Leadership Vertueux (2007), Du tempérament au caractère (2018), Cœurs libres (2019) ont été traduits en une vingtaine de langues.
Il est cofondateur de nombreux Instituts de Leadership Vertueux établis sur les cinq continents.





