Chanteuse iconique des années 70, figure incontournable de la variété française, l’interprète et parolière provençale a vendu plus de 35 millions d’albums dans le monde. Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, elle a repris les concerts après les contraintes de la pandémie et s’apprête à fêter en grande pompe ses soixante ans de carrière.
Une chanteuse au grand cœur qui a toujours eu la foi. Pour l’interprète de tubes comme Emmène-moi danser ce soir ou Je m’appelle Michèle, quoi de plus naturel qu’une interview en chansons ?
PROPOS RECUEILLIS PAR CYRIL LEPEIGNEUX
D’aventures en aventures, comme le chanterait Serge Lama, vous poursuivez votre carrière sur scène, en tournée et en pleine forme. À 75 ans, vous êtes une chanteuse populaire qui s’adresse désormais à trois générations. Quel est votre carburant ?
L’envie. Le plaisir. Celui de vivre de ma passion. Vous savez, la scène, c’est ma respiration. J’y vis ce dont j’ai toujours rêvé, quand j’étais petite fille et que j’aspirais à être chanteuse. Aujourd’hui, l’envie de monter sur scène est toujours là ! Je pense que l’envie est le moteur de tout ! Que l’on soit chanteur, ou quoi qu’on fasse, il faut garder cette envie.
Pour paraphraser Céline Dion ou Johnny Hallyday, Tout l’or des hommes serait donc dans L’Envie ? Un moteur plus fort que les épreuves ?
Oui, comme le fait de rester positif, de vouloir vivre au mieux, faire de son mieux. Il faut accepter les choses et faire au mieux avec ce qu’on a. Avec les difficultés ou les choses plus graves qui arrivent dans nos vies. Oh ! cela ne m’empêche pas de râler, beaucoup, même… Vous savez sans doute que mon fils Romain a une sclérose en plaques. Il est pour moi un exemple. Tous les jours, j’ai sous les yeux cet homme qui vit avec de grosses difficultés mais qui ne se plaint jamais. Pourtant, il y aurait de quoi… Pour moi, c’est un exemple qui me donne de la force.
En 2015, vous aviez fait une tournée dans les églises pour Les Foules sentimentales chères à Alain Souchon. Pourtant, le spirituel n’est pas très à la mode…
Oui, c’est vrai. Les choses importantes, vraies, essentielles mais qu’on a tendance à oublier n’ont pas trop la cote. On est tellement sollicités par l’achat, le matériel, la nouvelle voiture, le nouveau téléphone… Mais là n’est pas l’important. La vraie vie et le bonheur ne sont pas là !
« Il faut qu’on essaie de vivre en harmonie »
Il est où le bonheur, il est où ? vous demanderait Christophe Maé…
Dans des choses simples. Une pensée agréable. La vue de mes enfants, petits-enfants. Un repas avec eux. Un message. Des attentions. Des gentillesses. Le bonjour d’un inconnu dans la rue. Un sourire. Un regard. L’essentiel est là !
« Pardonnez-moi si je n’ai dans les yeux que l’Amérique : je reviendrai je ne sais pas quand, cousu d’or et brodé d’argent », fredonnait Joe Dassin… Une quête qui vous anime ?
C’est plaisant d’avoir de l’argent, de faire des voyages, mais ce n’est vraiment pas cela l’important ! Le bonheur, il est en soi, dans nos pensées, dans la relation avec l’autre, dans la gratitude. Vivre ainsi permet de passer pardessus les soucis du quotidien.
« Enfant, je priais en rentrant de l’école. J’ai foi en l’amour et cet amour, j’en ai fait mon métier : je chante l’amour ! »
Et La Voix du bon Dieu, dont Céline Dion a fait l’éloge de sa si jolie voix, « on l’a tous un peu », comme elle dit ?
Je suis née dans une famille chrétienne. Je suis allée à l’école catholique où je me sentais très bien. Mes parents étaient catholiques mais nous n’étions pas très pratiquants. Il y avait bien les fêtes de Noël et Pâques auxquelles nous participions mais pas beaucoup plus. De mon côté, j’ai toujours été portée sur la religion. Enfant, je me sentais très « catho » et je priais en rentrant de l’école. Cela a un peu inquiété mes parents qui m’ont vite inscrite à l’école laïque… Pourtant, au plus profond de moi, j’ai la foi. C’est une évidence. J’ai aussi foi en l’amour et cet amour, j’en ai fait mon métier : je chante l’amour !
« Aimez-vous les uns les autres » nous demande Jésus, si bien chanté par Enrico Macias…
Oui, il faut qu’on y parvienne ! C’est très fort. C’est la base de la vie en général, pour tout le monde bien sûr : aimer les autres avec leurs différences. Je me sens proche de toutes les personnes. Je m’intéresse à mon voisin, qu’il soit juif, musulman ou autre. À ce propos, j’aime beaucoup regarder les différentes émissions religieuses sur le Service public. Je prends le bon partout ! Je suis convaincue que Dieu est en chacun de nous. Oui, je suis ouverte à la différence qui nous enrichit. Et je pense qu’il faut qu’on essaie de vivre en harmonie, les uns avec les autres.
Vous priez ?
J’ai tendance à remercier. Dès le matin pour la journée qui commence. Ce qui ne m’empêche pas de râler, d’être contre ceci ou cela, mais je remercie. Le soir, c’est pareil : je remercie pour la journée passée, le bon comme le moins bon. Pour les mauvaises choses, je me dis qu’il y avait une raison pour je les vive. Il y a toujours une raison d’être de ces choses. Ce sont des leçons de vie, des épreuves qui aident à mieux comprendre la vie, qui nous aident à choisir d’aller vers le Bon, le Bien. À chaque fois que je monte sur scène, je me sens en état de prière.
En Occident, on Trompe la mort avait écrit Georges Brassens, en s’agitant pour l’oublier, comme la maladie d’ailleurs. Et vous, comment les appréhendez-vous ?
Je le vis bien mais peut-être que le moment venu, je serai comme tout le monde, apeurée. Malgré ses convictions, même quand on croit, c’est une confrontation à l’inconnu quand même ! Je pense que c’est un passage, que la vie continue après, ailleurs.
À vous entendre, on a l’impression que Quand on a que l’amour, comme Jacques Brel, tout va bien…
Je trouve que je fais un métier merveilleux. Je l’ai découvert grâce à la jolie voix de ma maman et en écoutant Édith Piaf. Mon métier est de faire sourire, d’amener un moment de joie. Quand on est sur scène, on apporte du plaisir, du bonheur aux personnes qui sont venues vous voir. Sur scène, je donne et on me donne. Souvent je dis que chanter, c’est prier.
On en a d’ailleurs fait une chanson : Chanter c’est prier. Être sur scène, c’est vivre une communion, un partage, une opportunité de donner ce qu’on a de meilleur à des personnes qui vous le rendent. Tout l’amour que l’on reçoit sur scène, c’est énorme !
Entre nous, dirait Chimène Badi, est-ce plus facile de monter sur scène aujourd’hui qu’à vos débuts ?
Je vous avoue que j’ai encore le trac… Surtout quand je chante en direct à la radio ou à la télévision. J’ai un trac terrible. Je me dis : qu’est-ce que je fais là ? Au secours ! Sur scène, on se rattrape toujours. Avec les musiciens, on forme une équipe et on se soutient. Mais quand c’est la télévision… Globalement, je suis plus sereine aujourd’hui sur scène qu’à mes débuts. Je me souviens de Charles Aznavour qui m’a dit un jour : « Vous avez peur de quoi ? S’ils sont là dans la salle, c’est parce qu’ils vous aiment ! »
Pour sûr ils vous aiment, affirmerait Bourvil ! Et quelle est la chanson que vous préférez dans votre répertoire ?
J’en appelle à la tendresse (1981). Elle a été écrite pour encourager Mère Teresa dans sa lutte contre la pauvreté. Je me souviens avec émotion de Sœur Emmanuelle qui aimait beaucoup cette chanson. Une fois, alors que je chantais pour son association des petits chiffonniers du Caire, elle est montée sur scène et elle a chanté avec moi sur cette chanson. C’était extraordinaire ! J’en ai la chair de poule rien que de vous en parler !
Et la fête continue après la pandémie, nous chanterait Yves Montand !
Oui, les concerts ont enfin repris après la coupure liée à la pandémie. J’ai repris la route. Je vais de ville en ville. Je tourne un peu tout le temps. Mon producteur, Universal, publiera pour les fêtes de Noël une intégrale de mes enregistrements : 450 chansons dans une intégrale de 20 CD ! Et puis il y aura aussi une scène parisienne pour fêter mes 20 ans de chansons.
Dieu merci « Je vais bien », comme l’annonçait mon album sorti il y a deux ans !
SA CARRIÈRE
Michèle Torr est née le 7 avril 1947 dans le Luberon (Provence-Alpes- Côte d’Azur). Elle fait ses premiers pas sur scène à 6 ans et signe son premier contrat chez Mercury dix ans plus tard. Son premier 45 tours C’est dur d’avoir 16 ans est pressé en 1964. Le succès est immédiat et elle accède au Hit Parade. La même année, elle est en première partie de Claude François à l’Olympia et représente le Luxembourg à l’Eurovision en 1966. Sa popularité ne cessera plus de grandir.