Relation. Qui sont les personnalités narcissiques ? Peuvent-elles changer ? Pour s’en protéger, le meilleur moyen est de comprendre comment elles fonctionnent. Sans pour autant en voir partout…
Explications de Pascal Ide.
Sous les tropiques, on trouve quelques espèces de figuiers, dits étrangleurs, qui n’ont rien à voir avec nos paisibles figuiers méditerranéens : ils germent à partir d’une graine portée au sommet d’un grand arbre qui leur sert de support. Les racines du figuier poussent alors vers le bas et atteignent le sol ; en même temps, elles se ramifient et emprisonnent l’arbre porteur. Enfermé dans ce carcan, il ne peut plus croître, finit par mourir, se décompose rapidement et forme le terreau qui profitera au figuier…
La personnalité narcissique (PN) fait de même avec sa proie : elle la séduit, l’étouffe et la vampirise jusqu’à le vider de sa substance vitale. Elle se reconnaît à deux signes principaux : une image très survalorisée de soi, d’où découle la conviction que tous les égards lui sont dus et qu’inversement, elle n’a rien à donner en échange, la transgression (les lois, c’est pour les autres), la grande susceptibilité lorsqu’elle n’est pas reconnue, etc. ; l’insensibilité à la souffrance d’autrui sur lequel elle exerce son pouvoir, pour en recevoir aide et reconnaissance.
Mais n’en parle-t-on pas trop ? Si l’on veut se séparer de son conjoint, on l’accuse d’être pervers narcissique. D’abord, je préfère l’expression « personnalité narcissique » qui est une catégorie psychiatrique définie par des critères rigoureux, à celle de « pervers narcissique », d’origine psychanalytique, qui n’a pas la même précision. Ensuite, les PN existent et sont éminemment toxiques. Il faut d’autant plus en parler qu’elles se dissimulent, culpabilisent et projettent sur leur victime la responsabilité de leur violence. À la femme qu’il vient de frapper, le mari PN (mais on rencontre aussi l’inverse) répond : « Oui, je n’aurais pas dû te gifler, mais tu l’as bien cherché… ». On ne le dira jamais assez : ces personnalités à l’ego surdimensionné non seulement sont destructrices et ne reconnaissent jamais leur tort, mais elles n’évoluent pas. Enfin, s’il y a des PN dans toutes les classes sociales, toutes les catégories professionnelles, voire si on en trouve plus dans les sphères de pouvoir, ne devenons pas paranoïaques : 2 à 3 % de la population rentrent dans ce cadre pathologique.
Paradoxalement, les PN ont à la fois une idée totalement démesurée de leur valeur et un profond manque de confiance en elles : c’est pour cela qu’elles ont peu d’intériorité, ont besoin de s’entourer d’une cour de flatteurs, cherchent éperdument leur reconnaissance sans jamais leur dire ni se le dire. Leur béance narcissique est très ancienne (elle remonte à la petite enfance) et impossible à combler (l’autre n’en fera jamais assez).
Les PN sont-elles conscientes de leur état ? Il est très difficile de répondre à cette question. Le médecin ou le psychologue ne les rencontre jamais dans son cabinet, puisqu’elles sont convaincues que le problème est chez l’autre ; en revanche, ils voient leurs victimes ! Pour ma part, je pense que toute personne, même très atteinte psychologiquement, conserve sa conscience morale et donc a, par moments, des éclairs de lucidité. Mais ils ne sont pas suffisants pour que la PN change durablement. Il faut donc s’en protéger et, parfois, dans un couple, notamment lorsqu’il y a des enfants en bas âge, oser prendre la décision de s’en séparer.
Mais ici intervient un autre facteur : la PN exerce sur sa proie une emprise, brouillant les frontières entre bien et mal. Voilà pourquoi l’on ne peut jamais forcer une personne à sortir d’une secte contre son gré : son exfiltration doit être psychologique avant d’être physique ; sinon, elle retournera dans la secte et entrera en croisade pour défendre son gourou. Il faut dire plus. Le narcissique pathologique a un sixième sens pour repérer les fragilités de sa victime : ses besoins de reconnaissance, ses croyances limitantes (« Jamais je ne me séparerai de Marc » : cf. exemple en encadré), etc. Guérir toujours plus de nos failles, acquérir une saine estime de soi, est la meilleure manière de prévenir les manipulations.
Les personnalités narcissiques
Manipulateurs, les personnalités narcissiques, détecter, comprendre, agir. Pascal Ide, Éditions Emmanuel, 2016
Le harcèlement moral / La violence perverse au quotidien, Marie-France Hirigoyen, La Découverte, 1998.
Les manipulateurs sont parmi nous, Isabelle Nazare-Aga, Les Éditions de l’Homme, 1997
7 Clés pour se protéger face à une personnalité narcissique
1 De la PN, on parle trop ou trop peu.
Si vous avez un doute, aidez-vous des 30 critères élaborés par Isabelle Nazare-Aga (http://pervers-narcissiques.fr/les-30-criteres-du-manipulateur/). Si votre soupçon se confirme, faites appel à une personne compétente (psychiatre, psychologue, etc.).
2 Évitez de mettre en avant vos propres réussites et vos privilèges.
Evitez tout ce que la PN pourrait ressentir comme humiliant ; évitez l’opposition systématique ; évitez de vous confier à elle ; évitez d’attendre la réciproque.
3 Montrez votre approbation lorsqu’elle est sincère.
Remerciez la PN pour son succès auprès d’un client ou félicitez-la pour sa nouvelle robe. Elle a un besoin fou de se sentir reconnue, même si elle ne l’avouera jamais. Elle sera aussi moins tentée d’en rajouter pour vous impressionner.
4 Ne lui montrez pas que vous êtes affecté par son attitude.
La PN cherche à exercer son pouvoir par les sentiments qu’elle éveille en vous, comme la colère, la honte, le découragement.
5 Désamorcez les manipulations.
Par exemple, lorsque la PN veut vous extorquer une information, jouez au disque rayé, sans agacement, sur le même ton : « Si tu veux le savoir, demande-le au responsable RH. »
6 Communiquez la vérité et toute la vérité.
La PN ment systématiquement, déforme les informations et refuse d’en transmettre la totalité (il présentera une partie à l’un, et une partie à l’autre). Jouez au contraire la transparence.
7 Il est parfois nécessaire de s’opposer à une PN, par exemple lorsqu’elle mine votre autorité dans une équipe dont vous êtes responsable.
Du fait de leur tendance paranoïaque et procédurière, affrontez-vous à elle seulement si vous êtes totalement certain de votre fait et en étant très précis.