Débat. L’Église enseigne que Marie, la mère de Jésus, était vierge quand elle a conçu Jésus. Qu’elle l’est restée à la naissance du Christ et qu’elle l’est demeurée après. Dogme de foi, fable, légende dorée ? Le point sur une question qui divise parfois les chrétiens entre eux.
Débat entre Lili Sans-gêne et le père Daniel Ange.
1 L’Église prétend que Jésus n’est pas le fruit de l’union de Joseph et Marie, mais qu’il a été conçu du Saint-Esprit, directement dans le sein virginal de Marie. Avouez que croire à une vierge qui enfante, c’est un conte tout juste bon pour les enfants. Qui peut encore croire à cela aujourd’hui ?
Tu veux savoir qui ? Eh bien ! Fait massif, incontournable, aujourd’hui même, au minimum plus de 2 milliards et demi d’hommes et de femmes de diffé- rentes traditions religieuses. Cela dans toutes les Églises chrétiennes, en Orient comme en Occident. La prière de l’Église, jusque dans le credo et au cœur de la messe, chante la Vierge Marie. Mais il n’y a pas que les chrétiens, figure-toi. Le grand mufti de Marseille explique : « Ceux qui remettent en cause le mystère de la virginité de Marie oublient qu’outre les chré- tiens, ils auraient à convaincre ensuite un milliard de musulmans » (Nouvel Obs. 25.12.97). De fait, dans le Coran, elle est la seule femme dont la virginité est louée : « Et celle qui était restée vierge, nous lui avons insufflé de notre esprit » (21,91). Par ailleurs, un hadith (commentaire du Coran) précise que Marie et son fils sont les seuls enfants exempts de l’attouchement du démon à leur conception.
2 Cela n’a pas de sens : Jésus pourrait avoir été conçu comme chacun de nous.
Le problème est que cet embryon, n’est pas un enfant comme des centaines de milliards d’autres. Il est totalement unique. Il est (je lâche le gros morceau)… Dieu ! Rien de moins. Et si on ne part pas de cette vérité-réalité, évidemment tout le reste s’écroule.
3 Mais, il pourrait tout aussi bien être Dieu sans être né d’une vierge.
À la limite, bien sûr, mais à personne absolument exceptionnelle, unique dans toute l’histoire, il convient d’avoir une entrée dans le monde aussi exceptionnelle, et unique dans l’histoire. Si le Créateur, en sa toute puissance, peut se faire zygote, a fortiori peut-il donner à une vierge d’enfanter, non ?
4 Pourtant, dans la Bible, on ne trouve rien de vraiment précis à ce sujet.
Au contraire ! Tout l’Évangile est formel, d’une clarté ne laissant subsister aucun doute. Dans saint Jean : « Lui qui ne fut engendré ni du sang, ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir d’homme, mais de Dieu » (1-13). Dans saint Marc : « Le Fils de Marie » (non de Joseph (6,3)). Dans saint Paul : « Né d’une femme » (très étrange pour un Juif). Dans saint Matthieu : « Ton épouse, ce qui a été engendré en elle vient du SaintEsprit. » Dans saint Luc, la salutation : « Réjouis-toi » renvoie à la Vierge Fille de Sion. « Fils du Très Haut » et « Fils de David » précise sa naissance divine et sa généalogie humaine. Et que signifierait la question de Marie : « Que dois-je faire puisque je suis vierge » (sous entendu : et désire le rester), s’il s’agissait de « coucher » avec Joseph ? Et que signifierait : « À Dieu, rien n’est impossible », s’il ne s’agissait pas de quelque chose d’impossible à l’homme, bref d’un miracle ? Jésus lui-même coupe court aux ragots sur son compte. À ceux qui insinuent qu’il est « né de la prostitution », il rétorque : « C’est de Dieu que je viens » ( Jn 8,42). Dès ses 12 ans, à Marie montrant Joseph à Jésus en disant « ton père », Jésus réplique : « mon Père du Ciel » (Lc 2,49).
5 Cela ne prouve rien : c’est une invention des chrétiens pour valoriser Jésus.
Au contraire ! Comme pour la crucifixion, cette naissance virginale était une terrible pierre d’achoppement, suscitant la risée des païens comme des Juifs. On colportait le ragot qu’il était né d’une liaison avec un soldat romain. C’eût été tellement plus simple d’éviter ce sujet scabreux, de laisser croire qu’il est comme tout le monde. Eh bien non, les premiers fidèles ont assumé, avec beaucoup de courage, cette énorme couleuvre si difficile à faire avaler. Jésus aurait été tellement plus acceptable, ses disciples tellement plus crédibles, s’il n’était pas né d’une vierge, s’il n’était pas mort en croix, etc. 6
6 Pourtant, ce serait bien plus beau si Jésus était le fruit de l’union de Marie et Joseph.
Il n’y aurait encore aucune espèce de mal, mais ce serait banaliser le Seigneur. En faire Monsieur tout le monde. Alors qu’en fait, aucun enfant n’a jamais ressemblé à sa mère comme lui, car il reçoit toute notre humanité exclusivement d’elle, comme il reçoit toute sa divinité, exclusivement de son Père du Ciel. Pourquoi systématiquement exclure toute intervention personnelle et directe du Créateur dans notre nature ?
7 Je trouve ça louche cette insistance de l’Église pour dire que Marie est restée vierge après, alors qu’elle était mariée avec Joseph et que rien ne l’empêchait de s’unir à lui.
En soi, pourquoi pas ? Mais comment imaginer qu’après avoir vécu un événement à ce point bouleversant de porter dans son ventre son Dieu en personne, Marie puisse vivre des maternités « ordinaires » ? Et puis, cela serait étrange aujourd’hui d’avoir les descendants de la famille charnelle de Jésus. Ils seraient alors les lointains cousins de Dieu!
8 Justement, les Évangiles parlent plusieurs fois des « frères de Jésus » : comment voulez-vous après, nous faire croire que sa mère est demeurée vierge et qu’elle n’a pas eu d’autre enfant alors qu’elle était en réalité mère de famille nombreuse ?
« Frères et sœurs » en langage biblique – comme en bien des langues africaines et asiatiques – désignent les cousins. Sinon, comment expliquer qu’à la croix soit mentionnée une « Marie, mère de Jacques et de Joseph » (Mc 15, 40), présentés pré- cisément comme les frères de Jésus (Mt 13, 25), si leur mère était la même que la mère de Jésus, également pré- sente au pied de la croix? D’ailleurs comment Jésus aurait-il confié à Jean sa propre maman, si Marie, sa mère, avait eu d’autres enfants?
9 Je perçois, derrière cette exaltation de la virginité, un vrai problème de l’Église avec le sexe…
Bien au contraire. Elle a un sens si profond du sens divin de la relation sexuelle, qu’elle se bat pour que le sexe ne soit pas commercialisé, banalisé, dévalué, mais soit vraiment expression et signe le plus fort qui soit, de l’amour. Elle se bat pour que les hommes gardent profondément en harmonie leur cœur et leur corps. Au point qu’elle ne reconnaît un mariage que s’il y a eu rapport sexuel! Le savais-tu? Par ailleurs, nier la virginité de Marie, c’est se moquer de tous ces religieux qui consacrent leur vie à Jésus et aux autres, gratuitement, joyeusement, généreusement. Si Marie n’est pas vierge, pourquoi le seraient-ils ? Si tu peux te marier avec le garçon de ton choix amoureux, et non le mec que t’impose papa (comme cela se fait toujours dans de vastes zones de l’humanité), c’est bien parce que l’Église s’est battue pour faire de cette liberté, une autre condition sine qua non d’un mariage. Pourquoi ? Eh bien justement parce que Dieu lui-même avait respecté la liberté d’une certaine jeune fille et attendu son consentement volontaire.
Daniel Ange
Prêtre depuis 30 ans, il a fondé Jeunesse-Lumière, une des premières écoles catholiques d’évangélisation en Europe, après trente ans de vie monastique dont douze au Rwanda. Il est l’auteur de nombreux ouvrages.