Objection de conscience : un droit ou un abus ?

21 janvier 2014

François de Lacoste Lareymondie

Débat. Refuser d’accomplir certains actes quand ils vont à l’encontre des valeurs morales et humaines que dicte sa conscience: c’est ce qu’on appelle l’objection de conscience. Peut-on légitiment s’affranchir de ce que la loi commande?

Le débat entre Lili Sans-Gêne et François de Lacoste Lareymondie


1. 
Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’objection de conscience ? J’ai entendu parler de ça à propos des maires qui ne veulent pas marier des personnes de même sexe, mais ça me semble très tordu…

 Commençons par une autre question qui est un préalable à tout : qu’est-ce que la conscience ? Dans le langage courant, ce mot renvoie à la subjectivité : « moi, personnellement, je… ». Souvent, celui qui déclare qu’il « a sa conscience pour lui » le fait pour clore toute discussion et empêcher toute critique. Si la conscience n’était que cela, elle ne mériterait pas autant d’attention et nous n’aurions pas autant d’admiration pour les grands témoins de l’objection de conscience dans l’histoire : je pense à Antigone, à Thomas More ou au roi Baudouin Ier de Belgique (cf. Je refuse! L’objection de conscience, ultime résistance au mal, ndlr). Mais leur exemple nous apprend que la conscience est beaucoup plus que cela. Elle est tellement plus que cela qu’elle est étroitement liée à la dignité de l’homme.

2. Mais c’est de l’ordre des croyances religieuses.

 Pas du tout : en réalité, la conscience relève de la morale naturelle. Elle est le propre de tout homme, en raison même de sa nature humaine. Il est vrai que, souvent, les « objecteurs de conscience » sont aussi des personnes ayant une foi profonde. Mais c’est parce que cette foi les a aidés, sans doute, à mieux se connaître en tant qu’homme ou femme, à ne pas se laisser conditionner par la société, à ne pas se laisser enfermer dans des contraintes inhumaines, et à accéder à une grande liberté intérieure.

3. Une conscience individuelle ne peut pas mieux savoir que les gouvernants ce qui est bien ou mal.

 L’objection de conscience prend place précisément au moment où, après avoir discerné le bien à faire, et plus encore le mal à éviter, on en est empêché, non par un obstacle matériel, mais par un ordre contraire qui vient du législateur, du gouvernement, ou même d’un supérieur hiérarchique, qui veut vous obliger à agir contre votre conscience. Les grands témoins dont je me suis inspiré dans mon livre nous ont appris qu’il existe des lois supérieures intangibles, et que les législations humaines ne sont justes et légitimes que dans la mesure où elles les respectent.

4. Quoi qu’il en soit, il faut obéir à la loi ; sinon c’est l’anarchie !

Grave question : oui, il faut obéir à la loi. Mais si la loi autorise de tuer son prochain innocent ou même y contraint quand on en a reçu l’ordre, a-t-on le droit de s’en prévaloir ? Évidemment non. Allons plus loin : si la loi m’oblige à dénoncer mon voisin simplement parce qu’il s’oppose au gouvernement ou professe des opinions hétérodoxes, faut-il lui obéir ? Même réponse : non. Oui ! il existe des valeurs supérieures qui découlent de la vérité de l’homme, qui expriment et protègent la dignité de la personne : par exemple le respect de la vie innocente, le respect de la vérité, le respect de la dignité de chaque individu même lorsqu’il est vulnérable ou handicapé, etc. La loi civile, édictée par le parlement et mise en œuvre par le gouvernement, doit les reconnaître et les organiser pour que leur exercice se fasse dans le respect de chacun et sans empiéter sur les droits et libertés des autres ; mais elle n’a pas le pouvoir de les abolir. Si elle le fait, elle transforme la société en une société tyrannique et de violence ; c’est alors que l’objection de conscience peut prendre place.

5. Les objecteurs de consciences sont des personnes qui n’acceptent pas d’entendre une autre manière de penser que la leur.

 La véritable objection de conscience comporte deux exigences : d’abord, la recherche de la vérité du bien à faire, et surtout du mal à éviter : cette recherche nécessite beaucoup d’humilité, car on peut se tromper ; elle comporte toujours un doute et l’acceptation de la contestation de la part des autres, avant d’atteindre cette paix intérieure qui vient d’une recherche honnêtement menée ; ensuite, le soin de ne pas porter de jugement sur les autres : les grands témoins dont j’ai parlé en sont une illustration ; leurs débats intérieurs ont été suffisamment longs et angoissants pour accepter que d’autres aient un jugement différent ; et ils ont toujours pris soin de ne jamais juger les autres pour ne pas empiéter sur leur propre jugement de conscience.

6. Quand on ne fait qu’obéir aux ordres, il n’y a pas de mal ! Le mal est commis par celui qui donne l’ordre.

Nous sommes toujours responsables de nos actes. En cela réside notre dignité. Cela reste vrai même dans les situations extrêmes, et même sous contrainte. L’objection de conscience, au sens précis du terme, naît au moment où, ayant identifié le bien à faire ou le mal à éviter, et ayant déterminé comment il faudrait agir, j’en suis empêché par quelqu’un (législateur, gouvernement, supérieur hiérarchique, entourage, etc.) qui veut m’obliger à faire le contraire sous peine de représailles, quelle que soit la forme de ces représailles. Sans doute cette contrainte rend-elle mon acte de résistance plus difficile, voire héroïque ; sans doute ma responsabilité sera-t-elle atténuée si je cède. Mais ma responsabilité demeure, car je peux toujours refuser de commettre un mal, même si je dois en souffrir. Prenons un exemple historique récent, celui du procès de Nuremberg ouvert par les alliés contre les dirigeants du régime nazi. Les alliés avaient le choix entre deux positions de principe : soit considérer que le vainqueur a raison parce qu’il est vainqueur et condamner le vaincu parce qu’il est vaincu ; soit rechercher un fondement moral qui donne une base sûre au procès. La première option était la plus facile ; et dans l’histoire ce fut la plus fréquente ; mais elle signifie que le vaincu d’un jour prendra sa revanche le jour où il sera vainqueur, au prix d’une régression morale majeure. Les alliés ont donc choisi la seconde option, la plus difficile, mais la plus solide. Pour y parvenir, ils ont eu recours aux grands principes de la loi naturelle qui dépassent et surplombent toute loi humaine. Ils ont reconnu l’existence d’une « dignité humaine » qui, en toutes circonstances et en faisant abstraction de toute appartenance nationale, sociale, raciale, politique ou religieuse, impose de considérer en tout homme, ami ou ennemi, d’abord un être humain que l’on doit respecter en lui épargnant des traitements inhumains comme l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, etc. Ensuite ils ont reconnu que le fait d’avoir agi sur l’ordre du gouvernement ou d’un supérieur hiérarchique ne dégageait pas la responsabilité de ceux qui avaient commis des crimes. Si nous sortons de là, nos sociétés deviendront des sociétés de violence inhumaine.

7. C’est bien beau d’être prêt à tout perdre pour défendre ses idées, mais qu’est-ce que ça va changer au monde ? Si un maire refuse de marier des homosexuels, par exemple, il sera puni, et finalement un autre le fera à sa place, voilà tout.

Cela changera une chose fondamentale : la responsabilité de l’acte commis ! La responsabilité morale est toujours personnelle. Le maire n’est pas comptable de la conscience de ses adjoints. Chacun devra répondre à la question en conscience, pour ce qui le concerne personnellement : vais-je le faire ou non ? Sans prendre la place de la conscience d’autrui. Cette responsabilité, chacun devra ensuite l’assumer et nul ne pourra se défausser sur un autre de ce qu’il aura fait ou pas fait.

François de Lacoste Lareymondie

Marié et père de famille, ancien élève de Sciences Po et de l’ENA, il fut d’abord officier de la Marine, puis administrateur civil avant d’être rapporteur au Conseil d’État. Il a ensuite mis ses compétences au service du groupe bancaire CIC dont il est devenu le secrétaire général. Il est aujourd’hui membre du directoire du Fonds de garantie des dépôts. Il a été élu local pendant vingt ans.

Aller plus loin :

JE REFUSE ! L’OBJECTION DE CONSCIENCE, ULTIME RESISTANCE AU MAL, François de Lacoste Lareymondie, Éd. de l’Emmanuel, 2011

L’OBJECTION DE CONSCIENCE OU LE DEVOIR DE DESOBEIR, Jacques Suaudeau, Éd. Peuple Libre, 2013

 

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