« Personne n’a envie d’entamer des traitements lourds et d’entrer dans un parcours de soins », et pourtant les faits sont là : tout le monde a au moins un proche qui traverse une maladie grave. Face à la souffrance et l’inconnu, la sérénité est encore possible, et l’accompagnement du malade est fondamental. Entretien avec Eugenia Caceres, psychologue en réanimation à l’hôpital Saint-Joseph à Paris.
PROPOS RECUEILLIS PAR AUGUSTE CHAPELIER
Quel est le rôle de l’entourage du malade tout au long de la maladie ? Comment doit-il se comporter pour rester à sa place tout en se sentant utile ?
Le rôle auprès du malade n’est pas le même à cous les stades de la maladie. Mais une chose est sûre : il est fondamental. Fondamental pour l’accompagnement, pour I’ « être là», pour tenir la main, soutenir. L’accompagnement à la mission de subjectiviser le malade constamment, de lui rappeler qui il est, quel rôle il a au sein de sa famille et dans la société. Ce n’est pas parce qu’on est malade qu’on n’est plus un frère ou une sœur, un père ou une mère, un enfant, un chef d’entreprise etc. Devenir un corps malade et infantilisé est une énorme blessure psychique. Il faut être auprès de l’autre tel qu’il est, ou tel qu’il était, lui parler d’homme à homme, de femme à femme, pas comme à un bébé qu’on chouchoute. Si le malade n’arrive pas à parler d’adulte à adulte, il se sentira de plus en plus seul.
Est-il possible d’être serein dans la maladie, pour le malade et son entourage ?
Oui, mais cela dépend de la maladie, de son stade, d’où on vient, de comment on était avant… Et cette sérénité ne sera pas constance. On n’est jamais malade au bon moment. Personne n’a envie d’entamer des traitements lourds et d’entrer dans un parcours de soins. Le malade qui est dans une grande angoisse de mort, qui veut rester en vie coûte que coûte aura du mal à trouver la paix. A ce moment-là, le rôle du proche est essentiel pour tenir la main, soutenir et contenir. II peur aussi rappeler au malade qu’on peut vivre sa fin de vie de manière complètement sereine notamment en soins palliatifs. Ce sont des moments très riches, sans mascarades, sans tabous.
Qu’on soit le malade ou le proche, peut-on aborder I’ « après » ?
Bien sûr ! Certaines personnes peuvent tour à fait aborder le sujet de la dégradation physique, le handicap, voire la mort. Avec ceux qui vont mourir quoi qu’on fasse, on peut parler de la mort. Quand un malade dit « je vais mourir », il ne faut pas lui répondre « mais non, ne dit pas ça. » Ces phrases sont dites dans un esprit de bienveillance mais elles sont difficiles à accueillir pour le malade. On ferme la porte à ce qu’il a potentiellement envie de confier. Au contraire, si on valide le vécu, si on lui dit « oui, je sais », alors on lui donne l’opportunité d’exprimer ses affects, cette expérience telle qu’il la vit. Parce que la maladie est une expérience subjective, chacun la vit d’une manière différente. Il faut faire attention à ne pas projeter ses propres angoisses sur le malade.
Arrive-t-il que le thème de la foi soit abordé chez vos patients ? Et de quelle manière ?
La foi fait partie des ressources psychiques. Quand on est en souffrance, on perd un peu nos repères. Certaines personnes croyantes perdent la foi à ce moment-là, alors que d’autres qui ne croyaient pas trop se sentent soudain beaucoup plus concernés.
Dans un lit de réanimation, où en unité de soins palliatifs par exemple, avec des machines partout et un univers qu’on ne connait pas, la foi a un rôle fondamental. Tenir la main et accompagner l’autre dans la prière, partager une foi commune est d’une grande aide.
Une histoire qui vous a touchée ?
Un patient qui est resté 140 jours chez nous. II enchainait les complications. Quand nous avons décidé, avec sa famille, de le démédicaliser, il a passé un après-midi conscient, communiquant, à faire des sourires autour de lui. Toute l’équipe s’est relayée pour le voir. Il est décédé deux jours après, mais son épouse m’a dit que c’était finalement une très belle semaine qu’ils avaient passée avec lui.

Eugenia Caceres, psychologue en réanimation à l’hôpital Saint-Joseph





