Si Dieu peut faire un miracle en un claquement de doigt, pourquoi nos proches continuent de mourir du cancer ou d’accidents de voiture ? Quels sont les « critères » de Dieu ? Qui choisit-il ? Et fait-il ces miracles dans un but en particulier ? Le père Jean-Brice Callery répond aux questions de Lili Sans-Gêne.
LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET PERE CALLERY
Lili Sans-Gêne : Pourquoi Dieu ne fait-il pas plus de miracles ?
PÈRE JEAN·BRICE CALLERY : Je pense qu’il y a déjà un premier miracle permanent, c’est celui de l’existence, de la vie. Même si le mal est là et qu’on meurt à la fin, déjà c’est un miracle que « tout cela existe ». Avant la Bible et nos propres vies, je pense que la nature, le cosmos, la création c’est déjà un miracle, ça n’est pas « évident », ce n’est pas un dû. Et c’est d’ailleurs en général un « émerveillement » premier devant ce qui existe qui suscite la réflexion philosophique, et celle de Dieu. A ce titre donc, non seulement Dieu fait beaucoup de miracles, mais il en fait même tout le temps, on pourrait presque dire qu’il ne fait que ça !
Il y a ensuite toute une autre série de miracles qui ne sont pas de l’ordre naturel, mais proprement surnaturel, qui dépassent les capacités de la nature. J’y vois ici l’existence et la permanence de l’Eglise, des sacrements, alors même que tout ou presque a pu être fait dans l’histoire pour les empêcher, les détruire. Le grand miracle par excellence ( c’est d’ailleurs le titre d’un film à son sujet), n’est-ce pas ici tout particulièrement l’eucharistie, la messe ? Comment peut-on s’habituer à cette transformation inouïe du pain et du vin en Corps et Sang de Jésus ? (Même si ma grand-mère a longtemps pensé l’inverse, que c’était Jésus qui se transformait en pain, mais bon…) Le miracle du pardon dans la confession n’est pas un moindre miracle non plus.
Enfin, et je pense que c’est surtout dans ce registre de miracles que vos questions me sont posées, il y a des guérisons soudaines et inexpliquées rationnellement, tout comme des apparitions surnaturelles.
Eh bien justement oui, dans ce registre là, pourquoi un tel arbitraire dans les guérisons miraculeuses ? Ainsi, une de mes amies a perdu son père la semaine dernière, il est mort d’un cancer alors que j’avais beaucoup prié pour sa guérison. Pourquoi est-ce que Dieu ne l’a pas sauvé, puisque ça lui est si facile ?
Déjà dans l’Evangile, pendant le parcours terrestre du Christ, on voit qu’il ne guérit pas tout le monde. Cela nous rappelle sans doute que, même guéri miraculeusement, on finit quand même par mourir, et que donc toutes les guérisons ont un caractère provisoire. Ce qui est définitif c’est d’être sauvé, du mal, de la mort, plus profondément que d’une maladie. Et derrière toutes les guérisons miraculeuses, on voit que c’est la foi, condition essentielle pour être sauvé, que cherche Jésus.
Alors celui qui était condamné à mourir d’un cancer et qui en est guéri, tant mieux pour lui. Mais que deviennent ceux dont un proche est décédé trop 101 ? Dieu a-t-il quelque chose pour eux aussi, à défaut d’un miracle ?
Il peut évidemment y avoir une réaction de révolte, quand on voit que telle personne est miraculeusement guérie, et qu’une autre, pas moins mauvaise a priori voire bien meilleure, non ! C’est un peu rude évidemment de dire que l’une en avait ‘moins besoin’ que l’autre. Ceci dit, des sentiments de confiance, d’espérance, de paix, peuvent tout à fait être aussi donnés ‘miraculeusement’ à des proches, comme fruits possibles de la prière de certains.
Si on regarde les miracles passés, reconnus par l’Eglise, les gens concernés viennent de toutes les classes sociales, de tous les milieux. Ça a un peu l’air d’être la roulette là-haut… Comment Dieu choisit-il la personne qu’il va sauver?
On se doute bien que Dieu ne joue pas à la roulette au ciel, mais qu’au regard de la perspective éternelle de chacun, tel ou tel miracle peut aux yeux de Dieu apparaître opportun ou non. D’ailleurs, il y a même peut-être parfois des miracles à contresens, si je puis dire ; comme par exemple le boulet de canon reçu par saint Ignace de Loyola (qui n’était alors pas du tout saint) qui l’a forcé à être immobilisé et qui a occasionné sa conversion ; idem pour sainte Thérèse d’Avila qui a retrouvé Dieu au cœur d’une très grave maladie. Le vrai miracle, pour eux, c’est presque d’avoir été blessé ou d’être tombés malade !
Quel est le but de Dieu quand il accomplit un miracle ?
Encore une fois, c’est toujours la guérison définitive, qu’on appelle le salut de notre âme, qui est visée par Dieu. Des miracles peuvent bien entendu y aider. Mais ça n’est pas non plus suffisant. On m’a parlé d’une personne athée guérie miraculeusement d’un cancer à Lourdes, qui s’est « du coup » convertie dans la foulée… mais qui s’est ensuite éloignée de la foi plusieurs années plus tard ! Si les miracles suffisaient pour croire et persévérer dans l’amour, bien sûr que le Seigneur les multiplierait. Par ailleurs s’il y en avait tout le temps, peut-être que certaines personnes se diraient moins libres de croire ?
Vous pensez qu’il y a des miracles qu’on ne voit pas ?
Oui, énormément ! Et même en permanence si vous élargissez la notion de miracle, comme j’en al parlé au début de notre entretien. Vous me faites penser à la phrase d’un moine chartreux sur la contemplation. Il disait que le contemplatif n’est pas celui qui découvre des secrets ignorés de tous, mais celui qui s’extasie devant ce que tout le monde sait. A ce titre, le problème n’est pas celui des miracles qui sont constants, mais plutôt (pour répondre comme l’agent de la SNCF à Michel Blanc dans Les Bronzés font du ski), « le problème c’est vos yeux, nos yeux, qui ne les voient pas» !
Finalement quand quelqu’un qu’on aime est très malade, par exemple, faut-il continuer de croire ? De croire à un miracle ?
Je me souviens d’un ami, atteint d’un cancer à vue humaine incurable, et qui d’ailleurs en est mort à 39 ans, et dont j’ai célébré les obsèques. Pendant plusieurs mois avant sa mort, nous étions tout un groupe de proches à prier pour lui, et en particulier pour sa guérison. Mais à un moment, lors d’une de mes visites, il m’a dit « écoute, Jean-Brice, maintenant il ne faut plus prier pour ma guérison, il faut passer à autre chose, il faut prier pour que je meure bien, en paix, préparé. » J’étais un peu interloqué, et je lui ai répondu que d’accord, c’est vrai, ce qu’il me demandait était assurément plus important, plus essentiel … mais qu’il ne fallait quand même pas nous en vouloir de continuer par amour, à prier ‘aussi’ pour sa guérison. Même si, je l’avoue, personne n’y croyait plus.
QUEL PROCESSUS POUR RECONNAITRE UN MIRACLE ?
Pour qu’un miracle soit reconnu il y a plusieurs étapes. La première procédure est l’enquête diocésaine, elle a lieu dans la région où s’est produit le présumé miracle. Le diocèse où vit la personne guérie ouvre un examen approfondi. Il convoque un tribunal composé d’experts qui recueillent toute la documentation sur cette guérison, le tribunal rend son jugement à l’évêque après avoir décortiqué le dossier médical du potentiel miraculé. En fonction du verdict, l’évêque décide oui ou non d’envoyer la demande au Vatican.
A Rome, la validité du dossier est de nouveau vérifiée avec des scientifiques puis des théologiens, les résultats de toutes les commissions sont présentés au dicastère pour les causes des saints, le dicastère, composé de cardinaux et d’évêques, prend la décision finale et la présente au Pape. Un décret attestant qu’il s’agit bien d’un miracle est alors publié.





