Quand il entre au GIGN, le Groupe d’intervention de la Gendarmerie Nationale, à 19 ans, Jean-Luc Calyel est un jeune fougueux qui veut vivre une vie extraordinaire et être utile autour de lui. A travers son métier hors du commun, il en aura maintes fois l’occasion. Mais c’est une autre rencontre qui change sa vie du tout au tout.
PROPOS RECUEILLIS PAR ANTOINE LEMAIRE
Jean-Luc, nous sommes en novembre 2025. Il y a 10 ans avait lieu l’attentat du Bataclan. Vous qui avez été membre d’une grande force d’intervention, le GIGN, comment avez-vous vécu ce moment ?
Je l’ai suivi de près. J’étais en contact avec mes anciens camarades, qui étaient prêts à intervenir, dans une caserne de la Garde républicaine pas très loin du Bataclan. Pour des raisons de prérogatives, c’est la police qui est intervenue. J’ai suivi cette situation de crise quasiment de seconde en seconde. J’imaginais les otages, mortellement touchés pour certains, grièvement blessés pour d’autres, la panique générale, le stress, des policiers primo-intervenants qui n’étaient pas préparés. Je les imaginais arriver sans trop savoir comment appréhender une telle situation de crise … En voyant ça on n’a qu’une envie, même en étant retraité, c’est d’enfiler sa combinaison d’intervention et d’y aller. Si on me demandait de le refaire je serais le premier sur les rangs. On serait nombreux aujourd’hui à le vouloir, parce que c’est un état d’esprit, une fraternité, une cohésion, l’esprit du challenge, et surtout l’envie de se sentir utile. On est prêt à sacrifier sa vie pour sauver celle d’un autre.
Lors de cette intervention, un policier a été grièvement blessé. C’est prévisible quand on fait un métier si dangereux. Qu’est-ce qui vous a motivé à rejoindre le GIGN à l’origine, malgré cette omniprésence du danger ?
C’est justement parce qu’il y avait du danger ! J’avais envie de l’affronter. Et puis J’ai toujours été extrêmement sportif et compétitif. Cet esprit de battant nous anime tous. On est des véritables Formule 1. Si on s’investit autant, c’est dans l’objectif de mettre un jour en application ce qu’on a appris et tenter l’impossible s’il le faut. Et je souhaitais faire des choses qui sortaient de l’ordinaire. J’ai toujours voulu me sentir utile auprès d’un autre. Aujourd’hui, si je peux aider, j’aide. Ceux qui veulent entrer dans une unité comme le GIGN veulent faire de leur vie une vie extraordinaire. Tout tenter. Tout vivre. A la longue, la maturité vient et nous donne de la sagesse et du recul. J’ai beaucoup changé durant mon service au GIGN. Quand on arrive on est des pur-sang fougueux, et avec le temps on s’aperçoit que l’expérience fait la différence, que c’est elle qui nous fera prendre de bonnes décisions dans l’action.
La perspective de la mort ne vous faisait pas peur à cette époque ?
Non, et je ne sais pas pourquoi. Comme s’il y avait en moi la conviction que nous étions infaillibles. Ce qui est complètement faux d’ailleurs, car nous avons perdu quelques camarades en mission … Très vite ensuite, on comprend que tout peut arriver, qu’on est aussi vulnérable qu’un autre, que rien n’est acquis. Aujourd’hui, ce sentiment de ne pas avoir peur s’est consolidé et s’est marqué dans le marbre avec ce que j’ai vécu à travers mon parcours de foi. Je suis convaincu que la vie continue après la mort.
Dans votre livre, vous racontez ce moment où un braqueur vous pointe de son pistolet et ouvre le feu. L’arme s’enraye et le coup ne part pas. Vous avez vécu ça comme un miracle ?
Pas du tout (rires). A cette époque j’étais jeune opérationnel, c’était ma toute première mission, en 1986. Quand je me suis retrouvé face à lui, j’ai pensé instantanément « son arme s’est enrayée. » J’ai réagi d’une manière très mécanique : j’analyse, je regarde comment on pourrait régler le problème. A aucun moment je me suis dit « tu as eu le ciel avec toi. » A cette époque-là, il ne fallait pas me parler de Dieu, j’étais complétement agnostique et suivais ce que mon père m’avait toujours dit: « politique et religion sont l’opium du peuple » ou bien « tu sais, si Dieu existait, il n’y aurait pas autant de guerres et de violences. » La foi est venue me chercher au cours de ma carrière au GIGN. D’abord à petites doses, ce qui m’a poussé à me poser des questions sur le sens de la vie. Quel est l’intérêt de naître un jour pour mourir x années plus tard … ? Aujourd’hui, quand il arrive quelque chose d’exceptionnel, je ne fonce pas pour autant tête baissée en me disant « c’est de l’ordre du divin. » J’essaye de comprendre d’abord avec mon esprit rationnel.
Le fait de pouvoir vous retrouver dans une situation où vous auriez à tuer quelqu’un ne vous a jamais freiné ?
Au GIGN, il y a toute une formation derrière l’intervention, un principe : nous sommes là pour préserver la vie. Qu’il s’agisse de celle de la victime ou de celle du bourreau. La vie est sacrée, et on nous entraîne à la préserver ! Évidemment, on priorisera la vie de la victime. Mais la vie du bourreau est une vie à part entière. Pour nous, dans l’action, utiliser les armes n ‘est pas forcément une réussite. Parfois, pour sauver une ou plusieurs vies, on n’a pas d’autre choix que d’en enlever une autre. Si on doit effectuer un tir fatal, on le fait au nom de la vie quand même, et on ne s’en glorifie pas. Très souvent, quand on cherche à comprendre pourquoi telle personne qu’on a neutralisée en est arrivée là, on a du mal à la juger. On se dit « qu’est-ce qu’on aurait fait à sa place ? ».
Vous avez participé à l’intervention de Marignane en 1994. Quelle est l’opération dont vous gardez le souvenir le plus fort ?
Celle-ci restera dans mon esprit jusqu’à mon dernier souffle. Elle était encore plus dangereuse parce qu’on travaillait dans un tube. On n’avait que notre casque et notre gilet pare-balle pour se protéger. D’autres missions m’ont beaucoup marqué, comme des cas où des enfants sont impliqués. A Marignane, j’ai prié. J’ai remis la réussite de cette mission à Dieu. Je Lui demandais un coup de main. Après l’opération, quelques jours plus tard, j’ai remercié le Seigneur de m’avoir épargné. Dix de mes camarades n’ont pas eu cette chance et ont été blessés. Mais il n’y a eu aucun mort. C’était une mission foudroyante dans le bon sens du terme. La totalité des passagers ont été sauvés.
Vous êtes une des rares personne à qui Dieu s’est adressé avec des signes clairs, qui ne laissaient que peu de doutes. Tout le monde n’a pas cette chance. Pourtant, pensez-vous que Dieu se manifeste à chacun de nous d’une manière ou d’une autre ? Et si oui, comment s’en rendre compte ?
J’en suis persuadé ! II faut se laisser porter et ouvrir son cœur. A chaque fois qu’il y a eu des manifestations de Dieu dans ma vie, ça a été des surprises, je ne m’y attendais jamais. Ce que j’ai vécu, tout le monde le vit. Il suffit de faire la différence entre observer et regarder, écouter et entendre. Il faut ouvrir son cœur. Le Seigneur entend nos émotions, nos sentiments. Dieu, les anges, les saints, comprennent nos émotions et y répondent. Et la source des émotions est le cœur. C’est comme un téléphone : « si tu veux contacter le ciel, c’est par là que ça se passe. » Ce que Dieu m’a fait comprendre, c’est ce vers quoi nous tendons tous. J’ai compris qu’il fallait que je le partage avec le plus grand nombre. J’ai mis 20 ans à en témoigner, par peur du « qu’en dirat-on » …
J’ai compris que Dieu aimait tout le monde aussi intensément, pas que les deux milliards de catholiques du monde. Aujourd’hui, les religions divisent les hommes, alors que la foi les unit. La puissance de son amour nous dépasse tant… Je n’oblige personne bien entendu, mais je veux dire aux gens :«si vous êtes là, ce n’est pas pour rien.»
A l’image de cet Aurélien, membre du GIGN, que vous essayiez d’interroger sur sa foi et qui refusait d’abord d’en parler, pensez-vous que beaucoup de gens ont ces questionnements spirituels qu’ils n’osent pas partager ?
Bien sûr ! Maintenant que je suis sous les projecteurs à cause de mon témoignage, les gens m’envoient des mails. A chaque fois que je fais des conférences ou des rencontres. Ils viennent me partager leur vécu, leur foi. Ils n’osent pas en parler de peur d’être ridicules et pris en dérision.
Comment vivez-vous votre foi au quotidien ?
Je prie tous les jours, je récite le « Notre Père » et le « Je vous salue Marie ». Et surtout, je remercie ! Tous les jours.

Le GIGN, Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale, est une des forces d’intervention les plus reconnues dans le monde.





